Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Tazria-Metsora / La leçon de Ruth Elkrief

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Avec les lois de Cacherout, la Paracha de la semaine dernière nous ordonnait d’être attentifs à ce qui rentrait dans notre bouche… Cette semaine, c’est de ce qui en sort qu’il est question…

La Torah nous parle de la Tsaraat, cette maladie intraduisible qui pouvait toucher certaines personnes ou leurs biens en punition de la faute du Lachon Hara, littéralement la « mauvaise langue ». On peut être un juif scrupuleux de la Cacherout, être intraitable sur les surveillances rabbiniques et sur les exigences alimentaires, mais il est bien plus difficile de maîtriser notre langue. 

Les commentateurs sont nombreux à s’arrêter sur l’enchaînement de ces sujets et sur l’ordre précis dans lequel ils sont évoqués. Ainsi, de même que l’homme a été créé après les animaux, ainsi parlons-nous d’abord de ce qui fait qu’un animal est pur ou impur à la consommation, et seulement ensuite de ce qui rend l’homme rituellement impur. Cela commence précisément au début de la Paracha par les lois de purification de la femme accouchée. Pour le Rabbi de Loubavitch, si elle porte le nom de Tazria (« si une femme est fécondée » etc…) alors que son contenu est presqu’entièrement voué au statut de celui qui est atteint de Tsaraat… c’est pour donner un fort message d’espoir: « La Tsaraat n’est pas seulement une punition, mais elle joue un rôle positif: elle répare l’homme et l’habitue à s’abstenir de conversations malsaines et de Lachon Hara, de telle sorte qu’il puisse ensuite commencer une vie nouvelle ». C’est pourquoi, la notion qui est mise en avant dans le nom de cette Paracha, l’accouchement et la naissance, c’est finalement l’idée de l’opportunité de redémarrer sur de nouvelles bases, comme une renaissance… 

Dans les 4 ordres qui catégorisent la Création, nous avons le minéral, le végétal, le monde animal, et l’homme. En hébreu, Medaber, « celui qui parle ». Comme si ce qui définissait l’être humain et le séparait du monde animal, c’est sa capacité à parler. Ou comme Onkelos le dit dans la Genèse en parlant de l’ « âme vivante » de l’homme: c’est un « esprit qui parle ». Voila ce qui fait l’homme. Si il ne se sert pas à bon escient de la parole, de ce qui fait de lui un homme, il est ravalé à un rang même inférieur de celui des animaux, eux qui après tout, se conforment à ce que D.ieu attend d’eux: se comporter en bêtes réagissant à l’instinct animal qui leur a été attribué (Tanya)…

L’homme, quand il parle mal, s’attaque d’abord à sa propre âme divine. Il est la première victime de la médisance. Et c’est d’abord lui qu’on va chercher à réparer par l’isolement… Ainsi le  Metsora, celui qui était atteint de Tsaraat, était renvoyé à l’extérieur du camp du peuple d’Israel, et après tout un processus de purification, il était autorisé à réintégrer la communauté.  Mais aussi, par sa parole, il a voulu salir,  séparer, rejeter. Comme un enfant qu’on met au coin pour qu’il prenne conscience des bêtises qu’il a faites, le Metsora doit mettre à profit ce temps pour comprendre ce que cela fait que d’être mis au ban de ses frères, et pour se reconstruire. 

Il est difficile de définir en quelques mots ce qu’est le Lachon Hara et le ‘Hafets ‘Haïm développe si longuement cette idée qu’on comprend que c’est d’une rééducation totale dont nous aurions besoin. Le Lachon Hara, ce n’est pas uniquement être une « langue de vipère », ce n’est pas seulement raconter des mensonges mais c’est bien plus subtil que cela.  On peut cependant déjà y associer la médisance, le mensonge, la moquerie, le cynisme,  le colportage, la dépréciation de soi-même et d’autrui, la rumeur, le shaming, le bashing et j’en passe… 

Un exemple: « le bashing (mot qui désigne en anglais le fait de frapper violemment, d’infliger une raclée) est un anglicisme utilisé pour décrire le « jeu » ou la forme de défoulement qui consiste à dénigrer collectivement une personne ou un sujet. Lorsque le bashing se déroule sur la place publique, il s’apparente parfois à un « lynchage médiatique ». Le développement d’Internet et des réseaux sociaux a offert au bashing un nouveau champ d’action, en permettant à beaucoup plus de monde de participer dans l’anonymat à cette activité collective » (merci Wikipédia!) 

La parole est par essence intangible. Cependant, explique le Maharal dans Netivot Olam (Netiv Halachon, I) en citant le Talmud, les effets de la parole sont tout sauf virtuels: « la vie et la mort sont entre les mains de la langue », si l’on peut s’exprimer ainsi… Parler peut tuer: « leur langue est une flèche acérée ; on ne profère que fausseté » (Jérémie IX, 1)

Nous avons forcement entendu parler de l’affaire Bygmalion autour du financement de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy de 2012. A ce moment et comme à chaque fois qu’une affaire est lancée dans les médias, des noms sont jetés en pâture, et on passe vite du mode conditionnel au mode affirmatif… On ne se rend pas toujours compte de  que cela peut avoir comme impact sur les personnes concernées. Mais Jérôme Lavrilleux, ex-directeur de campagne de Jean-François Coppé mis en cause dans cette affaire, a raconté quelques années plus tard le calvaire qu’il a vécu à ce moment. Après une interview qu’il a accordée à Ruth Elkrief sur BFM TV, le déchainement médiatique contre lui fut d’une telle violence qu’il voulut attenter à ses jours.   « Le portable de Lavrilleux vibre à ce moment-là, raconte Le Monde. Il vient de recevoir deux SMS de journalistes. Le premier, de l’AFP, lui dit de tenir bon. Il l’ignore et fait un nœud coulant. « Et puis je reçois un texto de Ruth Elkrief, qui me dit : Jérôme, ça doit être très dur, mais il fera beau demain. Et là… Il fera beau demain… Cette phrase, je crois que toute ma vie, je ne… » et il ne peut continuer sa phrase… 

« La vie et la mort sont au pouvoir de la langue ». Il y a tout dans cette histoire, que seule la justice devrait juger: la rumeur non confirmée, le colportage, l’accusation, la mise en cause d’autrui, la violence des mots. La bande-son du monde qui nous entoure en fait…  Le pouvoir guérisseur et salvateur de ces mêmes mots, leur force rédemptrice pour la personne concernée qui en parlant de ce qui lui est arrivé, s’aide à en sortir. Et aussi l’usage des mots pour exprimer la reconnaissance et le remerciement. 

J’entendais Ruth Elkrief à qui on avait demandé de réagir à ce témoignage et qui disait ne pas être en lien avec cette personne et n’avoir alors eu aucunement conscience de ce qui se jouait là. Elle a agi selon son coeur, elle a juste envoyé un message d’encouragement à quelqu’un qu’elle supposait ébranlé par la force du déferlement médiatique contre lui. Elle lui a juste sauvé la vie… 

Il me semble qu’aujourd’hui plus que jamais, la maîtrise de la parole est une bataille de tous les instants. Nos doigts sont le prolongement de notre bouche, on tape sur l’écran de nos smartphones plus vite que l’on parle, et la parole « qui s’envole »,  dont l’évanescence permettait de penser qu’elle n’engageait en rien, devient un écrit qui, lui, reste. 

Alors voici quelques pistes issus de notre actualité de la Torah pour s’aider dans la construction d’une parole positive, maîtrisée et constructive:

Une Michna des Pirké Avot (II, 1)  nous conseille: 

« Considère trois choses et tu ne seras pas poussé à commettre une transgression: un oeil voit, une oreille entend, et toutes tes actions sont inscrites dans un livre ». 

J’avais un professeur à l’université qui expliquait que pour envisager l’omniprésence divine, il fallait imaginer une caméra qui nous suivait en permanence et qui enregistrait tout. Si on considère en plus le degré de précision avec lequel nos vies sont scrutées aujourd’hui avec internet et tous les capteurs d’informations cachés dans les échanges électroniques, on peut toucher du doigt cette notion. Et encore, à un degré infinitésimal par rapport à l’omniscience divine.  Mais on a bien vu dans l’actualité des dernières semaines l’angoisse que suscite la possibilité que nos actes, nos paroles et nos pensées laissent des traces…  Mark Zuckerberg est mis sur la sellettye par le Congrès américain justement au motif de l’exploitation des données personnelles des utilisateurs de Facebook, parce que nous souhaitons que ce qui est privé reste privé. Et bien sûr ce sont des droits qu’il nous faut protéger à tout prix… Mais  qu’en est-il aussi de notre auto-contrôle de ce qu’on laisse à voir et entendre de nous même? 

Et toujours dans Pirké Avot, Hillel nous prévient: « Ne dis jamais quelque chose qui doit rester secret. Car dès qu’une seule personne en est informée, le secret ne t’appartient plus et il y a danger qu’il se répande partout » (11, 4). On a vu comment Laurent Wauquiez, le Président des Républicains, a dévissé dans les sondages après que ses propos dans une salle de cours ont été enregistrés et portés à la connaissance de tous…  « une oreille qui entend »…

Nehama Leibowitz trouve dans notre Paracha une condition indispensable à la bonne santé du discours publique et privé: 

« Quand vous serez arrivés au pays de Canaan, dont je vous donne la possession, et que je ferai naître une plaie lépreuse dans une maison du pays que vous posséderez, celui à qui sera la maison ira le déclarer au Cohen, en disant: « J’ai observé comme une plaie à ma maison. » » (Vayikra XIV, 34-35)

A partir du moment où les enfants d’Israël prendront possession de leur terre, il pourra arriver des cas de Tsaraat sur des maisons. Et celui qui suspecte un tel cas se présentera au Cohen et dira: « Comme une plaie » est apparue sur ma maison. Pourquoi ne dit-il pas avec certitude: « une plaie »? Parce que, nous dit le Reem, un surcommentateur de Rachi, nous apprenons ici une règle de vie: quand on rapporte une situation, on doit laisser la place au doute et ne pas exprimer une condamnation équivoque si on n’en est pas certain… 

Ne’hama Leibowitz écrit ainsi: « de la formulation de ce verset, nous tirons une grande leçon pour tous les temps, et en particulier à une époque où nous sommes tous influencés par les acteurs des médias, que ce soit à la radio ou la télévision qui n’ont pas pour habitude de dire « comme une plaie » mais bien « une plaie, ni de dire « il me semble’ mais « je sais », et ce qu’ils déclarent est diffusé partout dans le monde et tout le monde sait « avec certitude » et ne sait pas dire « je ne sais pas »…

Quelle leçon! Aujourd’hui plus que jamais, la maîtrise de la parole est une bataille de tous les instants. Nos doigts sont le prolongement de notre bouche, on tape sur l’écran de nos smartphones plus vite que l’on parle, et la parole « qui s’envole »,  dont l’évanescence permettait de penser qu’elle n’engageait en rien, devient un écrit, qui reste, lui, reste et s’envole bien vers le monde entier… Alors si on doit bien tourner sept fois sa langue dans la bouche avant de parler, combien de fois devrions nous tourner nos doigts autour de nos claviers virtuels avant d’écrire et de ne plus pouvoir gérer ces « flèches » qu’on ne peut rattraper une fois qu’elles sont envoyées…?

Enfin, en cette semaine pendant laquelle nous avons eu la joie de fêter les 70 ans de l’Etat d’Israel, je laisse l’idée de la fin au Rav Its’hak Hacohen Kook qui avait coutume de dire que si le ‘Hafets ‘Haim a écrit son ouvrage tout entier consacré à l’importance de la maîtrise du langage juste avant le retour de beaucoup d’exilés du peuple juif sur leur Terre, c’est certainement parce qu’il apporte l’antidote à la destruction et à la dispersion: le Temple a été détruit à cause de la haine gratuite sont le langage était le vecteur de propagation, et c’est en travaillant à un discours pur et positif tant dans la sphère privée que publique et médiatique que nous  resterons durablement sur notre Terre avec la venue du Machiah.

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Sarah Weizman

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