Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Lekh Lekha / Abraham, le start-upper de la Start-Up Nation. Ou de la start-up des Nations…

L

Israël est la Start-Up nation. On est parfois fiers de le dire… Il y a quelques mois, la Saison Croisée France-Israel en l’honneur des 70 ans de l’Etat d’Israel a organisé un grand événement au Grand Palais dont l’inauguration en présence du Président Macron et du Premier-ministre Netanyahou fut l’occasion de mettre en avant les apports de l’innovation technologique israélienne au monde d’aujourd’hui. Mais ne sommes-nous qu’une Start-up Nation? Et d’où nous vient cette vocation? 

Parfois, il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour trouver l’inspiration.. Notre Paracha est si riche en évènements fondateurs dans l’histoire de l’humanité, si pleine de récits qui permettent de comprendre la géopolitique mondiale d’aujourd’hui, qu’il est difficile de choisir ce sur quoi on va s’arrêter. Alors pour éviter le dilemme, j’ai décidé de m’en tenir aux premiers mots de la Paracha, et les quelques commentaires que j’ai lus sur ces versets ouvrent déjà des perspectives illimitées…

Voici donc le premier appel, la première communication de D.ieu au premier juif de l’Histoire, Abraham; qui ne s’appelait pas encore Abraham mais Abram, et qui n’était pas encore « Juif » mais déjà « hébreu »…

«L’Eternel dit à Abram: « Va pour toi de ton pays, de ton lieu natal et de la maison paternelle, vers le pays que je t’indiquerai.» (Bereshit XII, 1)

La première injonction qu’Abraham reçoit donc, c’est celle de faire ses bagages et de partir. Pour aller où? Là n’est pas la question première, car il faut déjà partir. La formulation du verset  interpelle tous les commentateurs, mais nous allons nous focaliser sur 2 mots: Lekh Lekha. « Va pour toi! » Une expression curieuse… Quand on veut dire à quelqu’un de quitter un endroit, on lui dit: « va à tel endroit! »… Pourquoi donc cette façon alambiquée de dire à Abraham de partir? 

A partir des termes de l’appel, du Lekh Lekha, nous pouvons déjà saisir la quintessence du projet de D.ieu pour Abraham, qui en instruira sa descendance pour qu’elle en éclaire l’humanité toute entière.

Pour Rashi, Lekh Lekha, « va pour toi », c’est déjà un indice qui nous renseigne sur les causes de ce départ: tu dois partir pour toi, « pour ton bien et pour ton profit ».  C’est dans ton interêt. Jusque là, tu es soumis à certains blocages, tu ne peux avoir de postérité, mais en partant, tu vas pouvoir te projeter vers l’avenir. 

Cette lecture de Rashi trouve un écho dans de nombreux commentaires qui, à toutes les époques, expriment la puissance, l’éternité et le bouleversement auxquels appelle D.ieu dans Lekh Lekha. 

Voici quelques idées glanées sur ce sujet, qui me parlent et qui peut-être vous interpelleront aussi..

Le Kli Yakar est l’ouvrage de Rav Chlomo Ephraim de Luntschitz (1550-1619) qui officia à Lemberg et Prague. Dans son commentaire sur ce verset, le Kli Yakar remarque dans l’ordre de D.ieu à Abraham une gradation dans l’éloignement qu’Il lui impose. « Pars de ton pays, de ton lieu natal, de ta famille »: quitter son PAYS, c’est difficile mais on peut trouver sa place dans un autre pays. Il est plus compliqué de recréer les condition du « LIEU NATAL », d’une société dans laquelle on n’est pas anonyme et qui nous soutient en cas de difficulté. Et encore plus de s’éloigner de sa FAMILLE, de ce qui nous donne une assise tant psychologique que matérielle. S’éloigner de ces trois formes d’attachement, c’est le défi de l’expatriation. Ce sont aussi les épreuves que traversent tous les immigrés et réfugiés de la planète. Mais ici, il y a une dimension particulière. Nous ne parlons pas d’immigration, ni économique ni politique, mais de la première Aliya de l’Histoire. Si les personnes qui font leur Aliya, à l’instar d’Abraham, vivent inévitablement la difficulté de la perte de repères, l’épreuve de l’anonymat social et l’arrachement à leur famille, le Kli Yakar précise: « Outre les 3 liens de proximité, il y en a un quatrième qui consiste dans le fait qu’un homme est plus proche de lui-même que de toutes les notions évoquées plus haut. C’est pourquoi le Texte dit « Lekh Lekha, va VERS TOI », vers ton essence! » (le Alsheikh Hakadosh le traduit aussi ainsi: « va vers la racine de ton âme »!).  Mais D.ieu ne lui précise pas tout de suite où il doit aller, il lui dit « vers l’endroit que je te montrerai » parce que ce n’est qu’une fois arrivé en Terre d’Israël qu’il pourra saisir ce qu’est son « essence », essence de son âme dont la source est située sur le Mont Moriah, lieu qui sera encore désigné plus tard au moment de la Ligature d’Isaac par la périphrase reprenant les mêmes tournures « va pour toi … vers le lieu que je t’indiquerai ».

Pour être donc en connexion la plus profonde avec lui-même, Abraham doit aller en Erets Israel. Pas juste aller, mais aller vers lui-même, vers son essence, vers l’origine de son âme qui est aussi sa finalité; et c’est là et seulement là, au Mont Moriah, le futur lieu du Beth Hamikadach, qu’il trouvera le secret de son essence et pourra être lui-même. 

Dans un cours sur notre Paracha, le Rav Y.Y. Jacobson (pour les anglophones, je vous recommande son site TheYeshiva.net) voit aussi dans l’injonction de Lekh Lekha un appel à un changement de paradigme existentiel. Abraham va être l’ambassadeur de D.ieu qui dans l’Histoire, introduira l’idée de rupture avec le lien de causalité (pour reprendre les termes de Manitou, Rav Leon Ashkenazi). Il démontre que pour cela, il faut faire fi de tous les déterminismes; et surtout, que c’est possible. Quand Dieu dit à Abraham de quitter son pays, son lieu natal, sa famille, Il lui dit: bien sûr, ta nature est importante. Ta situation financière, ta famille aussi; mais ce n’est pas ce qui te définit. Toutes ces données ne sont que des cadres, des contextes, des paysages dans lesquels nous vivons; mais ils ne sont pas ce que nous sommes. Ils ne nous restreignent pas. Ils ne nous déterminent pas. 

Sortir de ce déterminisme, décider que ce n’est pas le quartier dont nous sommes issus, la catégorie socio-professionnelle de nos parents ou notre histoire familiale qui doivent nous définir demande un sacré courage et parfois, on a l’impression de se heurter à des plafonds de verre… Le déterminisme social, familial ou personnel est trop puissant… Mais ce en quoi la révolution Abrahamique est unique et si bouleversante, c’est qu’elle vient de D.ieu et mène vers D.ieu. C’est D.ieu qui dit à Abraham vers quoi il doit aller et c’est pourquoi, tous les obstacles et tous les déterminismes s’annulent. En s’attachant à l’Illimité, nous parvenons à faire tomber toutes les limites. C’est ainsi que l’interprète le Rabbi de Loubavitch (Hitvaadouyot 5750, Vol. I, p. 327): « L’orde de Lekh Lekha – le premier ordre donné au premier juif, – exprime le lien particulier qui unit les enfants d’Israël à D.ieu, un lien initié par D.ieu Lui-même, qui transcende toutes les limites ».  C’est aussi le sens profond de Lekh Lekha – un juif doit « aller », sortir de son existence naturelle limitée et se soumettre à la volonté de D.ieu (Erets (Terre) est à rapprocher de Ratson (Volonté) ).

Abraham se met donc en route. Et il nous entraîne, nous, ses descendants (et dans notre sillage, une grande partie de l’humanité qui deviendra monothéiste) sur ce chemin. Il faut dire, un chemin qui n’en finit pas. Parce qu’il y a toujours de nouvelles barrières à abattre, de nouveaux blocages à dénouer, de nouveaux déterminismes à mettre à bas. Mais dans cette route, nous savons que nous sommes liés à D.ieu, à l’Illimité…

Dans la suite de notre Paracha, D.ieu réitère ses promesses à Abraham et lui rappelle l’état d’esprit qui doit être le sien désormais: 

« Il le fit sortir en plein air, et dit: « Regarde le ciel et compte les étoiles: peux-tu en supputer le nombre? Ainsi reprit-il, sera ta descendance. » (Bereshit XV, 5)

Et Rashi: Littéralement : « Il le fit sortir hors de sa tente pour voir les étoiles ». Selon le midrach (Beréchith raba 44, 10, Nedarim 32a), Il lui a dit : « Sors de ton horoscope tel que tu l’as vu inscrit dans les astres, à savoir que tu n’auras pas de fils ! “Avram” n’aura pas de fils, mais “Avraham” aura un fils ! “Saraï” n’engendrera pas, mais “Sara” engendrera ! Je vais vous donner un autre nom, et votre destinée va s’en trouver changée. ». Autre explication : Il le fit sortir du globe terrestre et s’élever au-dessus des étoiles. D’où l’emploi du mot habèt (« regarde »), qui exprime l’idée d’un regard jeté du haut vers le bas (Beréchith raba 44, 12).

Abram était limité par son déterminisme géographique, familial, social, par ses croyances. Mais Dieu l’élève au-dessus du monde et de ses contingences, le rapproche du Ciel; vu d’en haut,  le changement de paradigme est radical et il va changer le destin de toute l’humanité… 

Lekh Lekha, c’est la force motrice du peuple juif, c’est cette vision « out of the box » comme aiment à le dire les starts uppers à l’instar de leurs prédécesseurs révolutionnaires, inventeurs, penseurs, iconoclastes juifs à travers le temps. Peut-être ce qui explique le record mondial de start-ups au mètre carré en Israël. Mais ce n’est pas suffisant.  Parce que qui on y regarde bien, « start-up », en français, ça rend « commencer vers le haut »: l’énergie de partir, de se mettre en mouvement, tout en regardant vers le haut et en y puisant son inspiration! Le génie d’Abraham tire sa force de sa Source unique: D.ieu, la Terre qu’Il lui donne et la Torah qu’Il va lui confier…  C’est certainement cela, l’esprit start-up.  

Alors si Israël se veut être la Start-Up Nation ou la Start-Up des Nations, et pas que dans le domaine très restreint de l’innovation technologique, il nous faut nous souvenir que c’est Abraham qui est le start-upper de notre Nation. Et nous avons tout à gagner à suivre sa marche et sa démarche… 

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Sarah Weizman

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