Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Ki Tissa / Esther, le mauvais oeil et Instagram…

K

Ce matin, ma fille de 2 ans s’est cachée sous ses couvertures… Comme j’étais occupée, je ne m’en suis pas aperçue; à un moment, j’entends sa petite voix qui m’appelle et qui me dit: «Maman, je suis cachée! » Evidemment, j’ai fait semblant de la chercher partout et au bout de quelques minutes elle a pointé son nez de sa cachette et à crié: « Je suis là! »

Hier, nous avons lu la Meguilat Esther. Un drôle de titre. Meguila, ça renvoie au verbe Legalot, dévoiler, et Esther, à ce qui est caché. Deux termes contradictoires; est-ce une histoire de dévoilement ou une dissimulation?

Les deux certainement. On se cache pour être trouvé. Pour attirer l’attention, mais d’une manière spéciale. Et on se cache autant qu’on a besoin d’être rassuré. Pour voir si l’autre va nous chercher et quels efforts il va faire pour nous trouver. On se donne à être retrouvé quand on voit que notre absence inquiète ou intrigue… Et quand finalement on se retrouve, la joie est grande et l’amour plus fort. Comme le câlin que m’a fait ma fille ce matin… Il n’y a pas plus malheureux qu’un enfant qui joue à cache-cache et qu’on oublie d’aller délivrer de sa cachette!

La Paracha Ki tissa s’ouvre sur l’ordre qui est fait à Moché de recenser le Peuple d’Israël; cela ne va pas se faire par la visite d’un agent de l’Insee dans toutes les tentes du camps d’Israel, mais par le don d’1/2 Shekel par personne. C’est la bonne méthode pour « qu’il n’y ait pas en eux de frappes quand on les dénombrera » (Chemot XXX, 12). Et Rashi explique: « car ce qui est dénombré est assujetti au mauvais oeil, et la peste vient à éclater comme nous le verrons à l’époque de David (…) ». 

La Torah serait-elle superstitieuse? Faut-il être cachottier pour ne pas s’attirer le mauvais oeil? 

Si ce Rashi est curieux, lisez encore ceci: nous sommes le 10 Tichri et après que Moché a plaidé la cause de son peuple, D.ieu pardonne et lui dit: 

«  (…) Sculpe-toi deux tables de pierre comme les premières, j’écrirai sur les tables les paroles qui étaient sur les premières tables que tu as brisées.

Et sois prêt pour le matin, tu monteras au matin vers le mont Sinaï, tu t’y tiendras pour moi sur le sommet de la montagne. 

Et pas un homme ne montera avec toi, et pas un homme non plus ne paraîtra dans toute la montagne (…) 

Il sculpta deux tables comme les premières, Moché se leva de bon matin, il monta vers le Mont Sinaï comme lui ordonna D.ieu, il prit dans sa main les deux tables de pierre.

D.ieu descendit dans la nuée, Il se tint là avec lui, il appela par le Nom de D.ieu » (Chemot XXXIV, 1-5)

Après la Révélation du Sinaï du 6 Sivan, les deuxièmes tables sont données dans l’intimité la plus stricte, nous dit Rashi: « Si le mauvais oeil a eu prise sur les premières tables, c’est parce qu’elles avaient été données dans le bruit et dans le tumulte des foules. Rien n’est plus beau que la discrétion » 

Deux histoires de mauvais oeil dans la même Paracha, ça fait beaucoup, non?  Et c’est Rashi, qui n’est pas le plus mystique ni le plus folklorique des commentateurs qui remet le sujet sur la table. 

On peut dire qu’il a déjà évoqué de manière subtile la question de la discrétion dans la Paracha Terouma quand le texte évoque la nécessité de fabriquer des tapisseries qui recouvriront le Tabernacle: « la Torah nous enseigne ici une règle de bonne conduite: il faut protéger les belles choses » (Rashi sur Chemot XXVI, 13). 

Pour Rashi donc, ce qui est précieux, beau et important ne se donne pas à voir facilement. Il se trouverait altéré par un regard étranger ou malveillant. S’exposer aux regards, c’est risquer de susciter un jugement, légitime ou pas, de la part de ses semblables, de soi-même, de D.ieu même! Est ce qu’on mérite vraiment d’avoir cette joie, cette richesse, cette beauté, cette réussite? La bénédiction réside dans ce qui est caché nous disent nos Sages…

C’est juste l’inverse de ce que nous dicte notre époque; depuis 15 ans, nous avons vécu l’éruption choquante de la vie privée sur la place publique avec la télé-réalité, le show off, le culte de la transparence absolue avec les réseaux sociaux et l’exhibitionnisme, la communication à outrance et en temps réel sans aucun filtre. 

Notre semaine médiatique est riche en rappels des dérives de notre temps et ses incohérences folles: cette députée qui se montre sur un plateau télé très court vêtue et qui s’étonne que cela suscite des commentaires. Ou encore Caroline de Haas, la militante féministe qui quitte les réseaux sociaux dont elle a fait une utilisation assidue pour partager ses idées parfois caricaturales et qui s’offusque du tollé parfois violent qu’elle a soulevé sur ces même réseaux. « On peut changer le monde sans eux (les réseaux sociaux) » dit-elle maintenant. Et c’est toujours la Fashion Week. La nouveauté de cette année après #MeToo et #BalanceTon* c’est qu’on commence à mettre des cabines pour que les mannequins puissent se changer pudiquement en backstage… Je n’imaginais même pas qu’il puisse en être autrement mais voilà… 

Notre semaine juive entre la Paracha Ki Tissa et Pourim nous propose heureusement des antidotes contre ces excès.  Elle nous enseigne que la discrétion, la pudeur ou comme on dit la Tsniout sont la clé de la pérennité. 

D’abord, ce dénombrement qui ne doit pas attirer le regard sur le nombre mais plutôt être transformé en don. 

Ensuite, par la promulgation des deuxièmes Tables de la Loi.  Pour le Sfat Emet, il fallait que la célébration de l’Alliance entre Hachem et le Peuple d’Israël se fasse en grandes pompes, avec un spectacle sons et lumières époustouflant; mais ce qui va perdurer, ce sont les deuxièmes tables: ce qu’on aura fondé dans l’intimité, le calme et la discrétion. Comme un mariage.  

Le Maharal pense que pudeur et intériorité vont de pair. Sans discrétion, point d’intériorité et donc déliquescence. De la personne, de la valeur, de la société. Même des idées et de la sagesse: l’alliance de la Torah s’est faite dans la discrétion et pour que l’étude s’inscrive en nous, elle exige du calme et de la discrétion (Rambam). 

La Paracha nous rappelle aussi l’obligation du repos du Chabbat. Plus que jamais, une pause dans notre exhibitionnisme Facebook, Instagram ou WhatsApp s’impose. Le Chabbat nous y oblige et nous permet de garder un semblant de vie privée… Ce qui s’y passe ne peut être partagé et diffusé, et c’est ce qui le rend précieux. 

Pourim de son côté est par excellence la représentation de ce que doit être la célébration juste. 

La Meguila s’ouvre sur le fameux banquet d’Ahachveroch. Six mois de festivités, de nourriture, de boisson, de luxe, de débauche. Qui prennent fin brutalement avec la demande de trop: le roi veut exhiber sa femme dévêtue devant tous ses sujets… L’éternelle question de l’objectification de la femme. Que diraient les mouvements féministes aujourd’hui? 

Après quoi, Ahachveroch se choisit une nouvelle femme. Après une sélection digne des plus grosses productions de Miss Univers, c’est la très belle mais surtout discrète Esther (comme son nom l’indique) qui est choisie. Et Esther est non seulement pudique dans son apparence mais aussi dans son silence. Elle ne communique pas à tout-va, elle reste même d’une discrétion absolue sur son origine. C’est d’ailleurs de là que viendra la délivrance pour le Peuple juif menacé d’extermination. 

La Meguila se termine sur le festin des juifs. Après le miracle de leur sauvetage, Esther et Mordehai instituent que chaque année, les juifs fêtent Pourim: « De commémorer et de célébrer ces jours de génération en génération, dans chaque famille, dans chaque province et dans chaque ville, et de ne pas laisser disparaitre ces jours de Pourim du milieu des juifs ni s’en effacer le souvenir du milieu de leurs descendants » (Esther IX, 28)

En opposition au bling-bling d’Ahachveroch nous passons à la célébration intime de « chaque famille ». 

Et c’est dans cette intimité que se passe la transmission et que le souvenir de notre histoire ne s’effacera jamais… Par la pudeur que se remarque la beauté. Et par la discrétion que se conserve la Bra’ha. 

A propos...

Sarah Weizman

Ajouter votre (sur)commentaire

Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Articles récents

Commentaires récents

Archives

Catégories

Méta