Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Balak / L’ânesse parlante de Bilam

B

Nous voici arrivés à Balak. Une pièce en plusieurs actes. Les protagonistes principaux sont Balak et Bilam. Balak est roi de Moav, mais selon les commentateurs, ils n’est pas d’extraction royale. Il est monté sur le trône parce qu’il est celui que ses compatriotes ont trouvé le plus apte à agir contre la « menace » qui se profile contre eux: le peuple d’Israël en route pour sa Terre a déjà remporté des victoires éclatantes contre des rois puissants et ils ont peur… 

Bilam, lui, n’est pas de ce peuple. Mais sa réputation dépasse toutes les frontières: il est le plus grand des prophètes chez les Nations, et c’est un mercenaire de la malédiction. 

Quant au troisième protagoniste, il ne sait pas qu’il est en fait le personnage principal de la pièce: c’est le peuple d’Israël qui à l’instar du petit village d’Asterix le Gaulois, vit paisiblement dans son camp et n’a aucunement conscience des forces occultes qui se déchaînent contre lui.

Balak et Bilam, c’est une convergence des haines. Rien ne les lie si ce n’est leur haine des Enfants d’Israël. Pendant près de 40 ans, nos ancêtres ont été plutôt coupés du contact avec les autres nations, mais en se rapprochant de la Terre d’Israël, ils côtoient à nouveau la civilisation; notre Paracha fait un pas de côté et nous laisse entrevoir le retentissement que cela a dans les sociétés environnantes. Et on voit bien que face aux miracles qui ont accompagné la sortie d’Egypte et la vie dans le désert, les Nations pensent que la solution, c’est la sorcellerie et les forces du Mal. C’est donc là qu’intervient Bilam…

Le récit de notre Paracha fait rapidement descendre Bilam de son piédestal et on voit, notamment à travers le commentaire de Rashi, comme il est mis en face du ridicule et de l’absurde de son entreprise. Il ne sedémonte pourtant pas; la haine est plus forte que tout, quitte à tout perdre…

Puis apparait le quatrième personnage du drame qui rend l’histoire plutôt rocambolesque et ajoute une touche de magie au tout: la fameuse ânesse parlante de Bilam!

L’épisode de « l’ânesse qui parle », cette modification miraculeuse de la nature de l’animal est répertorié dans le Talmud comme déjà potentiel au moment de la Création du monde.

Une Michna de Pirké Avot nous enseigne:

« Dix objets furent créés la veille du Chabbat [de la Création]  au crépuscule. Ce sont : l’ouverture de la terre [qui engloutit Kora’h], l’ouverture du puits [qui abreuva les enfants d’Israël dans le désert], la bouche de l’ânesse [de Bilam] (…) » (V, 6)

On n’y prête pas forcement attention, mais sur les 10 objets cités par la Michna, les trois premiers sont des « ouvertures » ou plus littéralement, des « bouches ». Et surtout, ce qui nous intéresse, c’est que ces 3 bouches préparées depuis la Création du monde se dévoilent précisément dans notre Paracha et les deux précédentes. Elles apparaissent chacune à un moment de tension dans l’histoire d’Israël prêt à rentrer sur sa terre, un moment de transition entre la vie dans le désert et le temps de la prise de possession de la Terre promise. Ces objets ont tous été créés « ben hachemachot », « entre les soleils », au crépuscule, entre chien et loup, un moment où on ne peut définir si c’est le jour ou la nuit, dont on doute à quel jour il appartient. Cet entre-deux, c’est le moment de tous les dangers… 

Rav Abraham Weingort dans Lev Banim sur Pirké Avot cite à ce sujet le Talmud au traité Guittin (52a)  qui rapporte le cas de deux personnes qui se disputaient toujours au crépuscule, juste au moment de l’entrée du Chabbat. Rabbi Méir est donc resté avec eux à trois reprises à ce moment précis et a réussi à faire la paix entre eux. « Ce que nous apprend cette anecdote, c’est que le moment de ‘ben hachemachot’ est porteur d’une chose et son contraire. Il peut être à la fois cause de dispute et de réconciliation entre les hommes, car telle est sa nature: à la fois jour et nuit, à la fois profane et saint. Le jour et la nuit, le profane et le Chabbat se disputent sa propriété. Mais en même temps, il est le point de rencontre, celui qui fait la jonction entre le jour et la nuit, entre le profane et le Chabbat »

Ce moment de transition, dont la nature est brouillée est aussi propice à la brouille. C’est ce que j’appelle les « 5 dernières minutes » avant Chabbat. Le rush des derniers préparatifs avant l’entrée de Chabbat peut être source de disputes dans les familles, souvent dans les couples, à tel point que le Michna Broura écrit que les Kabbalistes avertissent d’être attentifs à ne pas se laisser entraîner dans la dispute pendant Chabbat et plus particulièrement, au moment du crépuscule…

« Ainsi, les objets qui ont été créés « ben hachemachot » sont tous le fruit d’une collaboration entre l’action de l’homme, positive ou – à D.ieu ne plaise !- négative, et la création divine » conclut l’auteur du Lev Banim. 

Dans un temps de clair-obscur où tout est brouillé, comment donc faire le bon choix?

Certains commentateurs ont noté que nos trois parachiot  évoquent un dilemme face à une difficulté (la remise en cause de l’autorité de Moché avec Kora’h, la question de l’espoir en la force de la vie avec le puits, et la question de l’usage de la parole avec Bilam) et dans lesquelles nous retrouvons un point commun: Kora’h, ‘Houkat et Balak portent toutes en elles la lettre Kouf, la lettre de la Kedoucha, la sainteté. C’est à dire que dans l’entre-deux, quand la vision est trouble et que le choix peut mener à l’abîme, la décision gagne à être guidée par une exigence de Kedoucha.   

Le Rav Jonathan Sacks rappelle que la Kedoucha, c’est avant tout une morale de l’intimité. Ca commence par la fidélité à son conjoint, à ses proches, à son peuple et à D.ieu. 

Dans notre Paracha, le peuple n’est pas conscient de ce qui se trame. Il ne voit ni Bilam, ni les princes de Balak, ni l’ânesse. La Paracha nous relate ce qu’on ne voit jamais: cette protection divine de tous les instants. C’est un peu, et à bien moindre niveau,  ce qu’on peut ressentir quand on découvre les catastrophes évitées grâce à l’action des services secrets; les bons citoyens qui vivent leur vie et dorment tranquilles ont rarement l’occasion de savoir à quoi ils échappent en permanence… 

Mais cette protection divine se mérite; Bilam le dit bien: « Qu’elles sont belles tes tentes, ô Jacob! », ce qui impressionne Bilam, c’est l’organisation du camp d’Israël qui préserve avant tout l’intimité de chaque famille, la protégeant d’un voyeurisme malsain. 

Bilam a compris le secret. Tant qu’ils demeurent dans l’intimité et la sainteté de leur tentes et maintiennent une moralité familiale à toute épreuve, ils sont protégés de facto. Même leurs ennemis les bénissent!

Mais sa haine est plus forte; et il donne donc un nouveau conseil à Moav: pour que les Enfants d’Israel perdent leur immunité, ils doivent perdre leur moralité. C’est par là que Moav va réussir à attaquer le peuple d’Israel et à le fragiliser…

Le Rav Sacks nous invite donc à une réflexion qui peut être aussi valable pour nous, génération du voyeurisme et du selfie, de la publication instantanée de l’intimité. Nous dont le défi est de préserver la fidélité dans tous les domaines de la vie, encore plus avec le brouillage des idées et la perte de repères qui caractérisent notre époque, où les limites ne sont pas claires et la vérité bien difficile à définir. Le livre de Bamidbar, dont le récit oscille en permanence entre l’ordre et le chaos, le saint et le profane, est un livre « historique, mais pas dans le sens où on l’entend. Bien plus qu’il nous décrit les événements des 40 ans du désert, il nous montre les conséquences de la perte de direction dans le désert temporel. Ses leçons sont toujours d’actualité. Dieu peut nous sauver de nos ennemis. Mais de nous-mêmes, nous sommes les seuls à pouvoir le faire… ».  

L’ânesse, dont la bouche existe depuis la  Création du monde, nous parle dans la pénombre de l’histoire et de la conscience et nous livre son secret: pour dormir tranquille, le peuple juif sait qu’il doit préserver la fidélité et l’intimité de ses foyers…

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Sarah Weizman

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