Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Emor / 49 jours du Omer… et moi, et moi, et moi! Quand le compte est bon…

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Sur le bureau de ma fille, il y a un tableau. C’est un calendrier avec tous les jours qui restent jusqu’aux prochaines vacances. Et chaque jour, elle en barre un, attendant avec impatience qu’il n’en reste plus aucun…

Elle a aussi un autre tableau. Il indique le nombre de jours qui vont de Pessah à Chavouot. 49 jours, 7 semaines. Chaque jour, elle doit colorier une case de plus pour finalement faire apparaître un beau dessin. 

Deux façons de compter, deux manières de montrer son impatience à atteindre un but…

Nous avons vu dans la Paracha Ki Tissa les effets négatifs du compte et du recensement. J’entendais ce matin le PDG de Netflix, Reed Hastings, qui refusait de répondre à la question de savoir combien d’abonnés il comptait en France. Et on peut le comprendre… Compter quantitativement, c’est prendre le risque d’exciter la concurrence; c’est s’exposer au regard, à l’envie, à la perte.

A l’inverse, il y a des comptes qui sont recommandés. C’est particulièrement ce que nous vivons quotidiennement en cette période qui nous mène de Pessah à Chavouot et que la Torah nous ordonne dans notre Paracha: 

« Puis, vous compterez chacun, depuis le lendemain de la fête, depuis le jour où vous aurez offert l’Omer du balancement, sept semaines, qui doivent être entières; vous compterez jusqu’au lendemain de la septième semaine, soit cinquante jours, et vous offrirez à l’Éternel une oblation nouvelle. » (Vayikra XXIII, 15)

Qu’est ce qui fait donc que le compte du Omer est un bon compte? 

D’abord, on compte les jours qui passent et non pas ceux qui restent. Dans le compte à rebours, c’est le sentiment qui prévaut: l’impatience 

ou l’angoisse de ce qui va arriver. Pendant le Omer, le temps qui nous sépare de notre but n’est pas un temps mort mais c’est lui qui nous construit et qui nous prépare à notre objectif. 

J’ai beaucoup lu et entendu ces derniers temps à propos de la charge mentale. Aurélia Schneider, psychiatre spécialisée en psychothérapies comportementales et cognitives a publié chez Larousse « La charge mentale des femmes …et celle des hommes: mieux la détecter pour prévenir le burn-out ». A travers de nombreux exemples, elle livre son expérience et son expertise dans le repérage, la gestion et la prévention de la charge mentale. Ainsi, dit-elle, « les femmes comptent tout! Un comptage lié à leur vie chronobiologique ». La notion du temps étant inscrite dans leur rythme interne, elles sont dans « l’anticipation de comptage ». Je trouve cette idée passionnante parce que si cette anticipation génère un stress qui peut être destructeur, voilà dans le Omer un comptage qui lui, nous demande de faire le tri dans les priorités et dans nos valeurs. 

En hébreu, le compte du Omer s’appelle la Sfira. Ce terme renvoie aussi aux Sfirot, les attributs divins avec lesquels Dieu interfère dans le monde et que nous possédons en nous. 49 jours pour 49 points à améliorer dans notre personnalité, pour arriver à l’épanouissement et à l’harmonie. Un travail de conciliation entre les différentes forces qui nous agitent, entre la rigueur et l’ouverture, la force et l’humilité, le leadership et la modération.  C’est un temps de développement personnel, et certains le précisent dans la prière qui est dite juste après le compte tous les soirs: « Que par le mérite de la Sfirat Haomer que j’ai comptée ce jour soit réparé ce que j’ai altéré dans la Sfira (et chaque jour nous citons l’attribut qui lui correspond)… »

Rabbi ‘Haim Benattar, le Or ha’Haim, fait un parallèle intéressant: pour le peuple d’Israel, ces sept semaines sont une préparation au Sinaï et à l’union avec la divinité. En quittant l’Egypte, le royaume de l’impureté, il leur faut se purifier à l’instar de la fiancée qui doit compter sept jours de pureté avant de pouvoir s’unir dans l’intimité avec son bien-aimé. La période du Omer est donc un moment où on se prépare au mariage et à la vie à deux. Et pour que celle-ci soit couronnée de succès, chacun doit polir ses qualités et ses défauts, travailler sur sa colère, son égoïsme, sa générosité, sa patience, son sens de l’humour et sa définition du respect de soi même et de l’autre…

On pourrait ne voir dans la période du Omer qu’un moment d’introspection et de travail sur soi. Mais au cours de l’histoire, à la dimension agricole première du Omer où l’on apportait l’offrande d’orge au Temple, à la dimension seconde d’attente et de construction qu’est cette période qui unit Pessah à Chavouot, se rajoute le drame qui a touché le peuple juif à l’époque talmudique, avec la mort des 24000 élèves de Rabbi Akiva. La joie, l’impatience, la préparation au mariage passent au second plan et laissent place au deuil. La joie est obscurcie, les mariages interdits. Et le compte continue, parce que plus que jamais il renforce l’attente de jours meilleurs et surtout, continue son travail de réparation. On compte pour ne pas perdre le compte, pour ne pas perdre le fil et pour ne pas perdre espoir. 

Le Talmud nous raconte que les élèves de Rabbi Akiva ont été emportés par une épidémie terrible « parce qu’il ne se conduisaient pas les uns envers les autres avec Kavod, avec respect ». Je ne sais pas si vous pensez comme moi mais ça a l’air bien excessif comme punition pour un manque de respect… On accepte un peu vite cette explication du Talmud, et ce, d’autant plus que, comme le soulève le Rabbi de Loubavitch, si ce sont les élèves de Rabbi Akiva, c’est qu’ils avaient quand même plutôt intégré un des enseignements capitaux de leur maître: « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, c’est un grand principe de la Torah ». Est-ce ainsi que s’exprimait leur amour de l’autre?  

Leur problème, c’est justement que persuadés qu’ils étaient de posséder l’enseignement de leur maître, ils ne pouvaient accepter que l’autre en ait une approche différente. Le mot Kavod, c’est la même racine que Kaved qui signifie « lourd ». Donner du Kavod, c’est donner du poids à l’autre, c’est le calculer. Encore une histoire de compte: si l’autre compte pour moi, alors forcement je le calcule, je le prends en compte, je lui donne une place, je le respecte. Voilà donc une dimension supplémentaire à ce qu’apporte le Omer dans la préparation au mariage avec D.ieu: plus seulement un travail de développement personnel axé autour de soi mais aussi une ouverture à l’autre et à sa différence. 

Le Tanya (chap 32) nous donne une clé pour surmonter nos différences et aimer l’autre quel qu’il soit: par l’ordre divin  « Tu aimeras ton prochain comme toi-même, je suis Hachem » (Vayikra XIX, 18): ce qui en l’autre est comme toi-même, c’est son âme divine. La sienne comme la tienne viennent de Dieu. Par conséquent, si on occulte la dimension matérielle et corporelle chez autrui, on peut aimer chacun. Et c’est le secret de l’enseignement de leur maître que les élèves de Rabbi Akiva n’ont pas saisi…

Le compte du Omer a ceci de particulier qu’il est une Mitsva qui prend 49 jours pour être faite. Si on en oublie un, on la perd. On ne peut pas la commencer en cours de route. Ni rattraper ce qu’on a perdu. Elle a comme essence l’idée d’une unité de temps. Plus encore, certains commentateurs voient dans la période du Omer un continuum entre Pessah et Chavouot, comme si Pessah marquait le début et Chavouot la conclusion d’une très longue fête. Ce n’est pas qu’une jolie idée, mais c’est bien un concept de base que D.ieu inculque ici au peuple d’Israel naissant: la liberté ne vaut rien en soi.

Victor Frankl est un grand professeur de neurologie et psychiatrie. Après être sorti des camps, il a révolutionné l’approche de la psychothérapie en développant la logothérapie, la nécessité de donner un sens à sa vie pour avoir l’envie et le courage de continuer. Son crédo? «…La liberté n’est pas tout. Elle ne représente en fait que l’aspect négatif d’un phénomène global dont l’aspect positif est la responsabilité. En outre, elle risque de devenir arbitraire si elle n’est pas exercée avec responsabilité. La liberté et la responsabilité sont comme deux face d’une même médaille: aussi importantes l’une que l’autre ». 

Tout le monde se bat pour la liberté. Mais pour nous, la finalité n’est pas d’être des Insoumis. La liberté  trouve sa puissance justement dans sa canalisation par une prise de responsabilité qui passe par l’acceptation du joug de la Torah, la soumission à D.ieu. Et pour ce faire, on passe par le Omer: on apprend à compter pour découvrir ce qui compte et ceux qui comptent, la connaissance de soi, l’amélioration constante, et un rapport aux autres qui les prenne en compte…

Alors finalement, les bons comptes ne font-ils pas les bons amis? Et ils font les bonnes personnes aussi! 

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Sarah Weizman

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