Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

‘Houkat / Le Chant de l’Âme: Az Yashir, une façon de fêter la musique

Hier, dans toutes les villes de France, on a fêté l’arrivée de l’été avec la musique… Célébration joyeuse ou débridée, mélancolique ou violente, on chante comme on vit…

Nous, nous lisons ‘Houkat. Il flotte comme un air de nostalgie. On finit une époque, on est séparé de ceux qui nous ont accompagnés et aidés à grandir. Une atmosphère de fin d’école, quand les élèves quittent le cocon protecteur de l’école, les maîtres qui les connaissent, ont su les diriger avec amour et fermeté et ont pris tous les risques pour les mener à bon port. Il s’est passé 37 ans depuis Kora’h la semaine dernière, c’était hier… Le Peuple d’Israël n’est plus le même. Ceux qui sont sortis d’Egypte sont morts dans le désert, une nouvelle génération se met en marche pour accomplir le projet pluricentenaire de rentrer en Terre d’Israël. 

Plusieurs événements dramatiques émaillent la  Paracha. Myriam disparaît, Moché et Aharon se retrouvent disqualifiés pour continuer à mener un peuple qui a d’autres défis à relever que la génération précédente; Aharon est ravi à son peuple, et Moché sait désormais qu’il mourra et ne sera pas celui qui conduira le peuple en Terre d’Israel. 

On pourrait mettre en fond sonore une douce musique mélancolique. On pourrait rester sur une impression couleur sépia de ‘Houkat. On a envie de dire avec Lamartine: « Ô temps suspends ton vol! » et « Un seul être vous manque et tout est dépeuplé »; mais ce serait une fausse impression. Parce qu’en même temps, cette Paracha est aussi la plus positive depuis longtemps. Enfin on se dirige vers la Terre de Canaan pour la conquérir! Le cours de l’histoire de nos ancêtres dans le désert, qui s’était comme figé pendant 37 ans reprend. Si notre Paracha est clairement celle de la fin d’une époque, celle où le triumvirat qui conduit et protège le peuple d’Israël va se défaire, l’Histoire continue, et même de plus belle.

On oscille donc entre la nostalgie et l’impatience à voir la promesse divine enfin se réaliser. Les va-et-vient entre d’un côté la mort, le drame et a finitude, et de l’autre,  la vie et l’action, rythment toute notre Paracha. Et l’espoir trouve son expression ici sous la forme d’un élément indispensable à la vie: l’eau. 

Dès le départ, la Paracha où le thème de la mort rôde avec constance, fournit les conditions qui permettent de créer un antidote à l’impureté induite par la fin de la vie terrestre. La Vache Rousse, archétype des lois supra-rationnelles de la Torah, est brûlée et réduite en une cendre qui sera mélangée à  « Mayim ‘Hayim » de « l’eau vive » (Bamidbar XIX, 17. Je voulais traduire « eau de vie » mais cela prête à confusion….) 

Puis la mort de Myriam entraine une pénurie d’eau. C’est à la suite de la plainte des Enfants d’Israël que Moché va frapper le rocher au lieu de parler, et que Moché et Aharon sont condamnés à mourir avant l’entrée en Israel. L’eau de la vie devient cause de la mort…

 A côté de ces événements dramatiques, quelques versets risquent de passer presqu’inaperçu: 

 Puis, ils gagnèrent Beêr, ce puits à propos duquel le Seigneur dit à Moïse: « Assemble le peuple, je veux lui donner de l’eau. »

C’est alors qu’Israël chanta ce cantique: « Jaillis, ô source! Acclamez-la!… 

Ce puits, des princes l’ont creusé, les plus grands du peuple l’ont ouvert, avec le sceptre, avec leurs verges!… » Et de Midbar ils allèrent à Mattana; de Mattana à Na’haliel; de Na’haliel à Bamoth; et de Bamoth, à la vallée qui est dans la campagne de Moab, au sommet du Pisga, d’où l’on découvrait l’étendue du désert.  

Bamidbar XXI, 16-20

Si on peut facilement passer à côté de ce paragraphe, les sages eux, relèvent son côté exceptionnel… Le « Cantique du Puits » est pour beaucoup d’entre eux le pendant direct du « Cantique de la Mer Rouge ». Il est d’ailleurs introduit par les même mots: Az Yachir. Qu’est ce qui donne donc envie au Peuple d’Israël de chanter? Et pourquoi juste à ce moment-là? 

On a plusieurs pistes:

  • Ils chantent d’eux-mêmes, spontanément. Le « Cantique de la Mer », c’est Moché qui l’a entonné. C’est son initiative, et eux suivent. Le Peuple tout juste sorti d’Egypte a besoin d’être pris en mains. La démonstration doit être évidente, D.ieu leur montre ouvertement la puissance de Sa protection. 40 ans plus tard, ils n’attendent pas Moché pour reconnaitre la Main de D.ieu. Ils ont mûri et n’ont pas besoin de preuves aussi éclatantes, même si Hachem leur donne quand même des indices clairs. « Rabbi Simon dit: ce n’est pas tout celui qui le veut qui peut chanter un Cantique, mais celui qui a bénéficié d’un miracle et qui en a fait un Cantique, toutes ses fautes lui sont pardonnées et il devient une personne nouvelle ». (Midrash Tehilim)
  • Ils chantent pour remercier D.ieu pour l’eau potable qui les suit miraculeusement dans tous leurs déplacements depuis près de 40 ans. Mais, nous demandent les commentateurs, pourquoi ne l’ont-ils pas fait avant?  Tout simplement parce qu’on ne prend pas conscience de ce que l’on a tant qu’on n’en ressent pas le manque… Le puits, un miracle attribué au mérite de Myriam, disparaît avec elle. Ce qui leur semblait normal et naturel est brusquement interrompu. Quand un petit grain de sable se glisse dans les rouages d’une mécanique bien huilée, quand une catastrophe naturelle vient frapper nos pays même les plus industrialisés, on découvre soudain que rien n’est évident… Quand Hachem remet en place le puits et l’eau, cette fois par le mérite de Moché, les Enfants d’Israël vont enfin réellement apprécier à sa juste valeur le miracle permanent qui les accompagne et remercier par un cantique. La Torah nous fait ici une petite piqure de rappel: il faut savoir apprécier et remercier le miracle du quotidien
  • Ils chantent parce que le miracle du puits en cache un autre. Rashi reprend le récit du Midrash de Tanhouma qui nous révèle la nature de ce miracle: « Les montagnes y étaient élevées et la vallée profonde et étroite. Les montagnes étaient si rapprochées l’une de l’autre que l’on pouvait se parler d’un sommet à celui lui faisant face. Un chemin passait au fond de la gorge. Les Émoris se sont dit : « Lorsque les enfants d’Israël entreront dans le pays en traversant le défilé, nous sortirons des grottes des montagnes qui la dominent et nous les tuerons avec des flèches et des pierres servant de projectiles. » Ces anfractuosités se trouvaient dans la montagne du côté de Moav, et face à elles, sur la montagne du côté de Émori, se trouvaient des éperons et des corniches formant saillie. Aussitôt qu’Israël s’est engagé dans le passage, la montagne située en Erets Israel s’est mise à trembler, comme une servante qui sort accueillir sa maîtresse, et elle s’est rapprochée de celle du côté de Moav. Les éperons ont pénétré dans les anfractuosités et ont tué leurs occupants. (…) De là la cascade s’est jetée dans le puits. Comment cela ? Le Saint béni soit-Il a dit : « Qui fera connaître tous ces miracles à mes enfants ? » Comme le dit le proverbe, « si tu donnes du pain à un enfant, fais-le savoir à sa mère ! » (Chabath 10b). Après leur passage, les montagnes ont retrouvé leur place, et le puits a été précipité dans la vallée d’où il a ramené du sang des tués, des bras et des membres qu’il a fait défiler autour du camp. Israël l’a vu et a entonné un cantique ». Le Cantique du Puits, c’est donc le remerciement pour le voile qui se déchire: D.ieu donne à voir à son peuple une infime partie de ce qu’Il fait pour lui; imaginons donc tout ce qui n’est pas porté à notre connaissance!
  • Ils chantent parce qu’ils remercient D.ieu pour la Torah qu’Il leur a donnée: « De Midbar à Matana, de Matana à Nahaliel, de Nahaliel à Bamoth ». Pour recevoir la Torah, concluent-ils après 40 ans passés dans le désert (Midbar) l’homme doit se faire désert: humble et dénudé, vierge de tout préjugé et de tout orgueil. Il peut alors recevoir la Torah, le cadeau (Matana) divin. L’étudier et la pratiquer lui permettra de prendre possession de l’héritage que D.ieu lui donne (Na’haliel) ou encore, de devenir la part de D.ieu, de developper un lien exclusif avec Lui. Enfin, il pourra atteindre des sommets (Bamoth) dans sa réalisation personnelle…

Le Puits, c’est donc le miracle de l’eau potable, c’est le miracle de la protection divine continue, c’est aussi la Torah, « l’eau vive » de la spiritualité du peuple d’Israël sans laquelle il n’est rien. 

Mais ce Cantique, comme celui de la  Mer Rouge, est dirigé vers le futur: « Az Yachir »: « alors chanteront les Enfants d’Israël ». Dans son analyse sur ce Cantique, le Rav Haim Sabato cite le Rav Chlomo Yossef Zevin, le célèbre rédacteur de l’Encyclopédie Talmudique, qui explique que le puits est le symbole de la pureté et de la sainteté. « Et comme l’eau de source qui jaillit du bas vers le haut, jaillit toujours dans l’intériorité d’un Juif de désir de s’élever et de gravir les sommets de la Sainteté et de la pureté. 

Le Rabbi de Loubavitch insiste sur le caractère supérieur de ce Cantique par rapport à celui de Moché. Le fait qu’il émane de tout Israel lui donne un caractère d’éternité tel que le Talmud ( Rachi sur Roch Hachana 31a) enseigne qu’au Temple, ce passage était lu en alternance avec d’autres un Chabat sur trois, au moment de Min’ha, temps que la Kabbalah nomme « Raava deraavin », moment propice entre tous pour que nos prières soient agréées. C’est d’ailleurs à ce moment où nous nous réunissons pour la Séouda Chlichit que dans de nombreuses communautés, on entonne en choeur des chants qui parlent de l’âme et de son élévation vers la Sainteté. 

Le Cantique du Puits, est par excellence un chant de l’âme. Le Or ha’Hayim, dans un développement extraordinaire, s’arrête sur la fin du Cantique: « et de Bamoth, à la vallée qui est dans la campagne de Moab, au sommet du Pisga, d’où l’on découvrait l’étendue du désert. » Nous passons des hauts lieux à la vallée… Même celui qui atteint les plus hauts sommets que lui permet d’atteindre son élevation spirituelle est condamné à la vallée de la mort; nous revenons au point de départ de la Paracha, à la finitude de l’humain… Je n’ai pas la prétention de résumer ici le commentaire de Rabbi ’HaIm Benattar qui touche plutôt aux hautes sphères, mais il y a quand même une idée que j’aimerais partager avec vous: pour lui, la finalité de l’homme et les fruits de son investissement sur terre, il les récolte dans l’immatérialité du monde futur; et pour ce faire, il doit forcement être dépouillé de son enveloppe corporelle. Ce qui implique que même sans la faute d’Adam, l’homme aurait connu une sorte de mort à l’instar du prophète Elie qui est monté vivant au Ciel, c’est à dire avec son corps, qu’il laisse en dépôt dans un endroit situé sous le Soleil et qu’il réintègre quand il doit redescendre sur Terre… 

Cela, c’est dans le monde idéal d’avant la Faute, niveau qui a été de nouveau atteint après la Révélation du Sinaï puis encore perdu avec le Veau d’Or… Le Or ha’Hyim nous donne quand même une consolation: nous pouvons toujours atteindre ce niveau au moyen de l’étude de la Torah. Et cela, il l’apprend du Cantique du Puits. 

L’eau vive du Puits, c’est la Torah, c’est la puissance de la Kedoucha qui jaillit du plus profond de l’être juif… Et son secret éclate à travers le chant, « la plume de l’âme » selon l’expression du Baal haTanya…

Le Chant de l’Âme est donc la bande-son d’une vie juive que nous fêtons non pas uniquement le 21 juin mais chaque fois que nous étudions la Torah et nous élevons ainsi au-dessus de notre condition de mortels…

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Sarah Weizman

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