Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vezot Habera’ha – Sim’hat Torah / La danse du Patrimoine

V

« Ma seule religion, c’est le patrimoine » a dit il y a 15 jours l’animateur Stéphane Bern, organisateur du Loto du patrimoine destiné à sauver des monuments et objets du patrimoine français menacés…   J’ai hésité à mettre une majuscule à patrimoine, tant il se dégage une impression de sacralité de cette déclaration d’amour aux pierres et aux objets de France… 

Je mes suis demandée si le patrimoine pouvait être une religion. Et voilà ce que Moché notre Maître, sur le point de quitter ce monde dans notre Paracha, déclare à son peuple en le bénissant: « Il dit: « L’Éternel est apparu du haut du Sinaï, a brillé sur le Séir, pour eux! S’est révélé sur le mont Pharan, a quitté les saintes myriades qui l’entourent, dans sa droite une religion (une Loi) de feu, pour eux! »

Juste après, Moché précise la nature de cette Loi:  « Torah tvsiva lanou Moché moracha kehilat Yaakov: la Torah que Moché a ordonnée est l’héritage de la communauté de Jacob ». 

Tiens donc… la Loi est un héritage, le Patrimoine (avec une majuscule pour le coup!) de la communauté de Jacob est donc la Torah… Un Patrimoine intangible, un héritage spirituel… 

Pour les Sages, dans la Braïta, ce verset, ce sont les premiers mots qu’un enfant doit apprendre à dire, dès lors qu’il commence à parler: la transmission commence dès les premiers mots, et ce ne sont pas des comptines que l’on récite pour divertir notre bébé mais « un petit qui commence à savoir parler, son père lui enseigne ’Torah’ et le ‘Chema’ ». Est-il seulement possible d’enseigner TOUTE la Torah à un tout-petit qui commence seulement à parler?! « Rabbi Hamenouna explique: il s’agit du verset « Torah Tsiva … » (Talmud Soucca 42a). Nous retrouvons Rabbi Hamenouna au traîté Bava Batra (14a), qui explique à ses collègues comment Rabbi Ami a pu « écrire la Torah » 400 fois, ce qui est humainement impossible: c’est en fait le verset « Torah Tsiva » que Rabbi Ami aurait écrit 400 fois pour le distribuer aux enfants… Ce verset est donc le porte-drapeau de toute la Torah, et il n’a certainement pas été choisi de manière arbitraire… 

En fait, ce verset est le fondement de la transmission de la Torah de génération en génération, depuis Moché jusqu’à nous. Ce qui en fait un héritage perpétuel en même temps qu’il nous est très personnel. 

Le Rabbi de Loubavitch qui a choisi ce verset comme le premier des 12 Psoukim (ces versets qu’il encourage à faire répéter quotidiennement aux enfants juifs) interprète chacun de ses mots, et il se pose notamment la question de savoir pourquoi, dans ce message sur la transmission, c’est à la « communauté de Jacob » qu’on s’adresse et pas plutôt à Israël. Pour lui, la dimension de communauté est primordiale: cet héritage revient à tous, il n’y a pas de gradation entre les héritiers. Il est primordial que ce soit une communauté unie qui le reçoive. Mais surtout, c’est à Jacob à qu’elle s’adresse. Israel renvoie à la puissance, à la valeur du peuple juif. Yaakov, c’est le prénom du juif, c’est son essence: il y a là une unité qui ne tient pas compte des niveaux différents des individus, la Torah est un héritage pour tous les juifs pour la simple raison qu’ils ont cette essence de Jacob en eux…. (Torat Menahem Vol. XXXV, p. 153)

J’ai traduit « Moracha » par le terme héritage. Mais en fait, il est difficile de rendre ce terme en français. Parce qu’il existe un autre mot, de la même racine hébraïque, qui renvoie aussi à l’héritage, au legs: « Yeroucha ». Alors quelle différence entre « Moracha » et « Yeroucha »? 

C’est dans un développement exposé par l’ancien Conseiller Juridique du Gouvernement israélien et Vice-Président de la Cour Suprême d’Israel, Elyakim Rubinstein, que j’ai trouvé une approche interessante. Il rappelle d’abord que le terme Moracha n’apparait que 9 fois dans la Bible, et qu’il renvoie à deux héritages ou deux patrimoines: la Torah et la Terre d’Israel. L’un est terrestre, physique, et le peuple juif en a souvent été privé. Le second est immatériel, et c’est la Torah.  Rashi sur notre verset précise: « La Torah que Moché à prescrite est un héritage pour la communauté de Jacob: nous la tenons ferme et nous ne l’abandonnerons pas »: un héritage est un objet que l’on reçoit passivement et dont on peut se défaire; mais la Torah est une Moracha, une propriété perpétuelle…  Ou encore, comme l’écrit Rabbi Meir de Rottenburg, « la Torah n’est pas un héritage qui tombe dans la propriété de l’individu sans effort, mais l’on doit faire l’effort de la posséder, de s’en occuper, de l’étudier »….

On ne peut donc envisager la Torah comme une rente automatique, comme un droit. D’ailleurs, dans les Pirké Avot, une assertion de nos Sages qui semble en contradiction avec notre verset nous enjoint: « Prépare-toi d’apprendre la Torah car elle ne t’est pas donnée en héritage » (II, 12)… Alors héritage ou pas héritage? 

Les Sages du Talmud, par une pirouette linguistique, nous éclairent sur cette contradiction: « ne lis pas Moracha, héritage, mais Meorassa: fiancée » (Pessa’him 49b) 

A l’héritage qui est un droit lié à la filiation, au patrimoine (de pater)  qui met en avant le lien de père à fils, on ajoute une dimension matrimoniale: la Torah est comparée à une épouse, « elle est d’abord donnée à Israël comme une fiancée, et une fois qu’il l’étudie, elle devient son épouse » (explication du Maharsha).

Le Patrimoine, lorsqu’il devient un legs matrimonial, implique donc des devoirs, plus seulement des droits… Il n’est pas qu’une sacro-sainte relique qu’on respecte et qu’on vénère, mais il est vivant, actuel et personnel.  

Le Sridé Esh, Rav Yehiel Yaakov Weinberg, un des plus grand décisionnaires et penseurs rabbiniques du XXème siècle, résume ainsi les choses: « Beaucoup de gens respectent la Torah, mais ils la considèrent comme un trésor intouchable… Une antiquité de grande valeur. Ils n’interrogent pas la Torah sur la manière de gérer les problèmes du quotidien. Ces personnes respectent la Torah comme on respecte des aïeux, mais jamais elles ne leur exposeraient leurs soucis personnels. C’est à ce propos que les Sages nous disent à propos de la Torah qu’elle n’est pas Moracha (un héritage) mais Meorassa (une fiancée), pour qu’on la considère comme une chose aimée et importante, dont on tire conseil et dont on respecte l’opinion… » «  Le rapport à la Torah ne doit pas être envisagé comme un rapport à la sacralité du patrimoine et de la tradition mais ce doit être un lien premier et nouveau, un lien délibéré et unique d’amour. Non pas la déférence d’un petit-enfant envers sa grand-mère qu’il respecte et admire mais à laquelle il interdit de se mêler de sa vie privée; mais la relation d’un jeune homme à sa fiancée qui a un droit de regard dur sa vie… ». 

Voilà donc pourquoi nous célébrons la fin du cycle de annuel de lecture de la Torah le soir de Sim’hat Torah par des danses autour du rouleau de la Torah fermé. Avant d’en achever la lecture, nous rappelons par nos rondes que comme tout point du cercle est équidistant de son centre, tout juif est égal devant la Torah. C’est à toute la communauté qu’elle a été donnée, c’est notre héritage collectif. Le soir de Sim’hat Torah, nous ne mettons pas en avant l’érudition mais le lien naturel que nous avons avec notre Patrimoine. Un lien physique, ce sont nos pieds qui dansent ce soir-là, pas notre tête qui travaille. Cette Torah est un droit pour tous, et tous, nous avons le droit de nous en réjouir. Et de nous en saisir. Parce que pour que ce Patrimoine devienne vraiment nôtre, il nous faudra nous saisir de la Torah, et, le jour de Sim’hat Torah, l’ouvrir et la lire. Tous. Et reprendre depuis le début. Comme des époux qui, pour faire durer l’amour, gagneront à poser à chaque fois un regard nouveau sur leur fiancé(e) d’antan. 

‘Hazak ‘Hazak Venit’hazek!

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Sarah Weizman

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