Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Haazinou 5780 / La mémoire en chantant

H

 

Haazinou, c’est un chant. Comme à d’autres moments charnières de l’Histoire, le chant prend le relai du discours… Le Midrash Tan’houma répertorie Dix Cantiques: celui que les hébreux chantèrent en Egypte (Isaïe XXX, 29), le Cantique de la mer Rouge, le Cantique du Puits (que j’ai développé à la Paracha ’Houkat: http://www.sarahweizman.com/2018/06/22/houkat-le-chant-de-lame-az-yashir-une-facon-de-feter-la-musique/), le Cantique de notre Paracha, celui de Josué, le Chant de la prophétesse Deborah, celui de ‘Hanna, la mère du Prophète Samuel, celui du Roi David, et celui de son fils, le Roi Salomon, auteur du Cantique des Cantiques. Le dixième cantique, nous ne l’avons pas encore reçu: c’est celui du Machia’h… 

En fait, le chant de Haazinou est déjà annoncé dans la Paracha de la semaine dernière, Vayele’h. Une Paracha qui est lue entre Roch Hachana et Kippour et qui parle beaucoup de Techouva; c’est donc forcément ce qui retient notre attention… D.ieu y dit que dans l’Histoire, le Peuple Juif fautera et ne répondra pas forcement à l’attente qu’Il a de lui. Qu’il sera puni et exilé. Et qu’il y aura des moments de doute et de brouillard.

« Mais alors même, je persisterai, moi, à dérober ma face, à cause du grave méfait qu’il aura commis en se tournant vers des dieux étrangers. Et maintenant, écrivez pour vous ce cantique, qu’on l’enseigne aux enfants d’Israël et qu’on le mette dans leur bouche, afin que ce cantique me serve de témoignage à l’encontre des enfants d’Israël. Quand j’aurai introduit ce peuple dans le pays que j’ai promis par serment à ses pères et où ruissellent le lait et le miel; vivant dans l’abondance et gorgé de délices, il s’adressera à des dieux étrangers, il les servira, me témoignera du mépris et rompra mon alliance. Vienne alors la multitude de maux et d’angoisses qui doivent l’atteindre, le présent cantique portera témoignage en face de lui -car la bouche de sa postérité ne l’oubliera point- parce que je sais ce qu’aujourd’hui déjà son penchant le porte à faire, avant même que je l’aie introduit dans la terre par moi promise! » Et Moïse écrivit le cantique suivant, ce jour même, et le fit apprendre aux enfants d’Israël.

Devarim XXXI, 18-22


On ne se rend pas toujours compte de cette transition particulière: en prévision des moments dramatiques où D.ieu cachera Sa face, Moché et le peuple doivent écrire la Chira, le Cantique. Ce sera le ressort ultime qui permettra au Peuple d’Israël de remonter des abîmes de l’exil et de la souffrance… 

Et le Cantique dont il est question, c’est celui de Haazinou… Il est d’ailleurs introduit par le dernier verset de la Paracha Vayele’h: « Et Moïse fit entendre à toute l’assemblée d’Israël les paroles du Cantique suivant, jusqu’à la fin »

Haazinou est un donc le dernier message de Moché au peuple réuni. On imagine l’intensité émotionnelle de ce moment, la conclusion de 37 jours d’exhortations, de remontrances, d’avertissements, d’encouragements. Dans ce Cantique, Moché remonte aux origines de la Création. Il évoque le Ciel, et la Terre, balaie l’Histoire en enjoignant le peuple, à toutes les générations, de s’inscrire dans une histoire qui n’est pas juste celle d’un peuple mais avant tout, une histoire familiale:

« Souviens-toi des jours antiques, médite les annales de chaque siècle; interroge ton père, il te l’apprendra, tes vieillards, ils te le diront! »

Le pouvoir évocateur du chant va donc transcender toutes les difficultés du destin juif. Jusque là, nous avions un texte, la Torah. Mais il s’accompagne d’une mélodie. Et d’ailleurs, le texte de la Torah est toujours accompagné d’une mélodie. Il y a la cantilation du texte que nous lisons toutes les semaines à la Torah. Parfois, la mélodie change, quand le texte est lu à des moments joyeux comme la Meguilat Esther, ou à de tristes occasions comme les Lamentations d’Eikha. Il y a aussi la mélodie de l’étude du Talmud, celle qui perce derrière le brouhaha du Beth Hamidrash. Et il y a la mélodie de la prière, celle qui traverse les âges et qui nous marque plus que les mots eux-mêmes.  J’ai découvert par exemple dans une analyse de Kol Nidré du Rabbin Elie Munk que Rabbi Morde’hai Yaffé, auteur au XVIème siècle du Levouch, un ouvrage sur la Loi juive, écrit « La forme sous laquelle ce passage est désormais imprimé dans les Ma’hzorim est tout à fait absurde et inintelligible; la seule chose qui lui confère signification et contenu est sa mélodie. Chaque fois que j’ai tenté d’améliorer le texte et d’enseigner ma nouvelle version aux officiants des synagogues, mes efforts ont été vains car ils sont trop attachés à la mélodie traditionnelle qui s’adapte mieux à l’ancien texte »… 

La puissance de ce Chant est donc une clé de la survie du peuple d’Israel: « le présent cantique portera témoignage en face de lui -car la bouche de sa postérité ne l’oubliera point ».

Le Rav Adin Steinsaltz-Even Israel rapprochant les deux Cantiques de Moché, celui de la Mer Rouge et celui de Haazinou, met en avant le fait qu’après la Mer Rouge, nous étions au début du chemin alors qu’ici, nous sommes en fin de parcours. C’est un chant qui sent la nostalgie, un chant de séparation. C’est aussi un chant avec des annonces prophétiques, où Moché laisse entendre que le Peuple d’Israel connaitra des hauts et des bas. Qu’il aspirera enfin à la normalité, qu’il voudra être comme les autres peuples; mais que le peuple d’Israel ne pourra pas être comme tous les peuples. Et que malgré l’éloignement et les exils, D.ieu le sauvera… 

En fait, D.ieu demande à Moché trois choses: d’écrire ce cantique, de l’enseigner au Peuple pour qu’il en intègre le sens profond, et de le « mettre dans leur bouche », c’est à dire de faire en sorte qu’ils soient capables de le chanter comme lui le leur a enseigné. 

Et ce n’est pas pour rien que la quintessence du message de Moché doit passer par le chant. Un texte écrit dans un livre, c’est bien, mais il peut rester lettre morte. Même ce que l’on apprend par coeur, on peut l’oublier. Mais la mélodie, le chant font partie de ce qui reste le plus ancré dans la mémoire humaine. C’est ce que s’est employée à démontrer une étude menée par le Dr Isabelle Rouch qui est neurologue au CHU de St-Etienne, sur des patients atteints d’un Alzheimer: « Chanter est stimulant. Les patients ont la capacité d’apprendre ; la musique, qui n’emprunte pas les mêmes circuits de la mémoire que le langage, permet d’aider à mémoriser », résume le Dr Rouch. 

Comme si dans le brouillard de l’absence et de la dissimulation, alors que l’oubli guette et que tout s’efface, éclate un chant mémoriel du fond des âges, et ce chant, c’est celui de la conscience juive, de Haazinou. 

Il est particulièrement interessant que ce chant commence par l’adresse « Haazinou », « Prêtez l’oreille! », comme un écho au Chema Israel, « Ecoute Israel » de notre profession de Foi. 

Et Moché précise: « Prêtez l’oreille, cieux, je vais parler; et que la terre entende les paroles de ma bouche. » 

Il prend à témoin le Ciel et la Terre, témoins de l’histoire depuis le début. Mais aussi, explique le Or Ha’haïm, « sur un plan moral et éthique, Moché interpelle peut être les deux composantes de l’homme, les composantes spirituelle et physique. Moché appelle la partie spirituelle « ciel » et la partie physique « terre ».  L’âme est donc appelée à « tendre l’oreille »… Quand le corps ne peut entendre le message divin, elle peut discerner des échos du chant de Moché pour se réveiller de sa torpeur et revenir vers son destin…

Le chant de Haazinou c’est donc celui de la conscience juive, parfois endormie, étouffée, comme un écho d’une berceuse lointaine, parfois vibrante et victorieuse. Mais toujours, elle saura raviver notre attachement à D.ieu et sera prélude au Chant nouveau qui éclatera à la venue de Machia’h…

Chabbat Chalom!


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Sarah Weizman

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