Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Chemini / Equilibre alimentaire: orthodoxie ou orthorexie?

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Vous savez ce qu’est le végétarisme. Vous avez entendu parler des vegan, des pesco-végétariens et des crudivores… Mais l’orthorexie, vous savez ce que c’est? Du grec orthos, « correct », et orexis, « appétit », il s’agit d’un comportement alimentaire obsessionnel de la qualité des aliments ingérés…  Contrairement à l’anorexique qui se focalise sur la quantité, l’orthorexique est obsédé par l’idée de manger sainement et cela peut l’occuper plusieurs heures par jour et avoir pour conséquence de l’isoler socialement…

Au détour d’une émission sur Europe 1, j’ai récemment  entendu l’analyse originale d’un médecin nutritionniste, Dr Patrick Serog. Il expliquait que les personnes qui avaient ce souci permanent du manger sain voyaient leur corps comme un temple auquel ils se devaient apporter des offrandes les plus parfaites possibles. C’est en quelque sorte une résurgence de croyances idolâtres qui s’habillent ici d’arguments scientifiques… 

Ce développement fait immédiatement écho à notre Paracha. Nous sommes depuis quelques temps déjà plongés dans le sujet du Michkan, de sa construction, du service que l’on devait y accomplir… La Paracha Chemini s’ouvre sur l’apothéose de l’inauguration du Michkan, le moment où la présence divine va s’y manifester. Et c’est juste après que la Torah aborde un des sujets centraux du vécu quotidien: les règles de Cacherout et les animaux permis et interdits à la consommation. De nombreux commentateurs s’étonnent de la juxtaposition de ces sujets qui ne semblent absolument pas liés… Le Rav Elie Munk dans la Voie de la Torah y voit pourtant une corrélation évidente. Pour reprendre ce que vous avions vu dans les parachiot précédentes et comme le développe le Rav Lord Jonathan Sacks, la construction du Michkan, le Temple, est à évaluer en parallèle au récit de la Création du Monde dans Berechit. En créant le monde, D.ieu bâtit une demeure pour l’homme. En construisant le Michkan, les hommes font une demeure pour accueillir D.ieu….

Et dans les deux cas, immédiatement après, la Torah donne un ordre. Dans Berechit, c’est le premier interdit alimentaire, l’interdiction de consommer du fruit de l’Arbre de la Connaissance. Et dans notre Paracha, ce sont les lois de Cacherout concernant les animaux permis et ceux qui sont interdits à la consommation. Comme pour dire que la réalisation de la vocation de l’homme sur terre est fonction de son rapport à la nourriture… Et à chaque fois que s’ouvre une une nouvelle ère spirituelle pour l’humanité, de nouvelles règles alimentaires viennent accompagner le raffinement de l’homme. Dans Chemini, il s’agit des précisions sur les animaux qui sont autorisés. L’homme pourrait se croire tout puissant en ce monde. Mais cette nouvelle étape de l’évolution du peuple d’Israël lui rappelle que si certains animaux sont à la disposition de l’homme qui désire les consommer, d’autres créatures, et notamment le monde sauvage, ne sont pas créés pour la jouissance gustative des êtres humains mais ils ont une autre vocation qui leur est propre. 

Nous savons que nous sommes ce que nous mangeons. Physiologiquement bien sûr. Mais aussi psychologiquement et spirituellement. Manger sainement s’impose. Nous sommes d’ailleurs en permanence submergés d’études, d’enquêtes et d’articles qui nous culpabilisent sur notre façon de manger et veulent nous inciter à un retour aux origines… 

La Torah quant à elle n’est pas un ouvrage de médecine. Même si c’est une Torah de vie dans tous les sens du terme, et que les pratiques alimentaires qui y sont prônées sont finalement bénéfiques pour la santé, les lois de Cacherout restent encore pour beaucoup un mystère… Ceux qui veulent n’y voir qu’un souci hygiéniste en sont pour leurs frais quand on leur oppose l’argument que si ceux qui mangent Cacher étaient protégés des maladies liées à une alimentation malsaine, ça se saurait… D’ailleurs, les lois de la Cacheront appartiennent à la catégorie des ‘Houkim, ces mitsvot irrationnelles ou plutôt supra-rationnelles. Cependant, nous ne pouvons faire l’économie de rechercher les raisons de ces commandements. Le ‘Hida y voit une façon de ne pas s’inscrire dans une pratique routinière… Et quoi d’ailleurs de mieux qu’une métaphore culinaire pour illustrer cette idée: le mot « sens » ou « raison » en hébreu se dit Taam, qui  signifie aussi « goût » en hébreu: comprendre ce qu’on fait donne de la saveur à notre pratique…

Je voudrais partager avec vous trois idées glanées au fil de mes lectures sur ce sujet qui me semblent pertinentes aujourd’hui…

La première, c’est une discussion talmudique citée par Sebastien Allali dans son ouvrage sur la Cacherout (que je vous recommande si vous souhaitez avoir un regard plein de fraîcheur sur ce sujet: « Leçons de diète-éthique » aux Editions Lichma): dans le traité ’Houlin (109b), la femme de Rav Na’hman bar Its’hak remarque que l’on peut trouver un équivalent gustatif aux aliments interdits par la Torah: le foie permet d’avoir une idée du goût du sang, un certain poisson a un goût similaire au porc, et même le mélange lait-viande peut se retrouver dans du pis de vache préparé d’une certaine façon!  « L’enjeu de ce texte est le suivant: les interdits bibliques ne sont pas là  pour empêcher la jouissance de ce monde. Chaque commandement véhicule un principe moral selon une symbolique particulière. Si le sang est interdit, c’est peut-être, comme le pensent les commentateurs, pour fuir la violence que le sang symbolise. Mais en tout cas, l’objectif n’est certainement pas de priver les gastronomes des plaisirs du palais ». 

La Cacherout n’est donc pas une ascèse, mais elle impose une conscience de ce que l’on consomme et de ce que cela peut avoir comme impact sur nous…

La seconde idée c’est le Rav Sacks qui nous l’offre; pour lui, les lois de la Cacherout sont emblématiques du fait que les principes du judaïsme ne sont ni hédonistes, ni ascétiques, mais ont vocation à être transformatifs: nous avons l’obligation de sanctifier les actes les plus instinctifs de la vie humaine…

Enfin, pour le Rabbi de Loubavitch, la Behema, l’animal, c’est la partie animale de l’homme, celle qui régit ses besoins physiques et matériels. Pour la dompter et la purifier, il faut s’inspirer de ce qui fait qu’un animal domestique est Cachère: avoir le sabot fendu et ruminer. Le sabot protège la patte, (symbole de la force de l’action) de la terre (symbole de la grossièreté de la matérialité). Et ce sabot est fendu pour permettre à la lumière de l’âme d’agir et de transformer même ce qu’il y a de plus terrestre. En matière de vie matérielle et de travail terrestre, il faut savoir se protéger…

Quand l’animal rumine, il mâche à nouveau sa nourriture pour en faciliter la digestion: c’est la nécessité, en tout ce qui concerne nos occupations matérielles, de bien peser ses décisions et de ne pas se contenter d’un examen rapide. Et c’est ainsi que l’on peut s’assurer que l’âme animale, la bête en l’homme, est bien un animal pur…

La diète de la Torah qui exige une certaine orthodoxie ( du grec orthos, droit, et doxa, opinion, donc qui pense droit) dans sa pratique est donc une incitation à affiner nos corps mais d’abord, à raffiner nos âmes et nos esprits. 

Alors bien sûr la Torah nous invite à manger sain… Mais pour ce faire, il est indispensable de manger saint! Et peut-être ainsi éviter de tomber dans les travers des diktats et des modes diététiques? 

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Sarah Weizman

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