Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayikra / Les Sacrifices… c’est pas le Pérou!

V

Vayikra, le Lévitique, qu’inaugure la Paracha de cette semaine, est le 3e livre du Pentateuque; le livre du milieu, certains diraient le coeur même de la Torah.  Très orienté vers les prêtres et les Leviim, les premiers chapitres de Vayikra exigent des lecteurs que nous sommes un effort d’identification, tant ce qui y est décrit peut sembler loin de notre réalité contemporaine… Et pourtant; c’est le plus concret et le plus actuel des livres de la Torah. On est peut-être loin des histoires de famille de Bereshit ou du grand récit national de Chemot. Mais si les deux livres précédents et les deux suivants parlent beaucoup de l’histoire de nos ancêtres et nous racontent qui nous sommes, Vayikra nous dicte comment nous devons agir. Les Sages l’appellent Torat Cohanim, la Loi des Prêtres; et nous pensons immédiatement au grand-prêtre en service le jour de Kippour ou au service quotidien du temple avec les rituels des sacrifices entre autres. Pourtant, dès le moment crucial de l’alliance du Sinai, D.ieu annonce que la prêtrise n’est pas réservée à une élite du peuple d’Israel, mais c’est bien tout le peuple qui joue ce rôle au regard des Nations: « Et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte ». C’est un des termes du contrat qui nous lie à D.ieu…

Etre juif, c’est être prêtre.  Et qui dit prêtrise dit sainteté, et qui dit sainteté dit pureté. Et c’est ce que s’emploie à développer tout le livre du Lévitique, en commençant par les sacrifices puis en déclinant cette notion à tous les aspects de la vie matérielle du peuple d’Israel. 

Vayikra s’ouvre donc sur un appel, un appel de D.ieu à Moché d’une nature un peu spéciale puisque le terme est reproduit avec une graphie spéciale. Un petit Alef en fin de mot qui interpelle le lecteur au premier regard et qui demande explication. 

C’est sur ce mot que je m’étais arrêtée l’an dernier, (http://www.sarahweizman.com/2018/03/16/vayikra-vayikra-headspace-et-le-temps-de-cerveau-disponible/ ) et cette fois, si nous irons un peu plus loin dans notre lecture des versets, nous devrons d’abord comprendre quelle est la nature de cet appel. Dans l’appel, nous dit le Rabbi de Loubavitch; il y a une injonction à faire, à avancer, à agir. Dans l’appel, nous dit le Rav Yerou’ham Leibovitz de Mir, il y a une exportation à d’arrêter, à se retrouver, à l’introspection. Une injonction à être. Les deux interprétations ne sont pas contradictoires, mais bien complémentaires. Et c’est la suite des versets qui va nous expliquer comment, entre l’arrêt sur image et la volonté de mouvement, la notion du Korban, du Sacrifice synthétise cet appel…

Je dois dire que quand on aborde le sujet des Korbanot, ces sacrifices animaux qui étaient faits au Michkan puis au Beth Hamikdach, nous sommes toujours un peu gênés aux entournures: comment comprendre le mécanisme du pardon à travers le Sacrifice? Qu’est ce que la malheureuse bête a fait de mal pour être sacrifiée à cause de la faute d’un homme? Et qu’est ce que D.ieu a à faire de toutes ces offrandes? 

Je ne répondrai certainement pas à tout cela ici, mais j’ai voulu aller vers ce sujet cette semaine parce qu’il y a quelques jours, plusieurs articles dans la presse ont retenu mon attention: au Nord de l’actuel Pérou a été mis au jour par les archéologues le plus grand site sacrificiel découvert en Amérique, avec les ossements de plus de 140 enfants de 5 à 14 ans… Un massacre rituel perpétré il y a environ 500 ans dans une tribu pré-Inca, probablement pour « apaiser les dieux » face à un phénomène de précipitations très abondantes… Je vous passe les détails macabres, mais un détail est important: sur tous, il a été constaté une ouverture de la cage thoracique pour en extraire le coeur…  Il fallait offrir des coeurs innocents!

Pour moi, cette découverte terrible qui met en lumière des pratiques pas si lointaines que cela (500 ans, c’est peu, c’est l’expulsion des juifs d’Espagne!) est l’occasion d’une mise en perspective en regard de notre Paracha, où il est question de Sacrifices aussi. Mais la similarité s’arrête là, et très clairement… 

« Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: Si un homme d’entre vous veut présenter au Seigneur une offrande de bétail, c’est dans le gros ou le menu bétail que vous pourrez choisir votre offrande. » (Vayikra I, 2),

D’abord Rashi: pour lui, le texte parle d’ « un homme » qui veut offrir. La personne est désignée ici par le terme « Adam » et non pas Ich ou autre mot signifiant « Homme », parce qu’il est fait référence à Adam, le premier homme, l’homme originel voulu et créé par D.ieu donc d’une haute intégrité morale… L’homme en pleine possession de ses qualités physiques et morales. 

Rabbénou Be’hayé, qui vécut avant le massacre sus-cité à Saragosse, en Espagne (il est né en 1255 et mort vers 1340) est l’auteur d’un commentaire majeur de la Torah, d’inspiration kabbalistique. 

Sur le sacrifice annoncé ici, voici ce qu’écrit notre commentateur: « quand un homme parmi vous veut apporter une offrande, etc. ». Selon la grammaire de notre verset, on pourrait en déduire qu’un sacrifice humain est théoriquement permis. Si D.ieu avait voulu exclure une telle possibilité, la Torah aurait dû écrire «un homme parmi vous qui veut offrir un sacrifice. ». Un examen plus attentif du texte convaincra qu’une telle traduction (et signification) aurait été tout à fait impossible. La signification de ce verset est la suivante: «Si quelqu’un parmi vous ressent l’envie de se sacrifier à D.ieu, vous devez le faire en offrant un animal domestique tel qu’un spécimen du bétail ou du troupeau. Vous ne devez pas prendre un être humain en sacrifice à D.ieu. Dans le cas où quelqu’un douterait de cela, cela est clairement énoncé dans Jérémie 19,5: le prophète châtie le peuple pour avoir offert des sacrifices humains, y compris leurs enfants, au Baal, à propos de quoi D.ieu dit: « Je n’ai jamais commandé, jamais décrété, et qui ne m’est jamais venu à l’esprit. Compte tenu de tout ce que nous avons dit, la Torah a pris soin de commencer le sujet des Korbanot avec le mot Adam,  «un homme »: l’homme est celui qui fait l’offrande, mais il n’est pas l’offrande!»

En fait la démonstration a déjà été faite depuis Abraham que D.ieu ne veut pas de sacrifice humain. Cela nous semble évident aujourd’hui mais nous devons savoir que pendant des siècles, nos ancêtres ont été tentés par les rites idolâtres de leurs voisins et qu’à certaines périodes, certains les ont imités en faisant des sacrifices humains, ce que les Prophètes sont amenés à rejeter et à critiquer avec force… Cette idéologie du sacrifice était donc bien plus puissante qu’on ne l’imagine… 

Alors quelle est la fonction des Korbanot, puisque sacrifices animaux il y a bien dans la Torah? Est-ce un dérivatif plus moral au besoin sacrificiel des hommes comme le laisse entendre Maimonide? 

En masse, les commentateurs voient les sacrifices comme d’abord un travail de l’homme sur l’homme; le terme Korban venant de Karov, « proche », le sacrifice rapprochant l’homme de D.ieu. 

Il y a toutes sortes de sacrifices mais dans notre Paracha, les sacrifices faits par des particuliers sont d’abord, comme le note Rashi, des actes volontaires. Et ensuite, le sacrifice ne vient expier que des fautes involontaires, des erreurs d’inattention si l’on peut dire… 

Et c’est là que cela devient intéressant. On comprend que pour une faute avec préméditation, l’expiation viendra après la punition… Mais pour une faute non voulue, pourquoi ne suffit-il pas de regretter en son for intérieur?  Il faut imaginer que tout le monde n’habitait pas près du Beth Hamikdach et qu’il fallait donc déjà aller à Jerusalem. Puis choisir la bête, l’acheter (et ça pouvait coûter cher!), la tirer jusqu’au Temple, effectuer tout un rituel et participer à son abattage… 

Pourquoi donc tant d’efforts? Et surtout, pour quelque chose qui n’était pas intentionnel? Pour avoir appuyé sur l’interrupteur de la salle de bain un samedi matin en mode automatique?! 

Alors j’ai eu l’occasion de rencontrer deux réponses à cette question. 

La première est celle du Rabbi de Lubavitch qui explique que le sacrifice, c’est pour se faire pardonner de l’état dans lequel on s’est mis qui nous a rendu inconscient de ce qu’on faisait… C’est parce qu’on a peut-être un peu trop donné de place à la part animale qui est en nous, non pas en faisant quelque chose de mal mais juste, en se relâchant, que notre inconscient ne s’est pas montré vigilant et qu’on a commis une faute. La nécessité du Korban et l’effort qu’il induit, c’est une manière de nous secouer et de nous rappeler que l’on est toujours responsable d’un certain maintien de la Sainteté: ce qu’on sacrifie, dit le Baal Hatanya, c’est le « Mikem », « ce qui est parmi vous, ce qui est en vous ». L’homme qui offre l’animal s’identifie à lui. Il y a comme une concrétisation en face de lui de l’animal qu’il est. C’est cette partie animale qui n’a pas été maîtrisée ou qui a pris possession de la personne à laquelle on se confronte ici et c’est cela qui permet de se ressaisir et de se rapprocher d’Hachem. 

Le Sfat Emet, lui, considère que le problème de la faute involontaire, c’est précisément qu’elle relève de l’inattention. Quelqu’un qui commet un impair envers une autre personne par inadvertance, il est logique que celle-ci passe éponge… Mais dans notre relation à D.ieu, il doit y avoir un lien de proximité et de conscience qu’on ne peut accepter qu’on l’oublie. Si on oublie quelque chose d’essentiel, c’est qu’au fond, cette chose n’est pas essentielle pour nous… 

Le Rav Eyal Vered compare cette situation au mari qui oublie l’anniversaire de sa femme. Il s’en excuse, dit qu’il ne l’a pas fait exprès. Mais le problème, c’est justement qu’il n’a pas fait exprès! Et c’est cela que son épouse lui reproche: comment as-tu pu m’oublier? 

Alors les fautes involontaires ne sont pas comme celles qui sont préméditées; il n’y a pas d’intention… Mais quelque part, parfois, l’indifférence est pire que tout. 

Le sacrifice est donc là pour rappeler qu’il faut faire attention. En hébreu, on dit « lassim lev », avoir à coeur. Dans les deux sens du terme. Mettre D.ieu au coeur de ses préoccupations, au premier niveau de sa conscience. Ne pas incriminer le hasard ou l’oubli mais s’obliger à vivre pleinement en conscience…  Faire un Korban, c’est se rapprocher d’Hachem. Le Korban est brûlé, il est fait dans la chaleur du feu, un moyen de sortir de la froideur et de l’indifférence. Celui qui faute par inadvertance oubli qu’il se doit de ressentir et d’exprimer en permanence la proximité avec D.ieu… 

C’est pourquoi, ce qui importe dans le Korban nous dit Rashi, ce n’est pas tant l’investissement financier ou la magnificence de l’offrande mais bien l’âme: Et une âme, lorsqu’elle approchera Le mot « âme » n’est employé à propos d’aucune des offrandes de nedava, sauf à propos de la min‘ha. Qui est celui dont la nature le pousse à présenter une min‘ha ? Le pauvre. Le Saint béni soit-Il a dit : Je lui en tiens compte comme si c’est sa propre « âme » qu’il avait offerte (Vayikra II, 1) 

Le Korban c’est donc avant tout une histoire d’homme envers lui-même. C’est un miroir grossissant de l’état de notre animalité et l’occasion de corriger ce que nous sommes. C’est ce à quoi sert aujourd’hui la prière, qui a remplacé les sacrifices depuis que le Temple est détruit… 

« Ce que D.ieu veut, c’est le coeur » nous dit le Zohar à la suite de Sanhedrin 106b… L’appel du sacrifice, c’est de s’arrêter pour mettre D.ieu au coeur de notre expérience, de notre vécu, de notre pensée. C’est d’avoir à coeur d’être et de faire en accord avec Sa volonté. Et d’avancer avec ça…

Bien loin des coeurs sacrifiés de ces malheureux enfants pré-Incas… 

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Sarah Weizman

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