Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Noa’h / Noa’h et l’antispécisme

N

Antispécisme. Une notion dont on parle beaucoup ces dernières semaines et dont je pensais comprendre le sens, jusqu’à ce que je le vois tagué sur la devanture de la boucherie de mon quartier sauvagement caillassée… Un acte non isolé, qui inspire à Alain Finkielkraut dans le Figaro:  “Ceux qui se définissent comme antispécistes pensent que nous, les humains, sommes des animaux comme les autres, et refusent de faire une hiérarchie entre les espèces. (…) Nous disons désormais avec Bentham: la question n’est pas «parlent-ils, pensent-ils?» mais «peuvent-ils souffrir?». Les antispécistes en concluent que puisque nous sommes tous des êtres souffrants, il n’y a plus de différence entre les animaux et nous, ce qui est absurde.”

Ces derniers mois, cette idéologie s’impose dans le débat sociétal par des actes de plus en plus violents. Jusqu’à ces derniers jours où un abattoir a été incendié par des militants antispécistes, ce que le Premier Ministre Edouard Philippe a qualifié de “terrorisme alimentaire”. 

Pourquoi ce sujet retient-il mon attention cette semaine? Tout simplement parce que c’est dans la Sidra de Noah, que l’être humain reçoit de D.ieu l’autorisation de consommer de la viande. Jusque là, D.ieu avait permis à l’homme la seule consommation des végétaux… Pourquoi donc ce changement? Pourquoi est-ce que le projet divin pour l’humanité, qui lui réservait une alimentation exclusivement végétale s’ouvre aussi à la consommation carnée? Pour une bonne raison: le Déluge est passé par là. Le Maboul va mettre fin à 1657 années de végétarisme… Pourquoi donc? 

Je ne suis bien sûr pas la première à m’être posée la question, et nombre de nos commentateurs y apportent leur éclairage… 

Mais il faut peut-être revenir aux causes du Déluge pour comprendre…  Le Déluge survient parce que “D.ieu vit la terre et voici, elle était corrompue, car toute chair avait corrompu sa voie sur la terre” (Bereshit VI, 12)

De quelle “corruption” est-il question? Rashi cite le Talmud (Sanhedrin 57a) qui la définit comme étant l’immoralité sexuelle et l’idolâtrie. Les pratiques inappropriées étaient si répandues que “même le bétail, les animaux sauvages et les oiseaux s’accouplaient à ceux qui n’étaient pas de leur propre espèce”. Et c’est pourquoi “tout endroit où tu trouves l’immoralité et l’idolâtrie, un châtiment sans discrimination s’abat sur le monde et tue les bons comme les méchants”. Ce qu’évoque Rashi ici, c’est que l’absence de discrimination, de différenciation entre les espèces a pour conséquence une punition sans discrimination…  Plus encore, le facteur déclencheur du Déluge fut la rapine, le vol à la limite de ce qui est punissable par la Loi… Le non respect insidieux des limites de la propriété d’autrui, qui crée chez la personne lésée un sentiment d’impuissance et casse la confiance en l’autre, terreau favorable à une société où la sensation d’insécurité génère la violence… 

Ce n’est pas faire un raccourci facile que de voir dans l’indifférenciation et le relativisme (culturel, idéologique ou social) les bases d’une société vouée à la destruction. Hachem ne veut pas de cette civilisation. Il veut l’altruisme, le ‘Hessed, l’amour de l’Autre. Mais il faut un ordre. Hachem marque les frontières. Pas des murs qui séparent, mais chacun doit habiter sa place dans le monde. Savoir qui il est et où il est. Le Maboul, nous dit Rashi dans un jeu de mots, est ainsi appelé car D.ieu “détruisit tout, car Il bouleversa tout, car Il transporta tout du haut vers le bas” (Bereshit VI, 17). Cette société est secouée dans tous les sens. Il ne va en rester qu’un homme et sa famille, grâce à qui à Hachem va conserver l’humanité et qui vont sauver le monde animal en le faisant entrer dans la Téva, la fameuse Arche. La Téva, c’est une boîte, c’est carré. Et surtout, c’est très organisé. Hachem demande à Noah de concevoir l’Arche avec 3 niveaux: l’étage supérieur pour les hommes, celui du milieu pour les animaux, et celui du bas pour les ordures. Chaque chose à sa place. Et il existe une hiérarchie entre les domaines. L’Arche se veut dans son ergonomie non seulement un refuge pour ceux qui permettront au monde d’avant de ne pas complètement disparaître mais aussi, une possibilité pour l’humanité de connaître un nouveau départ, sur des bases plus saines. 

C’est pourquoi aussi, le texte insiste sur le fait que les animaux qui se présentent pour pénétrer dans l’Arche viennent en couple “selon leur espèce”. Pas de mélanges. plus encore, les hommes rentreront dans l’Arche séparement, les femmes, séparément: ils sont voués à sauver ce que D.ieu veut préserver d’avant le Déluge, et ils ne peuvent “avoir des relations conjugales parce que le monde est plongé dans la douleur” (Rashi sur Bereshit VII, 7)

Même si Noah est un homme juste et intègre, même si les animaux admis à entrer dans l’Arche sont exempts de reproche, pendant un an, les habitants vont faire un stage de rééducation en prévision du monde d’après le Déluge… 

Et en sortant, Hachem pose à nouveau les termes de la vie sur terre. Si juste après sa création, Adam reçoit l’autorisation de consommer de tous les végétaux en  même temps que l’interdiction de l’Arbre de la Connaissance, au sortir du Déluge, Noah va recevoir l’autorisation, en plus des végétaux, de la consommation animale. 

Le Or haHaim considère que ce droit, Noah l’a acquis pour l’humanité pour trois raisons. La première, c’est que ce n’est que grâce au mérite de Noah que les animaux ont été epargnés de l’éradication. Parce que, seul Tsadik, Noah a été sauvé du Maboul, il a pu embarquer les animaux avec lui. La seconde, c’est qu’il le mérite bien pour tout le mal qu’il s’est donné à prendre soin d’eux pendant l’année passée dans l’Arche. Et la troisième, c’est que leur existence future est assurée grâce au sacrifice de remerciement que Noah a fait, et suite auquel, D.ieu promet de ne plus jamais faire de Déluge. 

Le Kli Yakar a une approche plus ésotérique qui met en lumière la logique sous jacente à la chaîne alimentaire: “chaque créature se nourrit de ce qui lui est inférieur. Le minéral se nourrit de sa propre énergie, le végétal, du minéral, le monde vivant du végétal. Et l’homme se nourrit de l’animal”. La nourriture ingérée devient le corps même de celui qui la consomme. Dans les termes du Rabbin Elie Munk, reprenant Rabbi Moshé Cordovero, “Ainsi s’élèvent les différents éléments de la nature jusqu’au seuil du monde métaphysique où l’âme humaine affranchie ira rejoindre la sphère céleste de la sainteté absolue”.

Evidemment, tout dépend qui mange, et comment il mange, et ce qu’il mange… D’où toutes les lois alimentaires que la Torah nous demande de respecter…

Mais en attendant, ce que nous enseigne notre Paracha, ce sont les Lois Noahides, qui concernent toute l’humanité. Et aux antispécistes, elle dit: oui, il y a une hiérarchisation des espèces: “L’ère nouvelle est marquée par la liquidation du régime végétarien qui avait été en vigueur depuis la Création du monde et qui avait duré 1656 ans. Loin d’adoucir les moeurs de l’homme, ce régime n’avait pu empêcher de les rendre cruels, égoïstes et pervers. Aussi, une nouvelle orientation est-elle donnée désormais. Celle-ci s’inscrit dans le cadre de la nouvelle méthode d’éducation, qui doit permettre à l’ensemble de la Création de s’élever progressivement jusqu’à la sphère de sainteté”. (Elie Munk, commentaire sur Noah)

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Sarah Weizman

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