Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Kora’h / Où sont les femmes?

K

La semaine dernière, au cours de mes lectures sur la Faute des Explorateurs, j’ai été frappée par une analyse très originale. C’est celle du Keli Yakar, un commentateur polonais du XVIème siècle qui tout à coup, nous interpelle: et si ça avait été des exploratrices? Pour lui, des femmes n’auraient certainement pas agi comme les hommes parce que « les hommes détestaient la Terre d’Israël alors que les femmes l’affectionnaient » comme le montre le cas des filles de Tselof’had, seules héritières d’un père décédé et qui se sont battues pour avoir une part dans la Terre promise… Il aurait fallu entendre la voix féminine…

Si on regarde bien, l’enchaînement des événements depuis le Don de la Torah n’est pas des plus glorieux pour les enfants d’Israël. La faute du Veau d’Or, les plaintes des Mit’onenim, leur « fuite » du Mont Sinaï, encore les plaintes au sujet de la nourriture, puis la Faute des Explorateurs. La punition est terrible, ils devront errer encore 39 ans dans le désert et tous les hommes de plus de 20 ans au moment des faits mourront dans le désert… 

Il y a pourtant une constante qui se vérifie à chacun de ces événements: les femmes ne sont pas concernées. On n’en parle pas… On pourrait penser que c’est normal, que nous sommes dans une société patriarcale où les femmes n’ont pas voix au chapitre et qu’elles sont donc insignifiantes dans le récit. Pourtant, à chaque occurence, Rashi, le Midrash ou les autres commentateurs prennent le temps de préciser que les femmes n’ont pas fauté. Elles n’ont pas participé aux révoltes et aux plaintes. Elles ne seront pas sanctionnées comme les hommes et donc pas interdites d’entrée en Terre d’Israël… 

Si on n’entend pas la voix des femmes dans les dialogues de ces événements tendus, le Midrash et le Talmud se font leur porte-voix dans notre Paracha où elles vont être décisives dans les destins de deux protagonistes principaux de la révolte: Kora’h, l’instigateur, et One ben Pelet, un membre éminent de la tribu de Reouven. 

Kora’h n’est pas juste un contestataire de plus. C’est un proche de Moché et Aharon. Il est d’ailleurs tellement proche qu’il se demande pourquoi eux et pas lui. Il est immensément riche, bien né puisque d’une des grandes familles de Leviim. C’est un brillant érudit. Mais il lui manque ce qui manque à beaucoup de gens qui ont réussi: une reconnaissance publique. Il veut le pouvoir. Il se joue là un drame d’égo bien classique, mais celle qui va souffler sur les braises de ce mal-être, c’est la femme de Kora’h. Le Midrash nous rapporte l’argumentaire qu’elle a déployé pour encourager son mari à attaquer Moche et Aharon. Qui mieux qu’elle d’ailleurs pouvait connaître ses faiblesses intimes et ses blessures? Qui pouvait appuyer avec tant d’habileté là où Korah avait mal? Qui a joué sur sa sensibilité et sur son manque de confiance en lui?  En dépit de la richesse proverbiale dont il était à la tête, en débit de sa position honorable dans le peuple, rien n’était suffisant. Il voulait la place de l’autre parce qu’il ne trouvait pas la sienne. Ou plutôt ne voulait pas habiter la sienne. Et sa femme le savait… En punition, il n’aura plus de place sur terre. Les révoltés seront engloutis par la terre… Et pour une fois, les femmes aussi subiront la sentence. 

A l’opposé, nous avons la femme d’One ben Pelet. Nous ne connaissons pas les motivation d’One mais ce qu’on sait, c’est qu’il fait partie des comploteurs au départ et que forcement, sa femme les a entendus fourbir leurs arguments. Parce que les révoltés mettent en place une vraie entreprise de propagande. Ils usent et abusent de démagogie envers le peuple, en disant: après tout, D.ieu nous a tous choisis et nous sommes tous saints! Pour quelle raison Moché et Aharon seraient au-dessus de nous? Rashi apporte une explication suivie sur tout cet épisode en précisant qu’« il est très bien expliqué par le Midrash de Rabbi Tan’houma », c’est à dire que son analyse peut s’appliquer à tout type de controverse négative. Les motivations sont toujours liées à un ego mal géré et les techniques passent toujours par un mécanisme de propagande déniant à l’autre le droit même d’opposer la logique de ses arguments et de sa vérité. Datan et Aviram refusent même tout dialogue, ils veulent la dispute un point c’est tout!

Tout cela, la femme d’One le voit et elle pressent que pour détourner son mari de ce projet mortifère, elle ne peut l’aborder frontalement. Il est pris dans le feu du projet, Korah et ses acolytes jouent sur sa fibre sensible, il a mis tous ses espoirs dans ce combat égalitaire… Alors, plutôt que de se lancer dans un débat passionné avec lui, elle qui le connait si bien va exploiter la qualité de son lien avec son mari pour le ramener à la raison. 

D’abord, au milieu de la fièvre révolutionnaire qui agite le peuple, elle va recréer une intimité avec son mari: elle lui prépare un repas, l’invite à se ressourcer à l’intérieur de son foyer. Et dans la sérénité de cet instant, elle va doucement l’amener à prendre conscience qu’il n’a rien à gagner à cette dispute. Qu’après tout, que ce soit Moché ou Kora’h qui s’impose, ce n’est pas à lui que reviendront les fonctions importantes. Que finalement, toute cette révolte est là pour servir les interêt et la recherche de pouvoir d’un seul homme, et qu’il n’est pas cet homme. 

Son mari, qui commence à être convaincu par elle, se dit qu’il est trop tard pour revenir en arrière, que ses complices risquent de très mal le prendre. Là encore, sa femme le rassure: elle lui demande de la laisser gérer ce problème et finalement, elle trouvera le moyen de les éloigner de son mari. De tous les complices de la révolte, One ben Pelet sera le seul à être épargné par la punition… 

Le stratagème de la femme d’One est si brillant que le Talmud la prend pour le modèle de la femme sage qui construit et même qui sauve son mari: « Une femme sage construit son foyer (Proverbes XIV, 1): il s’agit de la femme d’One ben Pelet! (En opposition à celle de Kora’h)» (Sanhedrin 110, a) 

Je pense que ces deux femmes sont bien représentatives de l’usage que les femmes peuvent faire de leur voix. Je ne pense pas aux femmes intrigantes de l’Histoire ni à toutes ces éminences grises qui pu tirer les ficelles du jeu politique dans une intention de manipulation et de fourberie. 

Le combat féministe se déchaine pour obtenir une position égalitaire dans l’arène de la société. Mais ce que les femmes de la génération du désert nous montrent, c’est qu’il est bien plus important de faire entendre sa voix différente, bien féminine et bien distincte de celle qu’exprime la masculinité… 

En donnant une voix à la femme d’One, le Talmud nous montre comment les femmes du désert ont réussi à ne pas se laisser emporter par le tourbillon destructeur de leurs alter ego masculins.  

Alors où sont les femmes du désert? Elles ont là et bien là. Elles résistent passivement à l’écrasant esclavage égyptien en maintenant vivace la flamme de leur couple. Elles résistent à l’instinct de la faute de leur mari quand elles refusent de donner leurs bijoux pour le Veau d’Or. Elles résistent en refusant de rentrer dans le jeu des explorateurs. Elles restent encore et toujours fidèles au projet de D.ieu depuis le début. Finalement, ce sont elles qui assurent la pérennité du message et de la transmission puisque de la génération qui est sortie d’Egypte, elles seront les seuls témoins pour ceux qui naîtront en Terre d’Israël. C’est peut-être la raison pour laquelle le Roi Salomon exhorte son fils à « écouter la morale de son père et à ne pas abandonner la Torah de sa mère ». Parce que celles qui ont montré une vraie constance et un vrai attachement à la Torah, ce sont avant tout les femmes. 

Cette réflexion sur la Paracha fait quelque part écho au combat féministe qui a repris des couleurs ces derniers mois; s’il est justifié par les injustices qu’il doit dénoncer, il faudrait veiller à ne pas se tromper sur la voix qu’il veut faire entendre. 

Je laisse le mot de la fin au Rabbi de Loubavitch dont nous célébrons la Hilloula ce Chabbat. Le Rabbi a développé une approche inédite du rôle des femmes dans la communauté juive, les enjoignant à faire entendre leur voix spécifique dans tous les domaines. Ainsi, il les appelle à se saisir du micro de la modernité pour s’exprimer comme moteur de la Délivrance finale: « La qualité des filles de Tselof’had, qui ont pris une part dans la Terre d’Israël comme les hommes, c’est à dire que non seulement elles aimaient la Terre mais qu’elles ont voulu prendre une part, comme les hommes. Et c’est précisément le rapport qu’il y a à voir avec la Délivrance finale où on n’entendra pas seulement (la Voix du Marié) mais aussi celle de la Mariée » (Hitvaadouyot, 5745, Vol III, p. 1644) « Et dans la ‘Hassidout, on explique qu’à l’avenir se dévoilera la supériorité de la femme sur l’homme, parce que non seulement, on entendra la Voix de la Mariée (ce qui était considéré comme indécent jusque là) mais plus encore, ‘la femme entourera l’homme’ » (Hitvaadouyot, 5711, Vol I, pp. 149-150). 

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Sarah Weizman

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