Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Chela’h Lekha / Peut-on critiquer Israël?

C

Cette semaine est débattue à l’Assemblée Nationale la proposition de loi « fake news » dont l’objet n’est désormais plus la lutte contre les « fausses informations » mais « contre la manipulation de l’information » en période pré-électorale.  « La notion de manipulation de l’information correspond mieux aux dispositions comme aux enjeux du texte », a souligné le rapporteur LREM Bruno Studer. Les atermoiements sur la formulation du contenu de la loi montrent bien la difficulté qu’il y a à circonscrire son champs d’application, à éviter d’empiéter sur la liberté d’expression et d’opinion et à débusquer la dangereuse manipulation de l’opinion publique; est-il même possible d’imaginer une objectivité dans le domaine de l’information? Et encore plus dans la jungle des réseaux sociaux? 

400 ans après la promesse faite à Abraham, D.ieu va enfin faire entrer les enfants d’Israël en Terre de Canaan. A la veille de la réalisation de ce rêve ancestral, le peuple demande d’envoyer des espions pour explorer le pays. Ceux-ci reçoivent une feuille de route de Moché et ils doivent examiner plusieurs points relatifs à la conquête. Et c’est ce qu’ils vont faire. A leur retour, ils font leur rapport…. Et c’est là que les choses tournent mal. 

Avec Chela’h lekha on atteint le point de non-retour dans la vie des enfants d’Israël sortis d’Egypte. L’épisode qui nous est relaté dans notre Paracha, la tristement célèbre « Faute des Explorateurs » a fait couler beaucoup d’encre parmi nos commentateurs et elle continue de résonner aujourd’hui. 

En quoi les Explorateurs ont-ils eu tort? N’étaient-ils pas mandatés pour espionner le pays et dire ce qu’ils y avaient vu? Auraient-ils dû travestir la vérité et dire à Moché ce qu’il avait envie d’entendre? A tout cela, Nahmanide répond que tant qu’ils s’en tiennent aux faits, il n’y a aucun reproche à leur faire. 

Mais dans la réalité, il est très difficile de ne s’en tenir qu’aux faits. Nous le voyons dans les médias. Même un présentateur météo n’est pas neutre. Quand il annonce en plein hiver que le lendemain sera une belle journée parce qu’il y aura du soleil, alors que les agriculteurs ont besoin d’eau pour arroser leurs champs, son information est forcement présentée avec le parti pris du citadin que la pluie dérange! Les phrases ne sont jamais tournées de manière anodine, que ce soit intentionnel ou pas. Il y a toujours une part de la subjectivité du locuteur qui s’exprime. 

Et sur les 12 explorateurs, 10 laissent entrevoir leur subjectivité très rapidement par un mot: « efess »

« Et ils lui firent ce récit: « Nous sommes entrés dans le pays où tu nous avais envoyés; oui, vraiment, il ruisselle de lait et de miel, et voici de ses fruits. Mais (« efess ») il est puissant le peuple qui habite ce pays! Puis, les villes sont fortifiées et très grandes, et même nous y avons vu des descendants d’Anak! » (Bamidbar XIII, 27-28 )

Il était juste que les explorateurs décrivent le pays, sa terre, ses villes et ses habitants. Mais, nous dit Nahmanide, par « efess » (littéralement « nul »), ils disent: il est totalement impossible de le conquérir! Pire: par ce petit mot, ils passent du statut de rapporteur d’information à celui de conseiller. Ils donnent leur avis. C’est un peu la différence qu’il y aurait dans une rédaction de presse entre un journaliste d’informations et un éditorialiste ou un analyste. Ils ont glissé du champs de leurs compétences et se sont permis d’interpréter et de donner un verdict…. C’est là la très lourde faute qu’ils commettent (Rav Its’hak Arama, Akedat Its’hak). Désormais, tout ce qu’ils disent est teinté de leur jugement pessimiste… 

Mais nonobstant ces outrages, est-il interdit de dire la vérité que l’on perçoit? Doit-on museler tout avis négatif? 

En fait, ce que beaucoup de commentateurs reprochent aux Explorateurs, ce n’est pas tant ce qu’ils ont dit que comment ils l’ont dit. Dès le début de la Paracha, Rashi relève la juxtaposition de notre histoire avec le récit de Myriam qui a été frappée de la lèpre parce qu’elle a parlé au sujet de son frère Moché. Pour lui, les Explorateurs n’ont pas tiré les leçons de ce qui est arrivé… « Myriam a été punie non pas pour avoir calomnié mais pour des « affaires de dénigrement », parce qu’elle en a fait toute une affaire et a parlé longuement à propos de Moché. Elle aurait dû lui parler en privé, discrètement, et l’interroger respectueusement sur son attitude. Les explorateurs se sont conduits de la même façon: leur discours était une « affaire de dénigrement », ils se sont étendus en insistant sur la puissance des habitants du pays et ont effrayé et découragé le peuple de monter en Israël » (Rabbi de Loubavitch, Likouté Si’hot, XVIII, 145) 

La critique, quelle qu’elle soit, quand elle est faite par amour et avec amour, se passe de publicité et du bruit médiatique. Elle essaie de trouver une solution par une approche discrète et respectueuse de la version de l’autre, sincèrement ouverte et prête au débat… Si loin des opprobres jetées sur les réseaux sociaux et dont l’emballement empêche tout rétablissement de la vérité.

Parce que le peuple, lui, n’y voit que du feu et suit le mouvement. Il est prêt à se laisser manipuler par une opinion très orientée…

Le peuple juif a malheureusement expérimenté dans sa chair les méfaits de la propagande et de la désinformation. Nous en sommes victimes  aujourd’hui comme hier, et nous savons à quel point elle est dangereuse, y compris et surtout quand elle vient de l’intérieur.

La Torah se garde bien cependant de  charger uniquement  les désinformateurs. Quand la sanction va s’abattre, c’est toute la génération qui va payer. Parce qu’on ne considère pas le peuple comme une malheureuse victime de la manipulation, on ne l’exonère pas de sa responsabilité…  Pourquoi  le peuple a-t-il été si bon public? Comment a-t-il pu balayer en une nuit 400 ans de rêves et d’espoirs? Comment a-t-il pu gober si facilement le discours des Explorateurs, alors qu’il a vu tous les miracles que D.ieu a faits pour lui depuis des mois? 

Peut-être parce que déjà dans la Paracha de la semaine dernière, nous avons vu la plainte enfler. L’agacement de Moché, la patience de D.ieu, la recherche de solutions pédagogiques n’ont pas vraiment inversé la tendance. Ils ont commencé par juste se plaindre. On ne sait pas pourquoi mais ils râlent pour râler. Ca vient de la périphérie, des marginaux (les Mit’onenim). Puis l’influence des extrêmes et de la fange se fait puissante et prend de l’ampleur, cela devient une tradition familiale: le peuple réclame, cette fois, de la viande : « Ils s’étaient groupés par familles et ils pleuraient pour manifester publiquement leur récrimination. » (Rashi sur Bamidbar XI, 10) Et chacun de ces épisodes se sont soldés par une tragédie. 

Le rapport négatif des explorateurs arrive donc sur un terrain déjà mûr pour la rébellion. Les enfants d’Israel sont habitués à pleurer et à se plaindre, ils sont déjà dans une posture négative, si bien que la stratégie des Explorateurs va instantanément fonctionner… 

Mais au fait, pour les Explorateurs, quel était le problème  avec le fait de conquérir la Terre d’Israël? On ne peut pas les suspecter de manquer de confiance en D.ieu, eux qui avaient été choisis pour leur haute valeur morale?! A cette question, le Rabbi de Loubavitch donne une réponse originale: les Explorateurs ne craignaient ni l’échec ni la défaite face aux ennemis, mais c’est du succès et de la réussite dont ils avaient peur! Ils pensaient le peuple incapable de maintenir une vie spirituelle hors du désert, dans un pays où il faudra mener la guerre, développer l’agriculture et gérer des infrastructures. Ce qu’ils n’ont pas compris, c’est que le défi du Peuple juif, c’est justement de faire du coeur de ce monde matériel la place de la divinité. Cette analyse est une erreur qu’une génération entière a dû payer de sa vie pendant 40 ans… 

J’ai déjà évoqué Abraham Maslow et sa Pyramide des Besoins. Je l’ai retrouvé dans une étude du Rabbin Lord Jonathan Sacks sur Chela’h Lekha, avec un concept très intéressant qui théorise bien le problème des Explorateurs mais aussi, celui qui fait que l’on se met des barrières nous empêchant de grandir: le complexe de Jonas. Oui, il s’agit bien de notre Jonas biblique qui décide de fuir à la dernière minute, se croyant incapable de réussir ou plutôt, ayant trop peur de réussir. On a peur de ce que va impliquer la réussite: des responsabilités nouvelles, de nouveaux rapports sociaux, de nouvelles attentes envers nous. On reste dans notre zone de confort, alors qu’on sait au fond de nous que l’on peut réussir… Et on finit par s’installer dans une certaine médiocrité et un auto-sabotage qui nous détruisent. 

La clé pour réussir et prendre confiance en soi – et c’est ce qui a cruellement fait défaut à nos ancêtres dans le désert – c’est, nous explique le Rabbi de Loubavitch, avoir conscience que D.ieu ne nous demande rien que nous ne soyons à même de réaliser, comme une artisan qui connait les limites des capacités de son oeuvre et ne l’emploiera pas à une action qui pourrait le briser. Les forces et les ressources sont déjà en nous, à nous de les chercher et de les laisser s’exprimer. Les Explorateurs résument ainsi piteusement: «Nous étions à nos propres yeux comme des sauterelles, et ainsi étions-nous à leurs yeux. » (Bamidbar XIII, 33) Si nous ne croyons pas en nous et dans la réussite de notre entreprise, nos interlocuteurs le sentent, le voient et ils nous précipitent vers l’échec… 

La Torah ne laisse jamais un problème sans solution. Le peuple d’Israël erra désormais 40 ans dans le désert. Toute la génération qui a vécu la Sortie d’Egypte y mourra. Mais il est hors de question que l’on reste sur une note déprimante. D.ieu les arme, eux et la nouvelle génération, celle qui sera élevée dans le désert pour prendre possession de la Terre promise. Il veut rétablir la confiance. Il leur donne deux commandements: celui de prélever la ‘Halla sur la pâte, et celui de porter les Tsitsit. Des actes de la vie de tous les jours. Afin, dit-Il, que « vous ne soyez pas des touristes (« lo tatourou ») menés par votre  coeur et vos yeux » vers la faute… Après le choc de l’annonce de l’implacable punition divine, certains ont été tentés de conquérir le pays coûte que coûte. Mais ce n’était plus la volonté divine. Réparer la Faute des Explorateurs se fera petit à petit, en reprenant confiance en soi et en D.ieu par un rappel quotidien de notre histoire, de notre espoir et de nos devoirs.

Alors, peut-on critiquer Israël? La réponse des antisémites est claire. Autant que celle des esprits qui « veulent le bien » du monde avec leurs indignations à géométrie variable. Ce qui est plus subtil mais dont les effets retors sont désastreux, c’est l’approche de ceux qui sont censés partager la destinée du peuple juif mais qui, par inconscience ou par haine de soi, ont un regard d’Explorateur. Pour nous, la réponse il y a 3330 ans et aujourd’hui est la même: tout dépend de l’intention et de la manière de l’exprimer. Si l’on ne regarde pas la Terre d’Israël avec les yeux de l’amour, grand est le risque de devenir des Explorateurs, d’être les relais d’une propagande destructrice pour tout le peuple juif et finalement, d’être exclus de son devenir…  Et je ne vise personne…

Le défi du judaïsme moderne, pour le Rav Avraham Its’hak Hacohen Kook, c’est de réparer la faute des Explorateurs en se débarrassant de la « souillure» dont elle a entaché le lien du Peuple juif avec le Pays d’Israël.  Alors quand on veut en parler, et même si on a beaucoup de critiques à formuler sur la terre, son climat, ses hôtels, sa mentalité, ses dirigeants, sa population ou sa politique, on doit d’abord avoir l’humilité d’avouer que notre jugement ne peut qu’être subjectif. Avoir la foi en D.ieu et en nos capacités à faire que l’idéal de la promesse divine se réalise.  Et ensuite, savoir qu’on ne peut être légitime que si on critique par amour, avec douceur, respect et discrétion… Parce que seule cette critique est positive et constructive… Et ce principe est valable pour toutes les critiques du monde!

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Sarah Weizman

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