Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayikra / Vayikra, Headspace, et le temps de cerveau disponible.

V

Depuis une minute que je tape cette phrase à mon ordinateur, mon cerveau a déjà perdu au moins 10 points de QI… Comment est-ce possible? Tout simplement parce qu’il y a une application que je n’arrive pas à désactiver et qui envoie une notification et un signal sonore chaque fois que ma fille reçoit un message de ses copines… Je vous rassure, ce n’est pas irréversible, je devrais les récupérer sous peu.  Mais ce sont les résultats d’une étude réalisée pour le compte de Hewlett Packard en 2005 qui a montré que le score de personnes passant des tests de QI en étant constamment assaillis de mails et de coups de téléphone était en moyenne inférieur de 10 points… Et c’est sans compter les réseaux sociaux qui n’étaient pas alors ce qu’ils sont aujourd’hui… 

Je suis sure que vous aussi, en me lisant, vous avez déjà eu le temps d’être sollicités par toutes sortes de signaux sonores ou visuels sur vos écrans et nous sommes donc vous et moi également privés d’une partie de nos ressources intellectuelles… 

Heureusement, cette semaine la Paracha nous apporte dès son ouverture et sur un plateau d’argent un cadeau qui, même pour nos cerveaux délestés de quelques points de QI, est lumineuse. 

Dès le premier mot, la Paracha nous interpelle :

« Il appela Moïse, et Hachem lui parla, de la Tente d’assignation, en ces termes » (Vayikra I,1).

Elle s’ouvre donc sur le mot « Vayikra », l’appel, qui attire l’attention pour deux raisons: d’abord, sa typologie inhabituelle: le Alef de la fin est miniaturisé ce qui exige qu’on s’y arrête. Et ensuite, l’interêt même de ce mot: ce n’est pas la première fois que D.ieu s’adesse à Moché, pourquoi y a-t-il nécessité de préciser ici qu’il y a un appel? Quand D.ieu parle à Moché, cela ne présuppose-t-il pas qu’il est appelé à L’écouter? 

A ces questions, plusieurs réponses sont apportées par les commentateurs. Je voudrais souligner ici celle de Rachi qui explique que chaque fois qu’Hachem parle à Moché, il commence par l’appeler et c’est une « expression d’affection ». 

Prendre le temps de l’entrée en matière, de préparer son interlocuteur à la discussion, de vérifier qu’il est disposé à écouter avant de lui parler est la clé d’une communication réussie. 

Le Rabbi de Loubavitch s’attarde sur la formulation de notre Rachi et met en exergue le fait que quelle que soit la teneur du message, c’est l’affection qui le portera: que ce soient « des paroles dures » (Diberot), des messages doux (Amirot) ou les ordres et commandements (Tsivouyim) dont on pourrait penser qu’ils nécessitent un langage clair et tranchant, D.ieu les entoure de douceur… (Hamaor Chebatorah, Vayikra, I,1)

Cependant, nous dit Rachi, il est une condition indispensable:  « chaque fois qu’il y a prise de parole, Hachem « appelle » Moché, et non pour les interruptions (où il n’y a pas d’appel les précédant). Et à quoi les interruptions ont elles servi? A donner à Moché « Réva’h Lehitbonène » (un temps de réflexion) entre chaque paragraphe et le suivant, et entre un sujet et l’autre. A plus forte raison un simple être humain en a-t-il besoin lorsqu’il étudie auprès d’un de ses semblables ». 

D.ieu laisse donc à Moché un « Reva’h Léhitbonène ».  L’expression que Rachi reprend ici de Torat Cohanim demande à être développée.

Réva’h c’est un espace. Un espace dans le lieu ou dans le temps. 

Léhitbonène, c’est un verbe à la forme réflexive qui renvoie à l’idée de contempler, de discerner, de réfléchir, de méditer, de trouver en soi les réponses. 

Moché, le plus grand prophète de tous les temps, a besoin d’un temps de pause pour intégrer les idées qu’Hachem lui transmet. Il ne peut assimiler les notions en vrac. Il a besoin d’un « espace » dans son cerveau pour que les enseignements qui lui sont dits fassent écho en lui et deviennent partie intégrante de lui. Et pour cela, D.ieu laisse des moments de vide…

Qu’en est-il de nous? Je veux dire de nous au XXIème siècle avec nos tablettes, nos smartphones, nos objets connectés? Nous qui conduisons en calmant les disputes de nos enfants à l’arrière, ou pire en parlant au téléphone, qui lisons quatre articles à la fois, qui cuisinons en aidant nos enfants à faire leurs devoirs, qui mangeons les yeux rivés sur nos écrans? Qui parlons à tort et à travers sans vérifier que l’autre nous écoute ou plutôt, en dépit du fait qu’il ne nous entend pas, occupé qu’il est à répondre à son dernier mail ou à réagir à la publication qui vient de se signaler sur l’écran de son portable…? Qu’en est-il de nos enfants bombardés d’informations et dont l’attention est sollicitée en permanence et de toute part? 

Les civilisations antiques ont toutes rêvé du mythe du « multi-tâchisme ». Et on pourrait croire que les développements technologiques nous permettent enfin d’y arriver.  Cependant, les études neuro-scientifiques récentes montrent que c’est tout le contraire. Le cerveau humain est fait pour être monotâche. Même celui des femmes! Seules 19 personnes sur 700 parviennent à faire deux choses à la fois sans que leurs capacités en soient affectées. Pour les autres, les profits ne sont qu’illusoires, la mémoire de travail étant fortement impactée par la multiplicité des tâches simultanées et finalement, l’information ne s’inscrit pas dans le cerveau de manière durable. 

En Grande-Bretagne, on se réjouit ces dernières semaines des chiffres de la consommation de drogues qui sont en baisse chez les adolescents. Mais on a constaté que l’addiction aux drogues a été remplacée par l’addiction aux écrans. Cela s’explique aussi scientifiquement: le cerveau humain aime la nouveauté. Chaque message, notification, sollicitation qui le distrait d’un travail provoque une décharge de dopamine. Et l’on devient addict à ces décharges.

La difficulté de gérer les écrans tant dans le monde du travail, de l’école que de la famille interpelle fortement les mondes scientifique et pédagogique et c’est un sujet qui va prendre de plus en plus de place dans nos vies…

Mais il faut dire que nous sommes exposés à des volontés commerciales d’un cynisme absolu… Le feuilleton médiatique de ces dernières semaines avec le bras de fer entre les opérateurs téléphoniques et TF1 sur la diffusion de ses programmes a fait remonter à ma mémoire une déclaration qu’avait faite en 2004 Patrick Le Lay, alors patron de cette chaîne: 

« Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective business, soyons réalistes : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit. Or, pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible.

Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise.

La télévision, c’est une activité sans mémoire. Si l’on compare cette industrie à celle de l’automobile, par exemple, pour un constructeur d’autos, le processus de création est bien plus lent ; et si son véhicule est un succès il aura au moins le loisir de le savourer. Nous, nous n’en aurons même pas le temps ! » (Les dirigeants face au changement, Éditions du Huitième jour, 2004). 

Cela se passe de commentaires et ça a le mérite d’être clair…

Pendant positif de cette technique: j’écoutais récemment un cours du Rav Yehia Benchetrit sur le Lieu du Divin dans lequel il expliquait à son auditoire que s’il usait autant de traits d’humour, c’était justement dans le but de créer entre deux blagues un espace mental et une disposition à recevoir les messages de Torah qu’il voulait faire passer….

Alors nous, dans tout cela? Comment rester sain d’esprit? 

Les mots sont importants, mais plus encore, les silences. Les interruptions. Arrêter ce maelström sonore et visuel pour regarder en soi. 

En réponse à la vision cynique de nos contemporains, la Paracha impose un « Réva’h Lehitbonène »: non pas un temps de cerveau disponible pour les annonceurs publicitaires mais un espace de méditation et un temps pour réfléchir. Pour penser. Pour intégrer. Pour se retrouver. Pour se réapproprier son espace mental et décider ce à quoi nous voulons l’employer. 

Pour nous qui avons oublié ce qu’était la vie avant les portables, quand nous n’étions pas dans l’obligation d’une disponibilité immédiate, pour nos enfants qui ne connaîtront jamais le monde d’avant, nous avons la chance d’avoir le Chabbat et sa coupure technologique qui nous permet par son espace de respiration de retrouver notre espace mental…

Parce que l’appel de Vayikra, c’est un appel vocal qui laisse aussi sa place au silence. 

C’est aussi un appel visuel. Ce petit Alef est comme un clignotant qui nous demande de nous arrêter. 

Le Rabbin Lord Jonathan Sacks, se fondant sur Rachi et de nombreux autres commentateurs, oppose ici l’appel divin affectueux, plein d’intention et d’attention à Moché et aux enfants d’Israel (Vayikra avec un Alef, certes petit) à celui, fortuit et occasionnel (Vayikar, sans Alef) qui s’adresse aux prophètes des Nations. 

Le choix du Alef n’est pas anodin, explique-t-il. C’est la première lettre de l’alphabet, la première des Dix Commandements et du Anokhi divin. 

« Le Alef à la fin du mot Vayikra est une lettre muette, qui ne s’entend pas. Il apparait dans une taille plus petite que les autres lettres, il est presque invisible. Ne vous attendez pas, nous dit la Torah, à ce que la présence de D.ieu soit claire et évidente tout au long de l’Histoire comme elle le fut au moment de la Sortie d’Egypte et de la Traversée de la mer Rouge. Sa présence est cachée, et pour La sentir, nous devons affiner notre sensibilité à Elle. Qui observe bien La verra, qui écoute bien L’entendra. Mais il faut pour cela d’abord observer et écouter ». 

Si nous refusons de nous mettre dans cette posture, alors nous vivrons l’Histoire non pas comme un appel plein de sens, signe de proximité avec D.ieu mais la subirons comme le hasard et le concours de circonstances qu’elle peut paraître… 

Voilà à quoi sert le « Reva’h lehitbonène », les silences et l’espace mental. Le Chabbat. Et le mode avion de nos smartphones…

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Sarah Weizman

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