Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayetsé / Il rêve réalité

V

Avraham a découvert D.ieu, Its’hak a été prêt à tout pour lui, et Yaakov…? Quel haut fait plein de bravoure et de panache explique son élection par D.ieu pour être l’ancêtre du Peuple d’Israël? On a beau chercher, c’est moins évident… Et pourtant, à y bien regarder, la vie de Yaakov et ses tribulations couvrent 7 parachiot sur les 12 que compte le livre de Bereshit.

En réalité, si la Torah s’étend aussi longtemps sur l’histoire de Yaakov, c’est parce que plus que tout autre, il est un modèle pour nous. Ce n’est pas tous les jours que nous sommes amenés à briser des idoles, ni à nous sacrifier pour D.ieu, même si ces traits particuliers d’Avraham et Its’hak sont nos sources d’inspiration. Avec Yaakov, c’est la vie, la vraie, avec tout ce qu’elle a de fastidieux, de trouble, de gris, ses réussites et ses échecs, ses challenges et ses parts d’ombre.

C’est dans notre Paracha que Yaakov se révèle. Et il s’illustre en « sortant » de son relatif anonymat. La Paracha s’ouvre sur le terme « Vayetsé », « il est sorti ». Si Avraham est celui qui « va » (« lekh lekha »), dont le mouvement est tendu vers le lieu de la promesse divine, si Its’hak reste et demeure dans le pays et dans la mission pour la consolider, Yaakov est celui de nos ancêtres qui sort. Qui quitte le cocon familial, sa tente, la Terre promise, un univers qui le porte. Le danger le pousse à l’exil. La Torah nous racontera ensuite son combat pour gagner sa vie, les tensions au sein de sa famille, son rôle de mari et de père qui doit sans cesse s’adapter à de nouveaux défis. Et tout cela alors que plane au-dessus de lui la menace de son frère et celle, plus insidieuse de son beau-père Lavan dont la fourberie n’a d’égal que la méchanceté. Toute ressemblance avec des personnages existant ou ayant existé n’est absolument pas fortuite. C’est notre histoire. L’histoire du peuple juif…

Dans quel état d’esprit est Yaakov à ce moment précis où il s’exile? Comment vit-il cette situation? Comment affronter les difficultés qui se profilent dans la vie, chacun à son niveau, et surtout, en ressortir indemne?

Yaakov, l’ancêtre du peuple juif, l’ancêtre de tous les exilés juifs à travers le temps, montre la voie. Et voilà ce qui se passe:

« Il arriva à l’endroit où il établit son gîte, parce que le soleil s’était couché. II prit des pierres de l’endroit, les mit sous sa tête et passa la nuit dans ce lieu ». (Bereshit XXVIII, 11)

Rashi et bien d’autres commentateurs expliquent que Yaakov doit s’arrêter, et que l’endroit où il fait halte est le lieu du futur Temple de Jérusalem. Un endroit déjà consacré par la Ligature d’Isaac, propice à la prière. A ce moment où survient l’obscurité, où la menace se fait de plus en plus présente, Yaacov se prépare à l’exil.

Et Yaakov prie. C’est là, à ce moment précis, qu’est instituée pour les générations futures la prière du soir, Arvit. Le juif qui part en exil, qui se trouve dans l’obscurité de la nuit, prie… Mais le texte ne nous précise pas immédiatement la prière de Yaakov. Il nous raconte un rêve.

« Il eut un songe et voici: Une échelle est dressée sur la terre, son sommet atteint le ciel et voici que des messagers divins montent et descendent en elle. Et voici que l’Éternel apparait au sommet et dit: « Je suis l’Éternel, le Dieu d’Abraham ton père et d’Isaac; cette terre sur laquelle tu reposes, je te la donne à toi et à ta postérité… » (Bereshit XXVIII, 12-13)

C’est le Songe de Yaakov, le fameux rêve de l’échelle qui a inspiré tant de peintres et de penseurs. Finalement, alors que la nuit tombe littéralement dans la vie de Yaakov, celui-ci s’accroche à deux certitudes: la prière et le rêve. La confiance en D.ieu et l’optimisme, l’espoir d’une fin heureuse. Les deux ressorts qui ont permis aux juifs, dans les moments les plus noirs de l’Histoire, de tenir et de survivre jusqu’aujourd’hui.

Mais Yaakov n’est pas qu’un doux rêveur. Sa force, c’est que son rêve est réalité. Comme dirait la chanson, il « rêve réalité ». Ce n’est pas qu’un joli jeu de mots, mais c’est le Or ha’Haim qui, dans son commentaire sur ces versets, remarque que tous les éléments du rêve sont introduits par l’expression « et voici », comme montrant quelque chose de concret. Généralement, les rêves sont le fruit de la rêverie ou de l’imagination et laissent une vague impression à l’esprit du rêveur; mais ici, chaque détail est clair et net et l’intention, c’est que c’est une prophétie qui annonce une réalité. Yaakov se réveille donc en emportant son rêve avec lui car il sait que ce qu’il a vu se réalisera…

Mais qu’a-t-il vu de si encourageant? « Des anges qui montent et qui descendent en elle» nous dit le texte. Selon le Zohar, (I, 269a), cette échelle représente la prière. Son rêve est en quelque sorte la réponse à la prière. Se fondant sur cette idée, le Rabbin Elie Munk, dans le Monde des Prières, fait le parallèle entre les différentes étapes de la Tfila et la montée vers les mondes supérieurs: « D.ieu lui montre en rêve le chemin qu’il doit poursuivre et comment la pensée doit, par échelons, se dégager des liens terrestres jusqu’à ce qu’elle ait trouvé D.ieu au sommet de l’échelle; et comment D.ieu descend jusqu’à terre pour y prodiguer ses bienfaits lorsque l’homme s’élève vers Lui, de même que les anges d’abord remontent et ensuite descendent vers la terre…. ». Les anges qui montent d’abord, ce sont les mots de la prière, qui peuvent être portés au plus haut grâce à l’intention et l’investissement de l’homme qui s’adresse à D.ieu (cette idée est développée aussi dans l’Essai n°3 du Kountrass A’haron du Tanya), et en réponse, les anges qui descendent apportent les bénédictions divines.

Le Rabbin Jonathan Sacks, s’arrêtant justement sur les différents échelons de la prière, voit dans ces anges qui montent et descendent l’incessant va et vient de l’homme juif entre le monde matériel et les sphères célestes: « Si la première étape, décrit la montée, la seconde, la Amida, le fait de se tenir debout devant D.ieu au niveau le plus élevé qui soit, la troisième, elle consiste à rapporter sur terre un morceau de ciel. La découverte de Yaakov à son réveil, c’est que D.ieu se trouve « en cet endroit-ci ». Le Ciel, si nous le souhaitons, c’est ici et maintenant! »

Yaakov rêve donc de la prière parce que c’est par la prière que le rêve devient réalité.

Il y a plus encore dans ce rêve, et c’est dans l’ouvrage de Rav Adin Even-Israel (Steinsaltz) sur la Paracha, ‘Hayé Olam, que j’en ai trouvé une description assez incroyable. Je ne pourrais l’exprimer mieux que lui aussi je vous reproduis ici son analyse…

Dans le Midrash, les Sages discutent du mot « bo » dans le verset « des anges qui montent et descendent ´bo ´». Est-ce que « bo » désigne « en elle », comme je l’ai traduit plus haut, c’est à dire que les anges montent et descendent en l’échelle ou bien « bo» c’est en lui, en Yaakov (en hébreu, échelle, « soulam » est un mot masculin)? Est-ce que les anges montent et descendent de l’échelle ou de Yaakov? Et le Midrash décrit une scène dans laquelle les anges critiquent et louent Yaakov, se mettent autour de lui, sautent autour de lui, le pincent et le prennent à partie: « Est-ce bien toi, Yaakov dont l’image se trouve là-haut dans le ciel, alors que toi tu dors? C’est ce que tu fais, ici bas? Et, décrit avec talent l’auteur, « Yaakov se retourne dans son sommeil et continue de dormir. Si son portait ne se trouvait pas placé juste au pied du Trône Celeste, si les anges de D.ieu ne montaient et ne descendaient en lui, on aurait pu le laisser faire. Mais Yaakov ne peut dormir tranquillement… Il est lui-même l’échelle au moyen de laquelle tout l’univers monte et descend.

« Si nous prenons cette problématique et la rapportons à tout un chacun, je suis Yaakov, je me mets en chemin et je me trouve à une étape de ma vie, et je veux prendre un peu de repos. Soudain, je vois et je comprends que, au milieu du monde entier, est tendu un fil, un chemin entre les mondes et les réalités et que ce fil passe à travers moi. C’est cette ligne qui traverse chaque Yaakov, chaque juif. C’est cela ‘la Maison de D.ieu et la Porte du Ciel’».

Ce n’est pas dans les tentes de la Torah que Yaakov a eu cette vision, mais il devient cette échelle, ce pont entre les mondes, lorsque ses pieds sont sur terre, lorsqu’il va se confronter à la dure réalité de la vie…

Le rêve de Yaakov, c’est donc le rêve de celui qui se lance dans la vraie vie et qui doit se frayer un chemin dans le monde. Il n’est pas toujours question d’exil, D.ieu merci. Mais à toutes les étapes de notre vie, quand on va à l’université, quand on se marie, quand on déménage, quand on fonde une famille, quand on se lance dans la bataille pour gagner sa vie, quand on entame une mission, qu’elle soit spirituelle ou matérielle, quand on quitte notre zone de confort, quand on naît même, pour reprendre le Or ha’Haim, il nous faut avoir une projection, un idéal, un rêve, une image de la finalité. C’est ce que les anges ont montré à Yaakov. Toute l’histoire de Yaakov, de l’Israël en gestation, c’est alors de faire coïncider son image sur terre, sa réalité, avec l’idéal, l’image de lui qui est dans le Ciel.

Mais les meilleurs idéaux explosent souvent quand ils rencontrent le mur de la réalité. Et c’est là que Yaakov est unique: il est celui que les Sages considèrent comme le porteur de Vérité: c’est à l’aune de la confrontation avec le concret qu’une idée se vérifie comme vraie ou fausse. Alors il y a d’abord l’aide de la Tfila, de la Prière. C’est l’arme ultime de Yaakov face aux bras guerriers d’Essav, c’est elle qui l’aide à surmonter toutes les épreuves. Et c’est elle qui l’aide à rester lui-même, à ne pas se perdre en cours de route. A vérifier à chaque fois que son image ici-bas est cohérente avec celle qui est en haut… Toute la Paracha s’emploie à nous démontrer comment Yaakov est vrai, honnête, aligné entre son idéal et son comportement: c’est pour cela qu’il est le troisième des patriarches.

Avant d’affronter l’exil, montrant la voie à ses descendants Yaakov est armé: il rêve, et ce rêve, c’est sa prière, ce rêve, c’est lui-même; il se réveille et ce rêve, c’est la réalité…

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Sarah Weizman

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