Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Bereshit / Pourquoi l’Homme est créé en dernier?

B

Voilà quelques jours nous avons conclu la lecture de toute la Torah et nous avons dansé avec elle, faisant corps avec son énergie. Et immédiatement, nous avons rembobiné le parchemin et repris depuis le début. C’est avec une joie doublée d’une certaine fébrilité que nous abordons ce nouveau cycle de lecture de la Torah, qui, nous l’espérons, accompagnera une année de joie, de santé et d’élévation spirituelle et matérielle pour tous…

Je dis fébrilité parce que chaque année, nous nous demandons ce que ce texte lu et relu va nous livrer d’inédit; et nous ne sommes jamais déçus… 

Donc commençons par Bereshit… La Création du monde dont la description nous laisse tout aussi ignorants devant le mystère des origines (Nahmanide dans ses commentaires sur la Genèse laisse entendre qu’elle est si pleine de secrets qu’il est impossible à l’homme moyen d’en saisir grand-chose…) se conclut par la Création de l’Homme. Parmi les millions de questions qui se posent à la lecture de ces textes, j’ai décidé de m’arrêter sur une question bien plus existentielle qu’il n’y parait: pourquoi l’homme est-il créé en dernier? 

A cette question, les Sages donnent 2 réponses:

La première est celle qui, dans le sillage de la Michna (Sanhedrin IV, 5) met l’accent sur la centralité et la supériorité de l’Homme dans l’univers; l’humain étant la « couronne de la Création », il ne pouvait advenir que dans un monde déjà prêt à l’usage, comme un invité d’honneur qu’on ne reçoit pas quand tout est encore en chantier; il arrive à point nommé pour accomplir un acte important, une Mitsva. Ou pour participer au festin en son honneur (Talmud Sanhedrin 58a): c’est pourquoi, nous dit la Michna, l’Homme peut se dire: « C’est pour moi que le monde a été créé! ». 

La seconde réponse nous dit: « C’est parce que si il (l’homme) s’enorgueillit, on lui dit: même le moustique t’a précédé (dans la Création)! » (Talmud Sanhedrin 58a)

Ces deux pistes semblent bien contradictoires: l’homme est-il la cerise sur le gâteau de la Création, la plus importante créature? Ou un moins que rien, même inférieur au plus minuscule des insectes? Est-ce que les Sages annoncent ici la querelle entre la vision anthropocentrique classique de l’univers et celle, dont se saisissent certains penseurs voire militants actuels qui dans la suite du darwinisme, exigent un traitement biocentrique des espèces? 

En fait, le débat ne se situe pas à ce niveau pour les commentateurs que j’ai lus… La Torah s’adressant à l’Homme, elle le place au centre de l’attention. Et elle lui donne plusieurs pistes sur sa place dans le monde… 

La première thèse, qui dit donc que « le monde a été créé pour moi » me dit que tout est à ma disposition. Je peux tout entreprendre, je ne dois accepter aucun fatalisme ni déterminisme parce que tout est à ma portée; je peux et je dois me dépasser à chaque instant. Cette pensée nous arme d’un optimisme à toute épreuve et d’une énergie folle. C’est la mère de la psychologie positive… Plus encore; partant du principe qu’à chaque instant, D.ieu renouvelle la Création puisqu’Il réinfuse en permanence l’énergie nécessaire au maintien de la Matière, il en ressort que nous sommes à chaque moment une personne nouvelle face à un monde nouveau, et, explique le Rav Chalom Aroush, « avoir foi dans le fait que le « monde est créé pour moi » m’apprend un principe de base: il faut recommencer à chaque fois comme si c’est la première fois! Tout l’enchainement de la Création et des situations de la vie n’ont pour unique but que le fait qu’à ce moment précis, je fasse ce que le Créateur attend de moi… ». Vivre avec cette conviction permet de faire un pied de nez aux barrières naturelles ou psychologiques, aux croyances et aux faiblesses qui nous mènent à l’échec..

A vrai dire, quand on entend « le monde est créé pour moi », on se dit que cela nous semble bien loin de l’altruisme prôné par la Torah… Si tout est pour moi, alors je tombe dans l’égocentrisme. Ca me fait penser à ce personnage de Disney, Kusco l’Empereur Mégalo dont le travers de la mégalomanie est si grotesquement évoqué et que la vie va se charger de remettre à sa place…  Mais Rav Kook évoque ici une autre facette de ce qu’évoque ce « pour moi »… En hébreu, la phrase dit « bichvili nivera haolam » et « bichvili » peut aussi se traduire: « pour ma voie » (traduction du Rav Haim de Czernovitch). Chaque individu est un monde en soi, et il apporte sa nuance et son particularisme à l’ensemble de l’univers: le monde a été créé pour que chacun concrétise et exprime sa voie originale dans le service divin. En somme, chacun a une mission particulière, un monde à réparer et à améliorer, et c’est le but de notre présence sur terre. 

Cependant, face à la tentation d’un monde que chacun ne ferait tourner qu’autour de lui-même; les Sages coupent toute velléité d’orgueil: « ne t’envole pas trop, ‘même un moustique a été créé avant toi!’ » 

Ce rappel à l’humilité pourrait se suffit à lui-même. Pourquoi donc les Sages prennent-ils le risque avec la première explication d’une prise de pouvoir par l’homme sur le monde qui serait destructrice? Tout simplement parce que l’humilité poussée à l’extrême, le « je suis moins qu’un moustique », est aussi dangereuse que l’égocentrisme: elle mène à la dépréciation de soi, à la déprime et donc à l’inaction. Si je ne suis rien, je ne fais rien non plus. Parce que, qui suis-je pour entreprendre de grandes choses? Et cela n’est pas envisageable, puisque D.Ieu crée l’homme dès le départ pour qu’il « fasse », pour qu’il parachève l’oeuvre de la Création. 

Cette tension permanente, entre la mégalomanie et la fausse modestie, c’est un des grands challenges que nous devons apprendre à maîtriser à chaque situation que la vie nous propose. Pour un bébé, dès sa naissance, le monde tourne autour de lui. En grandissant, l’enfant apprend qu’il n’est pas seul, qu’il doit partager ses parents avec d’autres personnes, qu’il doit savoir attendre et respecter les temps, les lieux et les gens. Et aussi exister, trouver sa voie, faire entendre sa voix et son originalité. C’est tout le défi de l’éducation… Acquérir la Sagesse, nous dit la Michna dans Pirké Avot (VI, 6), c’est notamment « connaître sa place ». Et cette question se pose à chaque moment… Le Rav Noah Weinberg zl’, fondateur de Aish Hatorah, explique justement dans un texte que je vous recommande vivement: « En apprenant à faire cette estimation, vous saurez à tout moment si vous vous trouvez dans la position la plus favorable dans une situation donnée. Si c’est le cas, ne vous laissez pas retenir par une fausse modestie. Vous ne devez pas hésiter à vous mettre en avant et à vous manifester. Mais en revanche, cela implique que vous sachiez reconnaître que d’autres peuvent être plus qualifiés que vous et qu’il vous appartient alors de rester à votre place. » (http://www.lamed.fr/index.php?id=1&art=1391

Le Rabbi de Loubavitch (Likouté Si’hot vol. VII, p.77) aborde cette tension au niveau mystique: par son âme, cette parcelle divine, l’homme est la créature la plus élevée de l’univers. Mais si l’on ne s’attache qu’au corps, l’homme est la plus basse et la plus inférieure des créatures puisqu’il est la seule qui, avec son libre arbitre peut décider de se révolter contre D.ieu et de lui désobéir; les animaux, eux, ne font que ce pour quoi ils ont été créés… (voir Tanya chap. XXIV). Mais lorsqu’il arrive à transformer le caractère purement matériel de son corps en outil d’élévation spirituelle, alors même le fait qu’il soit « créé après le moustique » devient un atout… 

Je pense que cette problématique posée dès la genèse de l’humanité et qui nous expose au tiraillement perpétuel  entre l’orgueil mal placé et la modestie déplacée, nous oblige à opter pour la force du choix plutôt que pour le renoncement du fatalisme, pour un optimisme énergique et respectueux des autres. C’est peut-être une des questions qui vont ensuite traverser toute l’histoire de nos ancêtres dans la Torah. Des hommes qui vont finalement apprendre à connaître leur place, à l’occuper à juste titre, et à laisser la place aux autres aussi… 

Je laisse le mot de la fin à Rabbi Sim’ha Bounim de Pchis’ha qui disait: « chacun doit posséder deux poches dont il doit se servir si nécessaire. Dans une poche, il doit mettre un papier sur lequel est inscrit: « C’est pour moi que le monde est créé ». Et dans l’autre, un second papier qui dit: « Et je ne suis que poussière et cendre » (Bereshit XVIII, 27) ». 

Et il ajoutait: « Beaucoup de gens se trompent et utilisent la poche opposée à celle dont ils auraient besoin… »

A propos...

Sarah Weizman

Ajouter votre (sur)commentaire

Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Articles récents

Commentaires récents

Archives

Catégories

Méta