Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Ki Tavo 5779 / La joie

K

Un hymne à la joie. C’est ainsi que le Rabbin Jonathan Sacks définit notre Paracha dans son ouvrage Sig Vassia’h. Et ce, alors que le sujet qui couvre l’essentiel de Ki Tavo, ce sont quand même des malédictions qui font froid dans le dos et qui s’abattront, nous avertit le texte, si le Peuple d’Israël ne respecte pas le contrat qui le lie à son D.ieu… 

Et pourtant, la joie est bien au coeur du message de Moché, d’ailleurs un de ces ultimes messages qu’il exprime juste avant sa mort. La joie qui, dans la bouche de Moché, n’est pas une émanation spontanée d’un sentiment mais bien une injonction pour une disposition de l’esprit… 

La Paracha s’ouvre sur une annonce réjouissante:

« Ce sera, quand tu viendras vers le pays que l’Eternel ton Dieu te donne en héritage, que tu en prendras possession, tu y demeureras, 

Tu prendras de la primeur de tout fruit de la terre que tu apporteras de ton pays que l’Eternel ton D.ieu te donne, tu les mettras dans une corbeille, tu iras vers l’endroit que choisira l’Eternel ton Dieu pour y faire résider Son nom » 

Devarim XXVI, 1-2

Il y a là la promesse que le rêve se réalisera, on peut se projeter dans les détails concrets. On pense à l’entrée de nos ancêtres en Israel il y des millénaires. Mais depuis 2000 ans, jamais l’histoire juive ne nous avait placés dans les conditions que nous connaissons aujourd’hui, où nous pouvons enfin tenir entre nos mains des fruits d’Israel qui ont poussé en Terre d’srael… 

Le risque, c’est que le temps de la conquête passé et l’installation faite, on s’habitue à une routine et on considère tout cela comme naturel, normal. Les Bikourim, l’obligation d’apporter les prémices des fruits au Temple est un commandement qui nous demande quelque chose de pas naturel. 

Imaginons que nous plantons un figuier dans notre jardin. Après plusieurs années de soins et d’attention, il donne ses premiers fruits. Le mouvement naturel, c’est bien sûr la joie de les voir apparaître et le désir de les gouter dès que possible! Eh bien non! Ceux-là, on devra les mettre dans un panier et les apporter au Beth Hamikdach. On ne parle pas que pour les agriculteurs qui possedent des hectares de terrain, mais, rappelle le Alsheikh, même pour celui dont la récolte est toute confidentielle… Et la Michna nous raconte le cérémonial du voyage jusqu’à Jerusalem, avec des étapes et des célébrations diverses, jusqu’à l’arrivée au Temple où l’on devait réciter tout un texte pour accompagner l’offrande. Ce texte nous fait remonter dans l’histoire à Jacob et à Lavan, à l’esclavage et à la sortie d’Egypte. Un passage qui est d’ailleurs repris dans la Haggadah de Pessa’h…  Tout ça pour pouvoir manger les fruits de nos jardins! Et ce, tous les ans…: 

« Et tu diras à haute voix devant l’Éternel, ton Dieu: « Enfant d’Aram, mon père était errant, il descendit en Egypte, y vécut étranger, peu nombreux d’abord, puis y devint une nation considérable, puissante et nombreuse. Alors les Egyptiens nous traitèrent iniquement, nous opprimèrent, nous imposèrent un dur servage. Nous implorâmes l’Éternel, Dieu de nos pères; et l’Éternel entendit notre plainte, il considéra notre misère, notre labeur et notre détresse, et il nous fit sortir de l’Egypte avec une main puissante et un bras étendu, en imprimant la terreur, en opérant signes et prodiges; et il nous introduisit dans cette contrée, et il nous fit présent de cette terre, une terre où ruissellent le lait et le miel.  Or, maintenant j’apporte en hommage les premiers fruits de cette terre dont tu m’as fait présent, Seigneur! » Tu les déposeras alors devant l’Éternel, ton Dieu, et tu te prosterneras devant lui. »

Devarim XXVI, 5-10

Et après ce discours enthousiaste: « Et tu te réjouiras pour tous les biens que l’Éternel, ton Dieu, aura donnés à toi et à ta famille, et avec toi se réjouiront le Lévite et l’étranger qui est dans ton pays. ». On ne consomme pas ces fruits tout seul mais on doit les partager… 

Ce verset nous demande donc de nous réjouir. Il nous demande de prendre le temps de savourer la joie de pouvoir profiter du travail de nos mains, sur notre Terre. 

Au premier niveau, on peut lire tout ce passage comme un antidote à l’indifférence, au fait d’être blasé de tout. Il nous demande de prendre conscience que rien n’est automatique, et que nous devons nous réjouir de notre réussite. Et que celle-ci vient de D.ieu. Rashi insiste sur ce point: il ne suffit pas juste d’apporter les fruits et de les donner au Cohen, mais il nous faut dire les choses: « Tu lui diras: que tu n’es pas un ingrat ». Voilà donc le but de ces Bikourim: montrer de la reconnaissance à Dieu pour ce qu’il nous donne, et aussi reconnaître que cela vient de Lui. Pour cela il nous faut faire un zoom out, prendre de la hauteur, et nous inscrire dans l’Histoire. Une vraie déclaration historique, solennelle. Ne pas la proclamer, ne pas prendre ce temps et se précipiter pour jouir du produit de la Terre, c’est faire preuve d’ingratitude. 

Nous souvenir pourquoi et comment nous en sommes arrivés là, dans cette Terre, et dans quelles conditions. Nous réjouir, c’est marquer de la reconnaissance envers D.ieu, et ça passe par une conscience de notre histoire, la petite et la grande… 

Nous avons déjà vu dans Vayikra l’impératif de remercier Dieu pour les miracles qu’Il nous faits, avec le Sacrifice de Toda, l’offrande de remerciement. Ici, ce n’est pas pour des miracles évidents et de grandes démonstrations surnaturelles que nous exprimons notre reconnaissance, mais bien parce que nous apprenons à reconnaitre le miracle qui se cache derrière ce qui peut paraître le plus naturel. 

Le Rabbi de Loubavitch voit là le lien évident avec la formule qui est dite au moment de l’offrande: un rappel de ce qu’a vécu Yaakov avec Lavan et les enfants d’Israel en Egypte. A chaque fois, il pouvait sembler que nous étions installés pour de bon, que notre situation était établie. Mais les ruses de Lavan et l’esclavage égyptien ont mis brutalement fin à ces illusions. C’est donc pleinement conscient que rien n’est dû ni naturel que celui qui récolte ses fruits en Terre d’Israël se réjouit de l’abondance et de la jouissance de la terre… 

Célébrer cela dans la joie et le partager avec d’autres est donc une manière de dire Toda, de remercier D.ieu. Mais pas que… Le Baal Hatanya explique que Toda, c’est un remerciement, mais c’est aussi à prendre dans le sens de reconnaître, avouer. Avouer que tout ne vient pas de nous mais que nous sommes dépendants de D.ieu… 

J’ai déjà évoqué la nécessité de partager les Bikourim car la joie, dans le judaïsme, ne s’envisage qu’à travers le partage. Ceci est exprimé de manière encore plus forte à) travers le second sujet de notre Paracha, le Viddouy Maasserot. Traduisons ça par une « Déclaration de Maasser », qui n’a rien à voir avec notre (chère!) déclaration d’impôts….  

Pour être honnête, les questions hala’hiques liées au Maasser ne sont absolument pas mon domaine de compétences, mais ce qui m’intéresse ici, c’est le fait qu’une fois que l’on a réglé tous ses comptes avec le Maasser, on doit là aussi exprimer une déclaration, cette fois-ci devant D.ieu. on connait le Vidouy de Kippour, la liste de nos fautes que nous déclarons devant D.ieu; Mais le bien aussi il faut le déclarer relève le rav Kook.  Comme à la Douane, les « biens à déclarer » sont ici mis à notre crédit: « j’ai fait selon tout ce que tu m’as ordonné » (Devarim XXVI, 14) . Et là arrive le mot clé que conclut cette déclaration: « Je m’en suis réjoui et j’ai réjoui les autres ». La joie vient du fait que l’on est conscient de notre réussite et nos points forts. On n’en a pas honte, on ne les galvaude pas; et on les partage avec autrui… 

Cette déclaration toute personnelle appelle à un sentiment de gratitude qui s’embrase en une prière pour tout le peuple: « Jette un regard du haut des cieux, ta sainte demeure, et bénis ton peuple Israël et la terre que tu nous as donnée, comme tu l’as juré à nos pères, ce pays ruisselant de lait et de miel! » (Devarim XXVI, 16)

Si donc la joie de la réussite s’accompagne d’une reconnaissance envers D.ieu et d’un sentiment d’altruisme, elle garantit notre maintient sur la Terre d’Israel. Mais la Paracha nous présente le cas inverse. Les malheurs et malédictions qui tomberont sur le peuple juif ont une cause et une seule: « Et parce que tu n’auras pas servi l’Éternel, ton D.ieu, avec joie et contentement de cœur,  de l’abondance de tout».  (XXVIII, 46) Et Rashi « Lorsque tu possédais encore tout ce qui est bon »…  Une clé importante est cachée dans ces quelques mots: par l’absence de joie, on chasse la bénédiction. Le fait d’être toujours insatisfait, de ne pas valider le positif, de ne pas formuler de remerciement pour ce qu’il y a risque de nous priver de ce qu’on a… Et là, on se rend compte on avait ‘l’abondance de tout’…

Soyons honnêtes; cette attitude nous guette tous, et parfois nous y succombons. Parce que sitôt un désir assouvi, un autre apparaît. Le désir est ce qui porte au développement, à l’innovation, au travail. Mais il peut aussi nous consumer… Et plus que jamais, dans nos sociétés de consommation, l’insatisfaction permanente est un des ressorts sur lesquels s’appuie notre économie… Notre Paracha nous avertit qu’y succomber est un danger au niveau personnel; une tragédie à l’échelle nationale. Et elle nous donne justement l’antidote à la chute: un hymne à la joie, à la connaissance de notre histoire, à la conscience de ce que nous faisons, à la reconnaissance envers D.ieu. Parce que se sentir à sa juste place est la source de la joie par excellence… 


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Sarah Weizman

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