Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

H’ayé Sarah / Casting pour le conjoint idéal

H

Le cinéma israélien fournit produit parfois quelques pépites. La très talentueuse réalisatrice Rama Burshtein, qui se trouve être une femme orthodoxe, s’est distinguée notamment par deux opus que nous avons pu voir sur les écrans français ces dernières années. Le plus récent, The Wedding Plan (« laavor èt ha-kir » en VO) réalisé en 2016 et sorti en France au début de l’année 2018 est à mon sens un petit bijou de comédie romantique, kasher laméhadrin de surcroit… Il y est question de Mihal, une dynamique presque trentenaire hiérosolomyitaine désespérée de trouver l’âme soeur. Après avoir tout tenté, elle rencontre un jeune homme bien sous tous rapports avec qui elle se fiance ….et qui la plante au beau milieu leur rendez-vous de dégustation chez le traiteur! Notre jeune fille effondrée se ressaisit en décidant que puisqu’elle a déjà sa robe, réservé la salle de réception et l’orchestre et préparé les cartons d’invitation pour le huitième jour de Hanoucca, elle se mariera coûte que coûte ce jour-là; car « est-il trop difficile pour D.ieu de m’envoyer mon âme soeur d’ici là?! » dit-elle!

Le miracle de ’Hanoucca se fera-t-il pour Mihal? Je ne vous raconterai pas la fin du film, mais je peux juste vous dire qu’à la sortie du cinéma où je l’ai vu, des groupes de spectateurs s’attardaient sur le trottoir et débattaient avec force arguments autour de la question du miracle, du droit de mettre au défi D.ieu, de la folie de se marier sans même connaître l’autre, et de savoir si c’était comme cela que cela se passait chez les juifs orthodoxes. Questions philosophiques, sociales, psychologiques…

Et en lisant la Paracha de notre semaine, je me demande si Rama Burshtein n’a pas puisé son inspiration dans le premier mariage juif de l’Histoire. Sarah meurt, et Avraham considère qu’il est temps qu’Its’hak se marie. Mais qui pourra être l’heureuse élue? Quelle femme est à la hauteur d’un être qui est d’une telle perfection morale qu’il a été digne d’être tout entier consacré à D.ieu? Et qui doit poursuivre la mission que D.ieu a confiée à Avraham? Sur quels critères un parent juif choisit un conjoint pour son enfant, qui, comme tous les enfants juifs de l’histoire, est le meilleur-le plus beau-le plus intelligent du monde (et là, pour une fois, c’est vrai!)?

Qui dit mariage juif dit aussi Shadhan, marieur, et à défaut de la Yenté d’Un Violon sur le Toit, nous avons ici Eliezer, l’homme de confiance d’Avraham, qui a la difficile mission de trouver la perle rare…. Et Avraham lui donne des recommandations. Ou plutôt, une seule: la jeune fille doit venir de sa propre famille. On pourrait croire à une exigence chauvine, mais Eliezer a saisi l’intention de son maître…. Il l’a si bien comprise, que voici ce qu’il fait, aussitôt arrivé à Haran, la ville de la famille d’Avraham:

« II fit reposer les chameaux hors de la ville, près du puits; c’était vers le soir, au temps où les femmes viennent puiser de l’eau. Et il dit: « Seigneur, Dieu de mon maître Abraham! daigne me procurer aujourd’hui une rencontre et sois favorable à mon maître Abraham. Voici, je me trouve au bord du de la source et les filles des habitants de la ville sortent pour puiser de l’eau. Eh bien! la jeune fille à qui je dirai: ‘Veuille pencher ta cruche, que je boive’ et qui répondra: ‘Bois, puis je ferai boire aussi tes chameaux’, puisses-tu l’avoir destinée à ton serviteur Isaac et puissé-je reconnaître par elle que tu as prodigué de la Bonté à mon maître! »

La lecture de ce texte nous laisse pantois. Et les commentateurs aussi d’ailleurs. Qui soulèvent des foules de question sur la prière d’Eliezer, qui peut être vue comme au pire une mise au défi de D.ieu et au mieux comme un pari insensé: si je demande à la jeune fille un peu d’eau et qu’elle me répond qu’elle me donne à boire et aussi à mes chameaux, ce sera la bonne! N’est-ce pas un test un peu aléatoire que propose Eliezer? N’est ce pas un peu léger, pour un « marieur »?! Eliezer est-il l’ancêtre des marieurs des blagues juives (et malheureusement pas que des blagues d’ailleurs!) qui jouent à la roulette russe avec les célibataires qui leur confient leur destinée?

Vous imaginez bien que la réponse à cette question est négative, et il nous faut donc nous pencher sur ce drôle de « deal » qu’Eliezer propose à D.ieu dans sa prière…

Les candidats au mariage ont toujours beaucoup de critères. J’ai connu un jeune homme qui avait fait un tableau Excel avec toutes les qualités qu’il recherchait chez sa future femme, et elle était si longue qu’il y avait plusieurs pages, dont il cochait les cases au fil des rencontres… Je se sais pas s’il en est encore à cocher ses cases, mais pour le compte de son mandataire, Eliezer fait passer à la candidate qui s’ignore un test de personnalité. Et pour lui qui connait si bien Avraham et qui a intégré l’essence de sa mission, il n’y a qu’un critère qui vaille la peine d’être vérifié chez la future femme d’Its’hak: est-elle généreuse, ou pas?

Le Talmud (Taanit 24,a) a cette sentence étonnante: « Une fiancée qui a de beaux yeux, son corps n’a pas besoin d’être examiné »: « tu as de beaux yeux, tu sais » et cela suffirait? Ou comme le dit le Kli Yakar (Rav Chlomo Ephraim de Luntschitz (XVIème siècle, Pologne), il y a des personnes très laides qui ont de très beaux yeux! D’ailleurs, les agences de mannequins font aussi des castings pour des mannequins-détail: on peut être mannequin-yeux et ne pas être vraiment top-modèle par ailleurs! De plus, poursuit le Kli Yakar, on ne peut pas imaginer que les Sages du Talmud encouragent à choisir son conjoint sur des critères de beauté extérieure, alors que la « la grâce est mensonge et la beauté est vanité » (Proverbes XXXI). « Les beaux yeux » dont on parle ici, c’est la qualité de bonté et de générosité, le bon oeil ou le bel oeil (‘Ayin Yaffa ou ‘Ayin Tova), en opposition au « mauvais oeil » (‘Ayin Ra’a) ou encore, la jalousie, l’avarice.

Ce qu’Eliezer vérifie, c’est si la jeune fille a une oeil beau et bon. Dans tous les sens du terme. Est-elle généreuse dans ses paroles? Dans ses actes? Quel regard porte-telle sur le monde et sur les êtres? Eliezer teste. Il ne demande qu’un peu d’eau. Comment répondra la jeune fille?
Si elle ne lui verse qu’un peu d’eau, elle est juste polie. Mais l’homme est accompagné de 10 chameaux. Y prêtera-t-elle attention? Est-elle sensible au bien-être des animaux? Et surtout, imaginons la scène telle que nous décrit le texte:

« Elle répondit: « Bois, seigneur. » Et vite elle fit glisser sa cruche jusqu’à sa main et elle lui donna à boire. Après lui avoir donné à boire, elle dit: « Pour tes chameaux aussi je veux puiser de l’eau, jusqu’à ce qu’ils aient tous bu. » Et elle se hâta de vider sa cruche dans l’abreuvoir, courut de nouveau à la fontaine pour puiser et puisa ainsi pour tous les chameaux. Et cet homme, la regardait en attendant, la considérait en silence, désireux de savoir si l’Éternel avait béni son voyage ou non ».

« Cet homme », Eliezer, dont le midrach nous dit par ailleurs qu’il était d’une force surhumaine, reste assis. La jeune fille court de la source à l’abreuvoir, et elle puise jusqu’à ce que les 10 chameaux, qui boivent comme des chameaux, aient étanché leur soif. Et il ne bouge pas…. Rav Elie Lemmel, dans une conférence qu’il donne aux futurs mariés, voit dans cette scène l’illustration des valeurs fondamentales que les prétendants au mariage doivent développer en eux et rechercher chez leur futur conjoint. La jeune fille, Rivka en l’occurence, aurait pu légitimement s’étonner, comme le dit le commentateur italien Sforno, voire même protester: comment ce monsieur qui a l’air fort et bien portant, et qui doit certainement être accompagné de chameliers avec ses chameaux, peut rester assis les bras croisés pendant qu’elle court dans tous les sens à puiser et porter des litres d’eau?! Eh bien non, elle ne pose pas la question. Cet homme lui a demandé à boire: pour elle, c’est que, pour une raison qui lui échappe, il ne peut se servir tout seul. Alors elle lui donne de l’eau. Et elle se dit: si pour lui-même il ne peut puiser de l’eau, comment pourra-t-il abreuver tous ces chameaux qui attendent? Alors elle court et s’occupe d’eux aussi. Parce que la Bonté, la générosité, c’est donner. Rivka ne comprend pas pourquoi il a besoin de cela. Elle le sait. Il le lui a dit. Et elle a compris au-delà des mots.

La clé d’un mariage réussi, conclut donc le Rav Elie Lemmel, ce n’est pas de COMPRENDRE l’autre, mais de SAVOIR l’autre. Il y a des choses que jamais une femme ne comprendra sur son mari. Des attentes d’une femme qui resteront un mystère pour son mari. Mais nul n’est besoin de comprendre. Ce n’est pas la peine d’être convaincu du bien-fondé du besoin de l’autre. Il faut juste savoir que l’autre en a besoin et VOULOIR le lui donner…

C’est exactement ce que’Eliezer, génial serviteur d’Avraham, a mis en place dans ce test de personnalité. Il ne s’agissait pas juste de trouver une fille de bonne famille. Pas uniquement qu’elle soit bonne et généreuse. Mais il fallait une femme qui ait l’intelligence du coeur, qui ait la capacité de comprendre que quand l’autre exprime un besoin, il ne s’agit pas juste de le combler mais de saisir ce qui se cache au-delà de cette demande. Le « bon oeil », ce n’est donc pas juste la prodigalité, la largesse, les cadeaux. Bien évidemment, ce sont des qualités basiques pour fonder un couple; mais Eliezer, exécutant la démarche d’Avraham, recherche pour Its’hak une femme avec un bon oeil, regard positif, qui juge les situations avec un a priori bienveillant, qui veille au bien de l’autre…

Dans la Michna d’Avot, (II, 9), un autre Eliezer revient sur cette qualité du « bon oeil ». Eliezer ben Orkenos, que son maître compare a une « citerne cimentée qui ne perd pas une goutte », parce qu’il retient tout ce qu’on lui enseigne, considère que la meilleure voie pour l’épanouissement personnel, c’est d’avoir un « bon oeil »: c’est comprendre que donner à l’autre n’implique pas de se démunir personnellement. Quand je donne d’un « bon oeil », je juge autrui favorablement, et je considère que loin de me léser, la réussite et le bonheur d’autrui me renforcent. Je ne perds pas de « goutte » mais j’en gagne! Je reçois bien plus que je ne donne… (Rav Abraham Weingort, Lev Banim).

Voilà donc la valeur sur laquelle le premier mariage juif de l’histoire se construit: le ‘Hessed décliné sous toutes ses formes, et un sérieux coup de rabot à toutes les autres prétentions!

(לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ז״ל ישראליוויטש)

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Sarah Weizman

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