Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Ki Tetsé 5779 / Le Bossu de Tel Aviv

K

Ki Tetsé est va-t-en guerre… Enfin, elle nous parle surtout de la Belle Captive, de cette femme qui fait partie des prisonniers après le combat et que le guerrier voudrait s’approprier…. 

Je ne vais pas m’arrêter sur les modalités de cette union et de l’encadrement des soldats selon de judaïsme, un sujet d’une grave actualité pourtant… 

Je veux ici m’attacher à la lecture que font de nombreux commentateurs de toute cette section: la guerre dont nous parlons ici est la guerre intérieure que chacun de nous mène dans sa vie contre le Yetser Hara, contre les défauts et les travers qui nous guettent en permanence. La plus grande des guerres, c’est celle que l’homme se livre à lui-même; et le héros véritable, c’est celui qui remporte cette bataille-là (Pirké Avot IV, 1)… 

Pour mener cette guerre permanente contre nous-mêmes, pour nous améliorer encore et toujours, la Torah nous donne une avalanche de Mitsvot. Elles sont 74 dans notre Paracha, plus d’1/10 des 613 commandements. Des Mitsvot qui embrassent toutes les strates de l’expérience humaine et qui descendent à un niveau de précision ultime. Pas seulement technique, mais avant tout, une conscience et une vigilance de tous les instants… 

J’en veux pour preuve un commandement qui en est à mon sens une illustration parfaite. 

« Tu ne dois pas voir le bœuf ou la brebis de ton frère égarés et te dérober à eux: tu es tenu de les ramener à ton frère. Que si ton frère n’est pas à ta portée, ou si tu ne connais pas le propriétaire, tu recueilleras l’animal dans ta maison, et il restera chez toi jusqu’à ce que ton frère le réclame; alors tu le lui rendras. Et tu agiras de même à l’égard de son âne, de même encore à l’égard de son manteau, de même enfin à l’égard de toute chose perdue par ton frère et que tu aurais trouvée: tu n’as pas le droit de t’abstenir. »

(Devarim XXII, 1-3)

C’est la fameuse Mitsva d’Hachavat Avéda, l’obligation, si on trouve un bien perdu par notre prochain, même si c’est un étranger, de le lui rendre. Pas seulement si il nous le demande, mais aussi de faire ce qui est en notre pouvoir pour signaler notre trouvaille et permettre à celui qui l’a perdue de la récupérer… Ce sujet est si vaste qu’il occupe un traîté entier du Talmud, celui de Baba Metsia. 

Il nous semble correct et évident de ne pas nous approprier ce qui appartient à autrui. D’ailleurs, dans toutes les structures publiques, on trouve un service des Objets Trouvés. On peut considérer que c’est la moindre des civilités de rapporter ce que l’on trouve… Quoique. Parfois, cela nous prend du temps. Dans notre vie trépidante, avons-nous toujours le loisir d’appeler le service municipal qui s’occupe de cette problématique? N’est-il pas plus facile de faire comme si nous n’avions rien vu? 

Il nous est tous arrivé de perdre des choses importantes dans la rue… Je me souviens d’un jour où ado, je montai dans un bus parisien et qu’en compostant mon ticket, j’ai fait tomber un billet parterre. Je ne m’en suis pas rendue compte sur le coup mais j’ai bien vu quelqu’un ramasser un billet en me regardant droit dans les yeux. Ce n’est que plus tard, en cherchant ce billet, que je j’ai compris que c’était mon billet que cet individu avait empoché! De quoi rendre plus méfiant vis-à-vis de la société… Mais il n’y a pas que cela, dans nos rues; il y a quelques semaines, alors que nous nous baladions dans Paris, mon mari a perdu son téléphone…que dis-je toute sa vie! Il a couru partout où nous étions passés pour le retrouver, mais point de trace du précieux objet! C’est alors que j’ai reçu un appel du téléphone de mon mari: un gentil monsieur qui l’avait trouvé avait pensé à rappeler le numéro qui appelait frénétiquement depuis un moment! Evidement, nous étions bien éloignés de l’endroit où il se trouvait mais il a pris le temps de nous attendre …et tout est bien qui finit bien… De quoi redonner confiance en l’humain… (eh oui, quand il s’agit du téléphone!) 

La formulation du verset est particulièrement interpellante. D’ailleurs, la traduction est complètement traitre cette fois-ci, elle gomme toute la saveur du texte:  « Et tu agiras de même à l’égard de son âne, de même encore à l’égard de son manteau, de même enfin à l’égard de toute chose perdue par ton frère et que tu aurais trouvée: tu n’as pas le droit de t’abstenir. ». « Tu n’as pas le droit de t’abstenir » voudrait dire qu’on est là dans une obligation purement juridique, de droit. Mais le terme hébraïque « Lo Toukhal », c’est plutôt que « tu ne pourras pas t’abstenir ». Tu ne pourras pas faire comme si tu n’avais rien vu et poursuivre ta route normalement. La Torah nous éduque ici à ne pas pouvoir passer à côté de ce qui se passe à côté de nous, dans notre vie, dans notre famille, dans notre quartier, dans notre communauté. C’est à ce niveau de conscience morale que la Torah nous enjoint: nous devons nous sentir concernés, impliqués. Pas seulement ne pas faire de mal mais que cela devienne naturel pour nous d’être attentionné envers autrui, que l’on ne puisse pas faire autrement… 

Il y a une histoire que raconte Rav Chlomo Carlebach et qui me trotte dans la tête depuis des semaines. En fait, pour être plus précise, le chanteur Aharon Razel a sorti un opus récemment dont le titre et les paroles sont repris d’un récit de Rav Chlomo Carlebach. Ça s’appelle Haguiben Hakadoch, le Saint Bossu (et surtout pas celui de Notre-Dame) et vous pouvez retrouver le clip très poétique de cette chanson sur Youtube:

Voici donc ce que raconte Rav Chlomo Carlebach: un jour, alors qu’il se baladait sur Rehov Hayarkon à Tel Aviv, il vit un homme tout bossu qui balayait la rue. S’approchant de lui, il le salua « Chalom Aleikhem » et celui-ci lui répondit avec un fort accent polonais « Aleikhem Chalom ». Rav Chlomo Carlebach, à son habitude, engagea la conversation avec lui; il lui demanda d’où il venait. Ce à quoi il répondit: « De Piaseszna ». Cela le fit sursauter, lui qui avait une vraie fascination pour le Rabbi de Piaseszna, Rabbi Kalonymos Kalman Shapira qui avait été assassiné pendant la Shoah. Il lui demanda alors si il avait connu ce Rabbi. Et le balayeur, lui répondit: Oui, bien sûr, c’était mon maître! 

Evidement, Rav Chlomo Carlebach lui posa beaucoup de questions sur sa vie et sur ce Rabbi, et le Bossu lui raconta que la phrase que répétait en permanence Rabbi Kalonymous, c’était: « Mes chers enfants, la chose la plus importante au monde, c’est de faire quelque chose de bien à une autre personne »! » 

Cet enfant s’était retrouvé à Auschwitz. Et dans l’enfer concentrationnaire, alors que la force de survivre le quittait, cette phrase de son maître l’avait secoué. « La chose la plus importante au monde, c’est de faire quelque chose de bien à une autre personne »! Et à Auschwitz, il en avait trouvé des choses bien à faire pour autrui. Il avait ouvert les yeux et s’était employé à agir à chaque fois que cela se présentait à lui. C’est cela qui l’avait fait tenir à la vie, raconta-t-il… 

Seul au monde, il était arrivé en Israël. Et depuis, il balayait les rues de Tel Aviv; et, conclut-il, il y en avait, des choses bien à faire pour les autres dans les rues de Tel Aviv. Il y avait toujours quelqu’un à aider, il suffisait juste d’ouvrir les yeux… 

Rav Chlomo Carlebach, dont l’approche était tellement influencée par les enseignements de Rabbi Kalonymos Kalman (j’aurai peut être l’occasion de reparler de ce grand homme) fut bouleversé par cette rencontre, qu’il raconta à maintes reprises dans ses récits chantés, dont celui-ci:

Mais cette main tendue ne s’arrête pas aux aspects matériels de notre relation à autrui; le Or Ha’haim lit tout ce passage comme une exhortation à être sensible à l’état spirituel de nos semblables. Pour lui, quand la Torah nous dit « Tu ne dois pas voir le bœuf ou la brebis de ton frère égarés et te dérober à eux », le « frère », c’est D.ieu et ceux qui sont égarés, ce sont les âmes juives… Nous avons une responsabilité morale, non seulement de nous améliorer et de travailler sur nous même, de mener la guerre à nos mauvais penchants, mais aussi, de ramener les autres au bercail, de s’occuper de ceux qui sont éloignés de leur Créateur… Parce que, explique-il, la part unique de spiritualité qui doit être portée et révélée par cette âme est perdue pour le monde entier tant que la personne est égarée, loin du chemin de D.ieu… Il est de notre responsabilité de lui faire découvrir cette part de lui qu’il ignore pour qu’il puisse en nourrir l’ensemble du Peuple d’Israel. Il y a un lien d’interdépendance qu’on ne peut faire abstraction; faute de quoi, il manquera toujours quelque chose, il y aura toujours une part de perdue…

Voilà donc un écho à notre Paracha et une invitation à la pleine conscience… de l’autre! 

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Sarah Weizman

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