Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Pekoudé / Des Shnorrers, des galas, des Charidy… et des comptes!

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La saison des galas bat son plein. Celle des appels aux dons, des Charidy et autre aussi; pour être honnête, les techniques de fundraising sont devenues si  performantes et invasives qu’il ne se passe pas une semaine, un jour, où nous ne sommes appelés à exercer notre générosité; et c’est une bénédiction que de pouvoir participer à de si belles actions… 

Le fundraising définit la réflexion stratégique et l’articulation des moyens mis en œuvre pour développer les ressources des organisations œuvrant pour des causes d’intérêt général. Si la collecte de fonds auprès de philanthropes existe depuis la nuit des temps, le métier de fundraiser a connu de profondes mutations ces dernières années. Cette définition, c’est l’Association Française des Fundraisers qui la donne, et qui a mis au point une formation diplômante de professionnels de la récolte de fonds. On est bien loin de nos shnorrers traditionnels, ces virtuoses de la mendicité, personnages fantasques et astucieux de toutes les bonnes blagues juives… 

Mais qu’il s’agisse de shnorrer, d’organiser un dîner prestigieux avec les plus grands chefs et les meilleurs artistes, ou de lancer des campagnes 2.0, la question de la levée de fonds s’accompagne toujours de la problématique du contrôle de leur utilisation… Si on remarque une certaine transparence en matière de dons, si dans les galas on met en avant les donateurs ou dans les applications de levée de fonds, on fait apparaitre les noms et les sommes promises pour justement créer une émulation, si on nous explique bien que ce projet, c’est le nôtre, à tous,  il en est souvent autrement une fois l’argent récolté… 

Alors parlons d’argent. D’argent public. Des sujets qui fâchent, des déclencheurs de révolutions. Des positions qui se figent: les gestionnaires de l’argent public défendant leurs dépenses et leur mode de gestion, les citoyens « contribuables » suspicieux et soucieux du bon usage de leur sacrifice financier…

Il existe des organismes de contrôle, censés rassurer tout le monde. Le Rapport de la Cour des Comptes, surveillé comme le lait sur le feu et guetté avec impatience par les débusqueurs de corruption et malversations est un des instruments de cette vigilance, témoin de la bonne marche démocratique d’un pays. Il y a aussi les services fiscaux, qui s’assurent que les associations utilisent l’argent honnêtement. Mais ce qui nous intéresse, ce n’est pas l’aspect coercitif des moyens de contrôle. Plutôt, l’éthique que sous-tend la transparence des récipiendaires des dons vis-à vis des donateurs. Parce que, ne l’oublions pas, nous sommes tous acteurs et participants d’un vaste projet de société, et si l’argent est le nerf de la guerre, il véhicule aussi une volonté, un sentiment, une implication de ceux qui donnent à ceux qui font. Ceux-ci étant quelque part les émissaires de ceux-là…

Le Peuple d’Israël tout juste sorti d’Egypte s’organise face à son premier projet d’envergure nationale, la construction d’un édifice autour duquel vont graviter tous les pouvoirs; et ce projet, que nous suivons depuis déjà plusieurs semaines, inaugure la synergie entre les individus et la direction du peuple, met en place le mode de fonctionnement de ce peuple. C’est pourquoi il est analysé à la loupe: il recèle tous les ressorts d’un projet national sain et positif… 

Alors il y a eu le temps de l’appel aux dons. Terouma nous présentait le premier financement participatif de l’histoire, un mode de Fundraising  impliquant fortement les donateurs qui se sentent désormais responsables de la réussite du projet. 

Ensuite, D.ieu a donné des ordres. Décrit les plans et les mobiliers et les matières. 

Puis il y a eu le temps de la construction. Une mobilisation générale, des talents qui se sont exprimés, des artisans qui ont exécuté des prouesses techniques et artistiques et nous avons vécu au rythme de la tâche de la construction du Michkan. 

Nous arrivons à présent à Pekoudé: l’heure des comptes… On pourrait penser que s’agissant d’un projet divin, de surcroît supervisé par Moché dont D.ieu témoigne qu’il est le plus « fidèle »  de tous, nous aurions pu nous reposer sur un rapport de confiance et éviter de soulever la question délicate de l’argent. 

Mais non; Moché – c’est le Kli Yakar qui relève ce point – dès qu’il le peut et avant même que tout soit terminé, fait déjà les calculs et les expose à tout le peuple. En ouverture de notre Paracha, alors que les vêtements sacerdotaux ne sont pas encore confectionnés, et aussitôt qu’il peut faire le compte de l’utilisation de l’argent et de l’airain, il le fait. Pour l’or, il y en aura encore besoin pour les vêtements du Prêtre, donc le compte n’est pas arrêté… : 

« Ceux sont les comptes du tabernacle, résidence du Statut, comme elle fut établie par l’ordre de Moïse; tâche confiée aux Lévites, sous la direction d’Ithamar, fils d’Aaron le pontife » (Chemot XXXVIII, 21)

Moché a à cœur de présenter les comptes aux enfants d’Israel au plus vite. Pourquoi montre-t-il un tel empressement à afficher sa probité? 

Les Midrashim et les commentateurs sont partagés sur sa motivation et surtout sur cet impératif. Est-ce la politique obligatoire pour tout gestionnaire de l’argent public et communautaire? Cette question n’est pas que théorique, elle est très actuelle puisqu’elle concerne aussi les présidents et trésoriers de communautés, d’écoles, de yechivot, d’associations financées par les dons des particuliers…. Et les contributeurs que nous sommes tous. 

A ceux qui se disent en me lisant que la transparence est bien évidemment impérative dans la gestion de l’argent autre que personnel, je dirais que plus tard dans la Bible au Livre des Rois, on fera une collecte d’argent pour rénover de Temple. Et le texte précise que les agents responsables de réunir l’argent n’eurent pas à rendre de comptes car « ils agissent avec Emouna », avec honnêteté (II Rois XII, 16). Ces personnes étaient connues pour leur droiture et il n’y avait pas de raison de les soupçonner… 

On peut se dire que Moché n’avait pas à rendre de comptes, et que de toutes les façons, si il avait détourné quoi que ce soit des dons du peuple, D.ieu l’aurait immédiatement sanctionné! Pourquoi lui était-il si cher de faire preuve de sa gestion saine des affaires publiques? 

Le Midrash Tanhouma nous éclaire un peu sur ce qui se disait dans le camps des hébreux. « ‘Ils regardaient Moché’ (Chemot XXXIII, 8). Et que disaient-ils? Ils le regardaient par derrière et l’un disait à l’autre: ‘Regarde son cou! Regarde ses jambes! Il mange de ce qui nous appartient, il boit de ce qui nous appartient!’ Et son ami lui répondait: ‘quelqu’un qui est en charge de la construction du Michkan, des lingots d’argent et des lingots d’or, qui n’a pas de contrôle, de poids et de comptes – que veux-tu? Qu’il ne soit pas riche?!’ Quand il entendit cela, il dit: « Je vous jure que dès que le travail sera achevé, je vous rendrai des comptes. Et dès que ce fut achevé, il leur dit: ‘Voici les comptes du Michkan’ »

Notre Paracha est donc une réponse à ce chuchotement que Moché sentait bruisser dans le Peuple. Nous imaginons bien que ce n’était pas la majorité qui soupçonnait Moché. Mais il y avait bien quelques mauvaises langues ou peut-être même des personnes justes, éprises de transparence et de vérité pour avoir un embryon de doute. 

Le risque est donc là; quiconque a à faire avec le denier public se doit d’être d’une vigilance absolue. Je vous épargnerai les affaires qui font les choux gras de la presse, parfois à juste titre quand même, où la corruption en politique, le détournement de fonds publics, l’abus de biens sociaux et j’en passe font dégâts incommensuraux en cela qu’ils sapent la confiance du peuple vis-à vis de ses dirigeants, de ses élites, de ses patrons, de ses supérieurs. 

Alors l’idée n’est certainement pas de semer le doute dans la tête des donateurs… Devons nous réfléchir comme des commissaires aux comptes lorsque nous donnons? Certainement pas! Nous avons la Mitsva de donner et de soutenir les nécessiteux et les institutions de Torah. La question ne se pose donc pas vraiment. Mais avons-nous un droit de regard sur ce qui est fait du denier public et communautaire? 

Il semble qu’en la matière, plus qu’une législation contraignante, la Torah fasse appel au sens de l’éthique et de la responsabilité des acteurs communautaires. 

Le Rabbin Jonathan Sacks dont je m’inspire beaucoup pour écrire ces lignes, explique que Moché n’était pas tenu de rentrer dans les détails des comptes, mais qu’en le faisant, il agit « lifnim michourat hadin », au-delà du droit strict. Et son initiative fut couronnée de succès parce que, comme le note le Kli Yakar, elle rassura tant le peuple qu’en voyant la justesse des comptes pour l’argent et l’airain, ils ne voulurent pas en savoir plus pour l’or. 

En fait, le souci de Moché n’est pas uniquement d’être un dirigeant droit et fidèle à sa mission. Mais il est conscient qu’en matière de finances communautaires, la probité nécessite d’être accompagnée de transparence. Un sujet très à la mode, mais déjà évoqué clairement dans la Michna au Traîté Shkalim (IIII, 2) concernant celui qui pénétrait dans le Trésor du Temple: « Celui qui opère le prélèvement ne doit pas pénétrer avec un [vêtement comportant dans le bas] un ourlet ni avec des chaussures ou des sandales, ni avec des Tefiline ni avec une amulette, de crainte qu’il ne s’appauvrisse et qu’on en vienne à dire : il s’est appauvri à cause de la faute [qu’il a commise] dans le Trésor ; ou qu’il s’enrichisse et qu’on dise: c’est du prélèvement du Trésor qu’il s’est enrichi! Car on doit se comporter vis-à- vis des hommes comme vis- à-vis de Dieu, comme il est dit : « Vous serez innocent à l’égard de D.ieu et à l’égard d’Israël » (Nombres 32, 22) et encore : « Trouve grâce et compréhension auprès de D.ieu et des hommes » (Proverbes 3,4).

Les Sages du Talmud, mettent en lumière ici le devoir de transparence et de communication: il relève de la responsabilité du gestionnaire d’argent public de rassurer sur la bonne utilisation de ces ressources. 

Je ne reviendrai pas ici sur la circonspection avec laquelle les trésoriers des communautés ou des associations caritatives se doivent de traiter les dons qui leur sont confiés. Ainsi dans le Choul’han Arouh, il est stipulé que l’argent doit être collecté en binôme, afin que chacun puisse veiller à ce que fait son collègue. La tentation étant grande de confondre sa poche avec celle de la communauté, un trésorier n’a pas le droit de changer l’argent des boites de Tsedaka contre son propre argent, mais doit faire exécuter cette opération par un tiers. C’est dire à quel point la Hala’ha prend des précaution pour éviter toute tentation d’enrichissement personnel. Et même tout risque de soupçon d’enrichissement personnel…

Concernant la transparence des comptes communautaires, le Rabbin Sacks résume la divergence de décision entre le Rabbi Yossef Karo, qui stipule, se fondant sur le verset des Rois que nous considérons qu’ « ils agissent avec honnêteté » et qu’il n’est pas obligatoire pour les dirigeants communautaires de publier de bilan comptable et le Rama, Rabbi Moché Isserles, pour qui le souci de transparence est bien plus impératif afin qu’ils soient « innocents à l’égard de D.ieu et à l’égard d’Israël ». 

Dès lors que l’on fait appel au financement public ou communautaire, que l’on gère l’argent du Tsibour, on se doit donc d’être dans une probité et une transparence à toute épreuve… Parce qu’on est les émissaires agissant de ceux qui financent, on ne peut faire l’économie de cette transparence pour qu’ils soient rassurés que la cause dans laquelle ils se sont impliqués est portée de manière probe. Parce qu’il ne s’agit pas que d’argent mais de résultats: est ce que le projet pour lequel on a mobilisé la communauté a été dûment réalisé… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le compte rendu de Moché ne porte pas uniquement sur les sommes d’argent mais sur la réalisation des objets du Michkan: il fait la preuve que le cahier des charges a été respecté.

Rabbi Avraham Sabba, l’auteur du Tsror Hamor qui, expulsé d’Espagne en 1492 finit sa vie à Fès au Maroc, résume ainsi les choses: 

« Voici les comptes: le Texte mentionne ici le compte du mobilier (du Michkan) et les comptes financiers. Pour nous apprendre qu’il faut s’acquitter du jugement de D.ieu et de celui des hommes. Comme il est écrit: « Vous serez innocents à l’égard de D.ieu et à l’égard d’Israël ». Parce que l’oeuvre du Michkan et son financement étaient importants et nombreux étaient ceux qui s’en occupaient,  il est dit ‘Voici les comptes du Michkan’ pour dire que tous les comptes étaient précis, de telle sorte qu’il ne puisse y avoir de manque ni dans l’exécution des tâches, ni dans le fait que l’on soupçonne les artisans. C’est la raison pour laquelle il est précisé « Voici les comptes de Moché qui furent établis par Moché ». C’est alors que le peuple d’Israel se réjouit en voyant que Moché était un prophète divin intègre. Tout cela, afin d’enseigner aux responsables communautaires qu’il est approprié qu’ils donnent un bilan comptable juste et précis afin de contenter D.ieu et leurs semblables. Et qu’ils ne disent pas: Pourquoi avons nous besoin d’agir ainsi puisque Dieu sait tout?! (…). D.ieu sait et Israël saura… » 

Moché a montré l’exemple: en présentant le bilan des dons et de leur utilisation précise, il rend le peuple joyeux; il le rassure et le conforte dans la justesse de son effort. Son initiative assainit le climat générale…

Et il crée un précédent vital pour la confiance communautaire et nationale…

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Sarah Weizman

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