Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Toldot / Le fils de bonne famille

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Avraham, Sarah, Its’hak, Rivka, Yaacov, Essav. Epoux, fils, frères. Les uns sont nés dans des familles peu glorieuses, les autres dans d’excellentes familles; certains font des choix de rupture radicale, d’autres semblent être dans une gentille continuité…

Si la semaine dernière, ‘Hayé Sarah nous parlait de mariage, cette semaine, c’est d’éducation qu’il est question… 

« Ceci est l’histoire d’Isaac, fils d’Abraham: Abraham engendra Isaac. » (Bereshit XXV, 19)

Imaginons donc la famille dans laquelle nait Its’hak. Ses parents sont des révolutionnaires. Des briseurs d’icônes. Ils sont immensément riches. Ils ont fait de nombreuses émules. Ils discutent d’égal à égal avec tous les puissants. Et ils sont des personnalités respectées et respectables. Des exemples à suivre, bons, généreux et choisis par D.ieu. N’est ce pas un héritage un peu écrasant? Comment exister face à de telle personnalités? 

Le Midrash nous apporte plusieurs éclairages sur le lien de filiation entre Avraham et Its’hak. 

Le premier nous relate ceci: nous savons qu’Avraham et Sarah furent un couple stérile pendant des décennies. La naissance d’Its’hak se passa après l’épisode où Sarah fut prise par Avimele’h, le roi de Guerar, ce qui faisait dire aux mauvaises langues qu’Its’hak pourrait être le fils d’Avimele’h et non pas d’Avraham… Pour les faire taire définitivement, D.ieu fit en sorte qu’Its’hak soit la copie conforme de son père et lui ressemble trait pour trait.

Le second Midrash, dans la suite logique du premier, nous raconte qu’Avraham et Its’hak se ressemblaient tant qu’on ne pouvait distinguer l’un de l’autre et donc, honorer le plus âgé comme il se devait! Avraham demanda donc à D.ieu de marquer la différence  et c’est ainsi qu’il fut le premier homme à porter physiquement les signes de la vieillesse (et nous qui essayons par tous les moyens d’en effacer les traces!). Par conséquent, Its’hak et Avraham n’étaient plus exactement les mêmes…

Le troisième nous décrit la scène où Its’hak fait rentrer sa femme Rivka dans la tente de sa mère Sarah et qu’après avoir constaté que les miracles qui avaient cours pendant la vie de celle-ci se reproduisent, il est rassuré qu’elle possède les mêmes qualités que sa mère et il l’épouse.

Le quatrième Midrash décrit la scène poignante où It’shak et Rivka, mariés depuis 20 ans, supplient D.ieu de leur donner un enfant. Chacun prie de son côté, mettant en avant les mérites de l’autre, mais le verset précise que D.ieu exauce sa prière à lui « parce que la prière d’un juste fils de juste ne ressemble pas à celle d’un juste fils d’un impie. » (Rashi sur Bereshit XXV, 21) 

Enfin, nous avons le Midrash Hagadol (sur Bereshit XXVI, 1) pour qui: « tout ce qui est arrivé à Avraham est arrivé à Its’hak » et qui énumère tous les événements de la vie du père et du fils dont la similitude est surprenante… 

Alors avec Its’hak avons-nous un clone physique et moral de son père? Est-ce que le rapport filial juif de la Torah, sensé d’ailleurs être un modèle pour tout un chacun, consiste à ce que les fils ressemblent aux pères (et les femmes, aux mères des fils!) et reproduisent à l’identique la vie de leur parents? Les Midrashim que j’ai rapportés semblent aller dans ce sens, et la confirmation serait que ce que D.ieu approuve, c’est le fait qu’Its’hak soit dans l’exacte suite de ce que son père fut. 

Pourtant, toute notre Paracha s’emploie à démontrer comment on peut être « fils de » et encore plus « fils d’Avraham » et en même temps, developper une personnalité originale. C’est peut-être d’ailleurs une des principales leçons qu’Its’hak nous lègue… 

Le dilemme d’un homme tel qu’Its’hak c’est comment exister à côté d’un père tel qu’Avraham. Et il est vrai que c’est un des défis de la transmission et de l’éducation aujourd’hui aussi. Un enfant doit-il être la projection exacte de ce que ses parents sont et veulent pour lui ou doit il se réaliser en rupture avec eux? C’est d’ailleurs ce que symbolisent Its’hak et Riva, chacun de son côté. Its’hak est l’ « image de son père », le « Juste fils de Juste », le Tsadik fils de Tsadik, et Rivka, « telle une rose au milieu des épines », s’est construite seule, « juste, fille d’impie », Tsadeket fille de Reshaim… Lui, qui est né dans une famille religieuse, elle qui a fait Teshouva… 

Nous connaissons le statut exceptionnel qu’ont les Baalé Techouva, dans le judaïsme. Leur valeur est telle que selon le Talmud, même les plus grands Tsadikim ne les égalent… Et cela nous semble bien évident. On est toujours fasciné par les histoires de retour extraordinaires, par la force de celui qui est capable de sortir de son déterminisme, de briser les idoles, de révolutionner sa vie et le monde qui l’entoure. De casser ses habitudes. A côté de cela, celui qui est resté bien sagement dans le bon chemin parce que ses parents et ses grands-parents avant lui ont toujours été sur la voie de la Torah et des Mitsvot paraît bien terne. Inintéressant. Son histoire n’émeut personne et même pas lui-même….

Its’hak est ce fils de Tsadik. Il n’a pas une histoire compliquée, il n’a pas fait de choix radical. Pourtant, c’est sa prière que D.ieu écoute ici. Parce que si Rivka a été capable de rupture, Its’hak a fait preuve de son attachement à la continuité. Et en matière d’enfants, de transmission, de filiation, c’est celui qui porte la continuité qui se fait entendre… Finalement, il n’est pas si facile de rester dans le chemin que nos parents ont initié, parce que s’il nous est imposé à notre naissance, c’est un autre challenge que de faire à nouveau le choix de le poursuivre à l’âge adulte et de décider de le transmettre aux générations futures…

Mais its’hak ne fait pas que répéter l’histoire de son père. Dans la Paracha, nous voyons qu’une de ses principales activités, c’est de creuser des puits. Et pas n’importe lesquels: ceux que son père avait déjà creusés et qui ont été rebouchés par les Philistins. Its’hak ne cherche pas à innover à tout prix, à défricher de nouvelles terres: il fait le travail de creuser plus profondément, de découvrir de nouvelles strates. Il cherche la nouveauté dans la profondeur et par là même, il permet à ce que son père avait établi de rejaillir plus fortement, d’être établi durablement; Avraham est un fondateur, Its’hak, un consolidateur. 

Mais Its’hak va plus loin; il trace sa route à sa manière. Il n’est peut être pas en rupture, mais il va faire émerger une autre valeur, la Gvoura, la Force ou la Rigueur qui fait contrepoids à la Bonté exacerbée de son père. Quelque part, c’est une force plus grande que de naître et grandir dans une famille de Justes et de le rester en innovant…

Ce qui est interessant, c’est que c’est Avraham lui-même qui prie pour  qu’Its’hak ne soit pas un clone.  Il veut que son fils se différencie, il accepte de vieillir, de lui laisser la place aussi. Au fantasme narcissique et écrasant de certains parents qui aimeraient que leurs enfants soient leur exacte reproduction, le judaïsme, comme l’explique le Rabbin Jonathan Sacks sur notre Paracha exige que le fondement de l’existence humaine soit l’altérité: mon enfant n’est pas le prolongement de moi-même, il n’est pas un autre moi. Je ne suis pas la réplique de mes parents. Cela n’implique pas forcément un rejet du modèle filial, ni un abandon de la parentalité… Mais cela exige du parent comme de l’enfant une connaissance et un respect de son individualité propre afin de faire émerger ce qu’il y a d’unique en chacun.

Avraham a à coeur que son fils reste dans le bon chemin et qu’en même temps, il se révèle. Et Its’hak relève le défi. Il ne fait pas que répéter les gestes de son père. A sa manière, il révèle encore plus ce que son père a commencé. Il creuse à nouveau les puits de son père, et il en creuse même de nouveau!

Its’hak avait si bien intégré cette valeur qu’entre ses deux fils, tous deux jumeaux de bonne famille,  Yaacov dans lequel il pouvait tant se reconnaitre, et Essav chez qui il décelait la tendance à la rupture, il avait une implication particulière envers le fils qui représentait le particularisme plus que mimétisme.  Lui qui a su, en restant sur le chemin de ses parents, tracer sa route personnelle développe aussi un lien particulier avec son fils difficile et révolté. Jusqu’au bout il a espéré  que par l’amour, il arriverait à le ramener dans le giron des valeurs de leur famille. Mais Essav avait fait le choix de la rupture radicale, mais dans le mauvais sens… Et c’est pourquoi l’histoire d’Avraham et Its’hak ne pourra se poursuivre qu’à travers Yaacov…

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Sarah Weizman

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