Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Behaalote’ha / La Menorah de Titus et la dame de l’aéroport

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Sur le pilier sud de l’Arc de Titus érigé à Rome par l’empereur Domitien en l’honneur de son frère Titus en l’an 81,  juste après  les massacres de la destruction de la Judée, le bas-relief montre une Menorah entre autres objets du Temple pillés par les Romains (on y reconnait aussi la Table des pains de proposition)… Même si tous les chercheurs ne sont pas d’accord sur la réalité de la provenance de cette Menorah ou sur la précision de sa reproduction, il n’en reste pas moins que pour les Romains, le symbole du peuple juif défait, ce devait être précisément la Menorah. Pourquoi cet objet, certes très beau, célèbre le Triomphe sur les juifs et pas un autre? La magnificence du Temple devait certainement proposer d’autres souvenirs tout aussi majestueux?! 

L’étude de notre Paracha va nous permettre de démontrer ce que les romains avaient très bien compris: capturer la Menorah, ce n’était pas seulement priver les juifs du symbole de leur passé, mais c’était surtout les amputer de leur futur. C’était montrer que Rome allait éradiquer le judaïsme et ses valeurs de l’Histoire du monde. 

Mais cela, c’était sans compter avec l’esprit de la Menorah, qui devait survivre à sa disparition physique. Parce que le message premier de la Menorah, c’est celui de la transmission et de l’éducation, un patrimoine immatériel qui va survivre à toutes les tribulations du peuple juif. 

Comment cela est-il possible? Comment réussir le passage de flambeau, la transmission des valeurs, l’éducation des générations futures dans l’esprit d’un judaïsme ancestral en dépit des persécutions, des expulsions, de l’assimilation, des réseaux sociaux, de l’attrait d’une vie de désirs et de plaisirs, « dans la richesse ou dans la pauvreté »? 

Notre Paracha est si riche en évènements sources d’enseignements sur l’éducation qu’on pourrait en tirer un best-seller sur le sujet. Elle s’ouvre sur l’ordre qui est fait à Aharon d’allumer la Menorah: 

« Parle à Aharon et dis-lui: Quand tu feras monter les lampes, c’est vis-à-vis de la face de la Menorah que les sept lampes doivent projeter la lumière. » (Bamidbar VIII, 2)

Rashi s’arrête sur le mot Behaalote’ha: pourquoi le Texte, pour dire à Aharon comment allumer les flammes, utilise le terme « quand tu feras monter »? 

Sa réponse est d’une puissance incroyable: « Étant donné que la flamme s’élève, le texte emploie pour leur allumage le mot « monter ». L’allumage doit se poursuivre jusqu’à ce que la flamme s’élève d’elle-même. »

Allumer une bougie est un art subtil. Il est d’abord nécessaire de partir d’une flamme existante. Surtout ne pas la coller à la mèche qu’on veut allumer, cela l’éteindrait immediatement. Ne pas se placer en haut de la mèche, ni à sa naissance. Juste à son niveau. Puis approcher suffisamment la flamme de la mèche et attendre qu’elle prenne feu. Mais là, attention à ne pas éloigner l’allumette trop vite. Attendre le temps qu’il faut, que la flamme ait bien pris, qu’elle s’élève vigoureusement de sa mèche. C’est seulement là qu’on peut la laisser vivre sa vie de flamme et éclairer alentour. 

La finalité de l’éducation est là:  que l’enfant devienne indépendant et ait intégré l’enseignement. Qu’il se conduise selon nos valeurs même quand on n’est pas là, qu’il étudie même pendant les vacances, qu’il soit un bon juif même à l’autre bout du monde, quand on n’est pas à côté pour faire le gendarme… Ou encore comme l’explique le Rabbi de Loubavitch dans une lettre à un enseignant qui avait perdu la voix: l’éducateur doit pouvoir parfois se passer de sa voix et de ses ordres pour observer à quel point son élève est devenu un « être qui se porte lui-même »!

S’il y a une chose qui est sure en matière d’éducation, c’est qu’il n’y a pas de règle! La preuve? Notre Paracha est une démonstration éclatante que la pédagogie c’est d’abord la capacité permanente à s’adapter à notre interlocuteur. Je vous engage à la lire dans son entièreté, si possible avec le commentaire de Rashi.  Mais voici quand même quelques perles éducatives que nous pouvons en tirer:

  1. Elever, c’est lever vers le haut. On n’y pense pas mais le mot élève, qui renvoie souvent à l’image de celui qui reçoit un enseignement de manière passive, est plutôt à rapprocher du concept d’élévation. Une fois que le feu est allumé, même si on dirige la bougie vers le bas, la flamme, défiant naturellement les lois de la gravité va s’élever vers le haut.
  2. Etre à proximité. S’approcher sans écraser. Dans un ouvrage chorale intitulé « Transmettre » publié chez L’Iconoclaste, Caroline Lesire, Ilios Kotsou et Christophe André parlent de transmission « horizontale ». Ils expliquent que souvent, la transmission est associée à une verticalité, à une hiérarchie, du haut vers le bas. Mais qu’il y a aussi une valeur précieuse à la transmission horizontale, à l’échange à niveau égal; l’allumage de la Menorah nous montre que même la transmission du haut vers le bas a tout intérêt à s’effectuer par une translation horizontale; d’en haut, on écrase de sa supériorité. D’en bas, on n’existe pas. Un bon maître sait se mettre au niveau de ses élèves…
  3. Ne pas abondonner son enfant, quoi qu’il fasse: en dépit des révoltes, des plaintes et des complaintes qui émaillent Behalote’ha, D.ieu demeure parmi le peuple et continue de le former. C’est au milieu des râleries incessantes des Enfants d’Israel que le Texte rappelle la présence de l’Arche Sainte et de la protection divine qu’elle représente pour le Peuple juif face à ses ennemis. L’amour et la présence permanente auront raison de l’esprit de rébellion et du rejet…
  4. Savoir vendre son produit:  à deux reprises, D.ieu demande à Moché d’engager une partie de la communauté à s’investir (les Leviim et les 70 Anciens, responsables qui vont partager avec lui la tâche de l’enseignement). Et  Hachem utilise le verbe « prendre ».  Rashi explique ainsi à chaque fois (VIII, 6 et XI, 17): prends les par des paroles. Développe une argumentation pour les convaincre de relever le défi. Adapte toi à leurs attentes et démontre leur en quoi cette mission les fera grandir. Quelque part, pour embarquer nos élèves et nos enfants là où on veut les conduire, il faut leur faire miroiter les avantages que cela leur apportera, et ne pas leur asséner des ordres qui les feront reculer… Enseigner c’est persuader.
  5. User de pédagogie différenciée. En premier lieu dans la méthode: d’emblée, le verset nous l’indique: « …c’est vis-à-vis de la face de la Menorah que les sept lampes doivent projeter la lumière ». Les sept lumières convergent vers un même point. Mais elles sont sept, et elles doivent s’élever d’elles-mêmes après qu’on les a initiées. Chacune doit apporter sa lumière originale et éclairer de son point de vue. Eduquer, c’est aussi laisser éclore la personnalité de chaque enfant et lui accorder un temps, une énergie, une patience, un langage adaptés. Chacun de nos enfants doit faire émerger en nous un parent différent. Et en second lieu, dans la personnalité de l’enseignant ou du parent. Parfois, il faut changer d’interlocuteur pour que le message passe. C’est la raison pour laquelle, devant le poids de la tâche qui incombe à Moché dans la direction et l’éducation du Peuple d’Israel, D.ieu dans notre Paracha lui demande de nommer 70 personnes qui vont l’assister, des maîtres aux personnalités diverses, qui pourront developper une proximité autre…. On ne peut pas enseigner de la même façon à tous et l’art d’un professeur est justement de trouver la voie qui suscite chez son élève la bonne réponse, mais teintée de son originalité propre.
  6. Savoir réorienter. Ne pas s’acharner au risque de condamner l’enfant à l’échec. Les Leviim étaient en apprentissage de 25 à 30 ans. «  À l’âge de vingt-cinq ans, il vient apprendre les règles applicables au service, et ses études durent cinq ans. Et à trente ans, il fait le service. D’où l’on apprend que l’élève qui n’a pas obtenu de bons résultats après cinq années d’études n’en obtiendra jamais plus (‘Houlin 24a). » (Rashi sur Bamidbar VIII, 24)
  7. Donner de l’amour pour transmettre l’amour. Maimonide dans les Lois de la Techouva  (1,1) évoque les deux manières de servir D.ieu: par la crainte ou par l’amour. Notre Paracha (X, 13) nous raconte que les Enfants d’Israel « ont fait, à partir du mont de D.ieu, un chemin de trois jours ». Apparemment, ce départ du Mont Sinaï, ou du moins la manière dont il s’est déroulé, n’était pas positif. Nahmanide continue de filer la métaphore éducative en expliquant qu’ils ont quitté le lieu de la Révélation avec joie, « comme un petit enfant qui part en courant de l’école ». Je lisais récemment un article sur la difficulté de maintenir une ambiance scolaire au mois de juin quand dans l’air flotte déjà un parfum de vacances. Sans même parler du fait qu’une fois les conseils de classe dépassés, il est impossible voire inacceptable de faire travailler les enfants. Les règles et les notes font oublier à l’enfant ce pour quoi il est à l’école et il se focalise uniquement sur la contrainte et la peur de la sanction. Mais ça, c’est l’attitude d’un tinok, d’un petit enfant. C’est une preuve d’immaturité.  Si l’éducation doit bien parfois passer par la notion de crainte et démarrer par la pose d’un cadre, il n’y a que par la transmission de l’amour que l’enseignement dépassera la limite des conseils de classe… La description de l’allumage de la Menorah est une leçon de transmission et d’éducation dans l’amour. Une transmission qui restera enracinée… comme la lumière de la Menorah qui perdurera en dépit des exils. 
  8. Savoir couper le cordon et même, s’en réjouir. Pour beaucoup d’éducateurs, parents ou enseignants, c’est la dépendance de l’enfant envers eux qui les fait exister. Pourtant, la réussite d’un éducateur, c’est justement l’autonomisation de son protégé. On ne cherche pas à limiter son élève mais bien au contraire à lui donner les outils pour être une lumière et une source d’inspiration autour de lui. Comme les lumières de la Menorah qui doivent monter d’elles-mêmes. Et comme Moché qui se réjouit qu’Eldad et Medad soient des prophètes: « Tu es bien jaloux pour moi! Ah! Plût au Ciel que tout le peuple de Dieu se composât de prophètes, que l’Éternel fit reposer son esprit sur eux! » (Bamidbar XI, 29)

Dans le judaïsme, c’est la force du lien entre le maitre et l’élève qui fait la vivacité et toute la force de l’édifice du Savoir et de sa transmission. C’est pourquoi, Maimonide dans les Lois sur l’étude de la Torah (V, 12 et 13) insiste:  si l’élève a l’obligation de respecter son maître, la réciproque est aussi vraie. Le maître doit même l’aimer comme son enfant. Et tout cela, parce que ce sont les élèves qui augmentent la sagesse du maitre: « de même qu’un petit morceau de bois peut embraser une grosse bûche, ainsi un jeune élève aiguise son maître car grâce à ses questions, il fait émerger en lui une sagesse fabuleuse ».

Voilà donc ce que les Romains avaient pressenti du message de la Menorah.  Mais ce qu’ils n’avaient pas compris, c’est que l’esprit du judaïsme est tout sauf materiel. C’est bien là notre patrimoine immatériel. 

Cette semaine on a été nombreux à être choqués par le comportement de cette dame israélienne qui, a l’aéroport de Tel Aviv a réagi violemment à la proximité d’un juif qui mettait les Tefilin à un autre juif. Et surtout, quand on a découvert que cette dame est une professeure d’université, auteure d’un livre intitulé « L’éducation dans une société multiculturelle ». Comment peut-on à ce point être dans l’incohérence la plus violente avec les principes que l’on veut enseigner? Et rejeter aussi fortement ce qui fait ce qu’on est? 

Justement, je me suis demandé si la Torah ou les traditions juives étaient répertoriées dans la liste du Patrimoine Immatériel de l’Humanité de l’Unesco, organisation amie d’Israel comme chacun sait… « Result not Found », telle est la réponse à la question: peut-être parce que la transmission de l’immatériel divin du peuple juif ne rentre dans aucune catégorie. Peut être parce que reconnaitre la valeur de ce patrimoine serait une trahison pour les Nations; ou tout simplement parce que notre tradition ne remplit pas les critères de ce qui a besoin d’être protégé par l’Unesco: la flamme vivante du judaïsme se passe des programmes de protection internationaux depuis la nuit des temps parce qu’elle réside dans l’éducation juive au quotidien, cette élévation de l’autre et de soi-même par l’exemple, l’amour, la patience, le respect, mais aussi une présence exigeante de tous les instants…. 

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Sarah Weizman

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