Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayakel-Pekoudé / Le Chabbat de Tevyé le Laitier

V

Un Violon sur le Toit est un de mes films préférés. La musique, la trame de l’histoire, les émotions qu’il véhicule, l’écho que cela fait à notre histoire. Dans cette fresque adaptée d’un ouvrage de Sholem Alei’hem sur la vie des juifs dans un village d’Europe centrale à l’aube du XXème siècle où forcement l’humour le dispute au drame, Tevyé le laitier,  le personnage principal, incarne un juif laborieux, qui trime pour gagner de quoi survivre entre les menaces de pogroms et la rudesse de la vie paysanne. Il tire sa vache dans la boue et négocie en permanence avec D.ieu pour connaître une amélioration de son sort et pourquoi pas, devenir Rothschild…. Et soudain arrive le Chabbat… Tevyé se transforme. Il se lave, se vêt d’un beau costume. Il préside à la table familiale, il est riche, il reçoit même des invités. Il rayonne, il chante, il est quelqu’un…

Si les Parachiot précédentes nous donnaient les détails de l’ordre de la construction du Michkan, nous entrons à présent dans la phase de réalisation. Les Parachiot Vayakel-Pekoudé montrent un peuple tout entier mobilisé à la construction de son lieu de rencontre avec le divin, empressé à réparer le lien avec D.ieu après la catastrophe du Veau d’Or. Les dons affluent, les artisans se mobilisent, le mobilier est fabriqué et le Michkan prend forme. On planifie, on organise, on réceptionne les matières premières, on tient les comptes aussi.  On façonne, sculpte, construit, coud, tisse, teint. On est dans le monde de l’action, de la construction. Une fourmilière, un chantier immense où tout le monde s’investit énergiquement. 

On ne peut s’empêcher de penser à notre vie moderne où nous sommes dans tous les sens, occupés à gagner notre vie avec plus ou moins de facilité et à courir après le temps qui nous échappe.  Le stress, c’est notre quotidien. Et l’hyperstress, vous en aviez entendu parler? 

C’est un nouveau concept désignant un état de stress excessif qui expose à des risques importants pour la santé physique et mentale. 

Une enquête réalisée sur 32 137 salariés de 39 entreprises de différents secteurs entre 2013 et 2017 montre que  24% des salariés connaissent un état d’hyperstress. Mais surtout, cela concerne 20% des salariés hommes et 28% des femmes… 

Ce sont donc les femmes qui remportent la palme en la matière! Une supériorité dont on se passerait bien et qui s’explique par la multiplicité des rôles que les femmes assument dans la journée… Cadeau pour la Journée de la Femme! 

Mais nous devons dire que nous avons l’immense chance d’avoir la Torah et que celle-ci nous propose une amorce de solution à la course effrénée qui est la nôtre. 

Ainsi, avant de passer à l’action, tout au début de la Paracha:

« Moché fit assembler toute la communauté des enfants d’Israel, il leur dit: Voici les paroles que D.ieu a ordonné de faire.

Six jours sera fait le travail et le septième jour sera pour vous chose sainte, un Chabbat Chabbaton (de repos) consacré à D.ieu, quiconque y fait une Melakha (un travail) sera mis à mort. » (Chemot XXXV, 1-2)

Ce n’est pas la première fois que l’impératif du respect du Chabbat est évoqué au milieu de la construction du Michkan. Déjà la semaine dernière dans la Paracha Ki Tissa et juste après les dizaines de versets donnant les ordres de la construction, la Torah a rappelé l’obligation du Chabbat (Chemot XXXI, 12-16), versets repris dans le Kiddouch du Chabbat matin…

De ces juxtapositions, les Sages comprennent d’abord que le Chabbat a prépondérance sur toute mission, aussi sainte soit-elle. Mais aussi, ils déduisent que le Chabbat, c’est précisément le repos de la Melakha nécessaire à la construction du Michkan, celle-ci représentant la quintessence de l’activité créatrice humaine sur terre. 

Ce qui est intéressant dans l’enchainement des textes, c’est que le Chabbat est mentionné immédiatement après l’ordre divin de la construction du Michkan et à nouveau, juste avant la réalisation humaine de celui-ci. 

Pour le Rabbin Lord Jonathan Sacks, du point de vue divin, le Chabbat est le dernier jour de la semaine, précurseur de la finalité de la Création qui entrera dans un Chabbat permanent aux temps messianiques. 

Mais à l’échelle de  l’homme, qui fut créé à la fin des 6 jours de la Création, c’est le premier jour. En quelque sorte, le peuple juif, en respectant le Chabbat, a le privilège inestimable de vivre un avant goût du Monde Futur. 

Ce moment précieux et hors du temps que nous vivons chaque semaine, c’est ce qui permet aussi de tenir tous les jours, même quand nous sommes dans le feu de l’action et n’arrivons pas à souffler. Nous avons la Mitsva de nous « souvenir » du Chabbat, d’y penser chaque jour, de l’anticiper par la pensée et l’action, et c’est un trésor qui est à portée de main, dans lequel on peut puiser de l’energie dans les moments laborieux. Savoir que Chabbat sera là dans 1, 2 ou quelques jours, que nous pourrons nous extraire même des périodes les plus difficiles apporte une sorte de soulagement instantané…

A propos du repos du Chabbat, les commentateurs relèvent la formulation qui revient ici: « Six jours sera fait le travail », à la forme passive.

Pour certains comme le Or Ha’Haïm, la Torah nous promet ainsi que si nous sanctifions le Chabbat comme il se doit, le travail de la semaine sera fait et fini en 6 jours… D.ieu fera en sorte que le chiffre d’affaire de la semaine soit atteint en 6 jours… 

Le Rabbi de Loubavitch compare ce verset avec celui des Dix Commandements parlant du Chabbat: « Six jours tu travailleras et tu feras tout ton travail » (Chemot XX, 9). Le verbe faire est à la forme active, « tu feras », alors que dans notre Paracha, il est à la forme passive « sera fait », comme si le travail se faisait de lui même! Et ce parce que dans notre cas, la personne « n’investit pas toutes ses forces physiques et mentales dans le travail puisqu’il sait que sa Parnassa ne dépend pas de lui mais de la bénédiction divine et que son travail consiste uniquement à faire un réceptacle à cette bénédiction. Ainsi sur le plan spirituel, un tel homme est dans une dimension de « Chabbat » pendant toute la semaine, puisque la question de son gagne-pain n’est pas son souci principal. Par conséquent, le septième jour ne sera pas juste un Chabbat mais un Chabbat Chabbaton, un Chabbat de véritable repos » 

Le Chabbat se vit donc un peu toute la semaine, c’est un état d’esprit. C’est une manière de relativiser les enjeux de ce qui rend notre quotidien si plein de stress…

Dans un article sur l’hyperstress lu dans le magazine Elle, cette piste me semble interessante: « Il faut aussi partir à la recherche de ce que je suis vraiment. Je ne suis ni mon travail, ni mon image, ni mon opinion, ni mon statut social. Alors que suis-je vraiment ? La psychologue Marie de Hennezel nous offre une fabuleuse réponse : « Ce qui en nous ne vieillit jamais ! » Il faut redéfinir ce que signifient réussir sa vie et être quelqu’un (…) Ce n’est pas le nombre de médailles ou de promotions obtenues qui attesteront d’une réussite, mais les moments où j’aurai été vraiment présent aux personnes qui me sont chères et à ce qui en moi ne vieillit jamais, pour créer, transmettre, apprendre, m’émerveiller, savourer… ». A part l’idée de créer bien sûr, c’est tout le programme du Chabbat, non?

Pour aller plus loin, Chabbat c’est « un repos de parfait repos » comme le dit Rashi (Chemot XXXI, 15) et non pas « une oisiveté momentanée ». 

Il y a repos et repos. Il y a le repos du guerrier qui tombe épuisé après une semaine de combat sur tous les fronts (peut-être ce mystérieux effet somnifère qui frappe certains avant même le dessert du vendredi soir ou la dafina du Chabbat midi), celui des spécialistes du tour du cadran du samedi matin, ou encore celui des « glandeurs » pour qui Chabbat est un jour off sur tous les plans. Et, à l’opposé, comme le suggère Néhama Leibovitz en rapportant les propos de Rav Its’hak Arama, un maître qui vécut en Espagne à l’époque de l’expulsion de 1492, auteur du Akedat Its’hak, il existe le repos véritable, « Chabbat Chabbaton pour D.ieu ». Un temps consacré à l’étude et au partage des connaissances. Surtout pas à l’oiseveté et aux papotages futiles.  En quelque sorte un repos en pleine conscience. Avant tout un retour vers soi et vers les autres, un temps de réflexion, de plaisir partagé avec ses proches. Un moment que l’on investit véritablement, que l’on pense et dont on sort reposé physiquement et régénéré intellectuellement et emotionnellement.

Au lieu de faire, nous sommes invités à être. Et c’est peut-être le moment le plus égalitaire qui soit: riche ou pauvre, peu importe notre statut social, notre niveau intellectuel ou religieux, Tevyé le laitier ou Rothschild, nous pouvons tous être des princes dans nos vêtements de Chabbat autour de nobles tables à échanger des idées, des moments et des sentiments qui nous font grandir. 

Chabbat éveille donc à la possibilité d’une vie différente, d’échapper à notre condition et de nous élever…

La proposition est là, le programme à notre portée. A nous de nous en saisir pour sublimer notre semaine, pour vivre un avant-goût de l’éternité et participer à faire advenir le « jour qui sera tout entier Chabbat », le Chabbat de histoire de l’humanité. 

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Sarah Weizman

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