Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

‘Hayé Sarah 5780 / ‘Hevron, Rivka, Hagar

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‘Hayé Sarah. « La vie de Sarah ».  Drôle de nom pour une Paracha qui s’ouvre sur… la mort de Sarah!

On est en droit de se demander en quoi cette Paracha reflète la vie de Sarah alors que précisément, l’essentiel de son contenu nous parle de la recherche d’une épouse pour son fils Its’hak, recherche fructueuse au point que « Its’hak la conduisit dans la tente de Sarah sa mère. Il prit Rivka, elle lui fut pour femme, il l’aima. Its’hak fut consolé de sa mère » (Berechit, XXIV, 67). Et qu’immédiatement après avoir marié son fils, « Avraham ajouta, prit une femme, et son nom: Ketoura ». Ketoura, qui n’est autre pour de nombreux commentateurs, que Hagar, celle-là même que Sarah avait fait renvoyer!

On est donc un peu perdus devant cette curieuse manière de perpétuer « la vie de Sarah ».  On a plutôt l’impression que tout est fait pour remplacer voir même oublier Sarah, un étrange sentiment de trahison… 

Et pourtant! Si le Texte annonce : « Voici la vie de Sarah » c’est qu’il sera bien question de la vie de Sarah… Sarah est apparue dans l’histoire dans la Paracha de Noa’h et qui a occupé le devant de la scène avec son mari Avraham tout au long des Parachiot de Le’h Le’ha et Vayéra, mais pas au point qu’on les nomme « La vie de Sarah »! 

Ce serait donc que notre Paracha parle plus exclusivement de la vie de Sarah. Et comment donc? Peut-être devrions-nous nous pencher sur les sujets qui la couvrent; et que je résumerai à trois thèmes: ‘Hevron, Rivka et Hagar ou la fin de la vie d’Avraham. 

Comment la vie de Sarah se réalise-t-elle à travers ces trois stations de la Paracha? 

D’abord, ‘Hebron. Quand Sarah quitte ce monde, d’après le midrash suite au choc de la nouvelle de la Ligature de son bien-aimé fils Its’hak, Avraham revient en précipitation pour l’enterrer. On imagine le drame et la peine de cet homme qui perd son épouse après 112 ans de vie commune… Pourtant, à peine 5 mots pour décrire sa douleur d’homme: « Avraham vint pour faire l’éloge funèbre de Sarah et pour la pleurer » (Berechit XXIII, 2). Et 17 versets pour décrire les négociations et les termes de l’achat de sa sépulture, la Grotte de Ma’hpela à ‘Hebron et tout le terrain qui était autour… Comme si les dispositions pratiques de l’enterrement étaient plus importantes que le drame familial qu’il vivait… Et pourtant, puisque que notre Paracha parle de ce qui fait la « Vie de Sarah », c’est que dans cette négociation se joue l’essence de la vie de Sarah. Apparemment, Avraham le comprend bien. Et plutôt que de se perdre dans la tristesse et la douleur, il agit. « Il se lève de devant son mort » et se met en action. Et la première chose qu’il fait est d’acheter un lopin de terre en Canaan. Le débat avec Efron le Hittite ressemble à un échange de salamalecs entre un propriétaire qui veut accorder gratuitement un droit de sépulture et Avraham qui tient à le payer en argent comptant. Mais c’est plus que cela: Avraham inscrit son nom et celui de sa descendance au cadastre de la Terre de Canaan. Jusque là, Avraham, l’homme de bonté, est dans une recherche d’universel. Il a des amitiés avec des seigneurs du pays (Aner, Eshkol et Mamré), il diffuse à tous la connaissance de D.ieu, il ouvre les portes de sa tente à tout venant. Mais avec la mort de Sarah, il commence à avoir le souci du particularisme, d’inscrire la postérité de Sarah dans la Terre de manière très claire. 

Ce n’est pas pour rien que le premier acte foncier du peuple d’Israel sur sa terre est celui d’une tombe: ceux qui sont là y sont pour y rester… Et pour Avraham, c’est une manière de donner raison à Sarah qui s’est battue pour que lui adopte cette position: quand elle lui demande de chasser Ishmael et Hagar, Avraham refuse; ce n’est que par l’intervention divine que Sarah a gain de cause: Ishmael et Its’hak ne peuvent hériter ensemble de la mission divine d’Avraham, ni de la terre qui va avec. En faisant cette acquisition immédiatement après la mort de Sarah, Avraham accomplit la volonté de Sarah et fait vivre le projet selon les termes qu’elle avait envisagés, reconnaissant que sa vision prophétique à elle lui était supérieure… 

Bien évidemment, on ne peut pas ne pas voir que les répercussions de cette acquisition se vivent encore aujourd’hui. Cette semaine a connu une actualité où les faits dramatiques se sont enchaînés, et au milieu de tout ça, la déclaration de l’administration américaine que les implantations en Judée-Samarie ne sont plus considérées comme contraires au « droit international »… Je ne sais pas si les arguments en faveur de cette reconnaissance ont été puisés dans notre Paracha, mais il me semble que l’acte fondateur qu’Avraham fait en achetant ‘Hevron n’est pas pour rien dans cette réalité… 

La deuxième illustration que la « vie de Sarah » est bien dans notre Paracha, c’est le zèle que va mettre Avraham à chercher une épouse pour Its’hak. Il est quand même curieux qu’Avraham ait attendu que Sarah ne soit plus pour penser à marier son fils… On peut donc penser que ce souci d’Avraham découle de la perte de Sarah. Que pour qu’elle continue à vivre, il faut qu’Its’hak se marie, et pas avec n’importe qui. Je passerai donc sur le sujet de ce premier Shidou’h de l’histoire, que j’ai déjà abordé dans mon Dvar Torah de l’an dernier (http://www.sarahweizman.com/2018/11/02/casting-pour-le-conjoint-ideal/)…

Mais ce qui nous éclaire sur ce qui meut Avraham et Its’hak dans la recherche de la femme idéale, c’est la conclusion de ce sujet: 

« Il l’a conduite dans la tente, et elle a pris la ressemblance de Sarah, sa mère, c’est-à-dire qu’elle est devenue aussitôt comme Sarah, sa mère. Aussi longtemps que Sarah était en vie, une lumière était allumée de chaque veille de Chabbat à la suivante, la pâte qu’elle pétrissait était bénie, et une nuée était fixée au-dessus de la tente. Tout cela a cessé à sa mort, pour reprendre à l’arrivée de Rivka (Beréchit Raba 60, 16). »

Désormais, la femme valeureuse est mesurée à l’aune des qualités de Sarah. Sarah qui est Sarah Iménou, Sarah notre mère. Sarah dont on considère qu’elle est la mère de toutes les converties, de toutes celles qui décident de rejoindre le peuple d’Israël, au point que leur nom s’accompagne toujours de « Bat Sarah », fille de Sarah. Encore une illustration de ce que cette Paracha est vraiment celle de la vie de Sarah.

Pour ce qui est de la conclusion de notre Paracha, on en a une vision plus brouillée. Après avoir marié son fils, Avraham épouse donc Ketoura, Hagar pour certains… Ce qui, comme je l’ai dit au début, peut nous laisser perplexes, surtout si on a décidé de dire que ‘Hayé Sarah nous parle de la vie de Sarah… Bon, je vous avoue que je n’ai jamais trop osé poser cette question à voix haute, par crainte de manquer de déférence envers Avraham Avinou… Mais j’ai entendu un cours du Rav Shnéor Ashkénazi qui ne se gêne pas du tout de mettre les pieds dans le plat, alors je m’autorise à la partager avec vous… En fait, c’est surtout la réponse à cette question que j’ai trouvée interessante. Notre Texte nous dit donc qu’Avraham a épousé Ketoura avec qui il a eu des enfants. Et surtout, qu’il les a «renvoyés d’auprès d’Is’hak, son fils, quand il vivait encore » après leur avoir donné des cadeaux. Alors qu « ’Avraham donna tout ce qui était à lui à Its’hak »

Sarah avait renvoyé Hagar et Ishmael car elle ne souhaitait pas qu’il « hérite avec Its’hak ». On se souvient qu’Avraham s’y était conformé mais uniquement après qu’Hachem ait conforté la position de Sarah. Ce n’était pas son approche. Parce qu’Avraham est le « père d’une multitude de nations », il a à coeur à ce que la connaissance de D.ieu s’attache à toutes les Nations, et à travers Ishmael c’est ce qu’il fait. Mais Sarah veille à ce que le particularisme du choix de D.ieu soit protégé à travers l’héritage d’Its’hak. Ce débat, qui agite le couple Avraham Sarah et qui est réglé par l’intervention divine quand D.ieu dit à Avraham « tout ce que te dit Sarah tu dois le faire »  s’était apaisé par la soumission d’Avraham à l’ordre divin. Mais on ne sait pas ce qu’il ressentait dans son coeur. Dans notre Paracha, alors que Sarah quitte ce monde, Avraham met un terme à cette histoire: il reprend Hagar par fidélité à sa mission universelle, mais il respecte et met en oeuvre le souci primordial de Sarah: que ce soit Its’hak et sa descendance qui héritent du projet de leur vie…

Voilà certainement en quoi notre Paracha est pleine de la vie de Sarah et irradie de ces valeurs qui, par les actions d’Avraham vont perpétuer l’héritage de Sarah à travers une Terre dont la première acquisition est ‘Hevron, et à travers une descendance qui commence avec le mariage de Its’hak et Rivka… 

Ce Chabbat, c’est Chabbat ‘Hevron. Beaucoup de personnes vont y passer un Chabbat riche en émotion et en spiritualité. L’actualité internationale continue à nous interroger sur notre lien à cette Terre. Je voudrais finir par une histoire que j’ai lue dans un ouvrage du Rav Shmuel Eliyahou sur la vie de son père, Rav Morde’hai Eliyahou qui fut Grand-Rabbin séfarade d’Israel de 1983 à 1993, un personnage hors du commun qui mérite à être (re)découvert…

« Pendant 700 ans, jusqu’à la Guerre des Six Jours, la Meharat Hama’hpela fut entre les mains des musulmans. Pendant toute cette période, les Juifs n’étaient pas autorisés à y entrer, ils ne pouvaient monter que jusqu’à la septième marche qui menait au bâtiment de la grotte. Immédiatement après la Guerre des Six Jours au cours de laquelle ‘Hevron a été libérée, le Grand-Rabbin séfarade de l’époque,  Rav It’hak Nissim envoya Rav Morde’hai Eliyahou s’occuper de la Grotte des Patriarches, du Mur des Lamentations et du Tombeau de Rachel. 

Alors qu’ils  étaient dans la grotte, les soldats y ont pénétré pour la première fois après les combats. Il y avait beaucoup de soldats et des hauts-gradés, parmi eux It’hak Rabin, ‘Haim Bar-Lev et Uzi Narkis, qui était le commandant en chef de la Région Centre. Il y avait aussi quelques Rabbins importants. Certains soldats étaient blessés, d’autres affamés et beaucoup d’entre eux,  épuisés après plusieurs jours de combats. Quand ils ont vu les tapis qui étaient au sol, certains se sont couchés dessus et endormis… 

Soudain, le Cheikh du Caveau des Patriarches qui s’appelait Jabari, est sorti et a crié aux commandants et aux soldats: « Sortez de cette grotte. Vous ne la respectez pas. Nous, musulmans, nous nous lavons les mains cinq fois avant d’y entrer! Nous nous déchaussons et respectons ce lieu! Vous, vous n’avez aucun respect pour cet endroit!  Vous dormez ici et vous mangez ici, et vous pietinez les tapis avec vos chaussures sales. Vous n’avez aucun respect pour ce lieu saint, sortez !! 

 » Apparemment, il avait raison. Tout le monde resta silencieux. Sauf Rav Morde’hai Eliyahou, qui comprenait la langue arabe comme la comprenaient presque tous les officiers. Il s’approcha de lui et lui dit: « Écoute Ya-Cheikh. Tu sais que si un serviteur vient devant le roi avec des vêtements sales et lui sert un plateau sale devant tous les ministres et les serviteurs, il mérite la mort!   Mais si le fils du roi, qui n’a pas vu son père et sa mère depuis des années, dont le père s’inquiétait pour lui  et au sujet duquel la mère se tourmentait toutes les nuits- si ce fils venait après vingt ans d’errance sans se faire annoncer,  avec des vêtements déchirés et poussiéreux, et qu’il arrivait au milieu d’un conseil au sommet en disant à son père: Papa, je suis de retour! Et à sa mère: Me voici, Maman, je suis rentré à la maison! Eh bien son père et sa mère le serraient dans leurs bras, avec ses vêtements déchirés. C’est leur fils! Ecoute Ya Cheikh, Avraham est notre père. Sarah, c’est notre mère. Nous agissons comme à la maison. Vous, les fils de  Fatima, vous êtes les fils de la servante, les fils d’Hagar. Tu agis comme un serviteur doit se comporter, nous agissons comme les enfants peuvent se comporter ! ». 

Le Cheikh, honteux et offensé, repartit dans son bureau très en colère. Les officiers supérieurs qui se trouvaient là s’offusquèrent et dirent au Rav Eliyahou:  « Qu’avez-vous fait? Nous voulons la coexistence pacifique avec les Arabes. Pourquoi l’avez-vous mis en colère? » 

Le Rav leur répondit: « Il faut leur dire la vérité. Ce n’est que comme cela qu’ils comprendont! » La discussion dura quelques minutes, jusqu’à ce que le Sheikh sorte de son bureau, tout contrit,  et vienne dire au Rav « ‘Hakham, Sidi, s’il vous plait, pardonnez moi! 

Le Rav se tourna vers les commandants et vers ses confrères et leur dit: Il faut dire la vérité et ils comprennent… »…

Chabbat Chalom

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Sarah Weizman

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