Après cette (trop?) longue interruption estivale, je suis heureuse de vous retrouver pour partager avec vous des idées lues ou entendues sur la Paracha, le pouls de notre vie juive…
Et cette semaine, nous retrouvons notre rythme hebdomadaire avec Choftim. Nous sommes toujours dans le discours de Moché avant sa séparation d’avec le peuple d’Israël, et ici, nous avons 41 Mitsvot, 41 commandements qui, en grande partie, portent sur les impératifs qu’exigera un cadre national après la conquête de la Terre d’Israël: la nécessité des pouvoirs exécutif, législatif, judiciaire, régalien et religieux. Leurs prérogatives et leurs limites.
Tout cela est abordé dans notre Paracha, par petites touches. Et tout cela peut sembler bien loin de nous, depuis 2000 ans que nous vivons sans le Sanhédrin qui est à même de mettre en place ce système…
Nous pourrions penser que tout cela nous parle d’un temps que les moins de 2000 ans ne peuvent pas connaître. Ou le voir comme une projection de la vie à l’époque messianique. Mais, et même si des thèmes abordés dans notre Paracha, nous pouvons déduire des principes pour la vie de l’Israël moderne (j’ai notamment lu une analyse intéressante de Rony Alsheikh, le Commandant de la Police israélienne entre 2015 et 2018 qui voit dans le premier verset de notre Paracha, « Des juges et des policiers tu instaureras dans toutes tes portes… » des pistes sur la place indispensable de la police dans la société, et pas seulement dans son rôle répressif ) je veux m’arrêter ici sur un commandement assez particulier qui ne s’applique plus aujourd’hui de manière concrète et qui est pourtant d’un interêt extraordinaire pour nous…
«Tu te réserveras trois villes dans ce pays dont l’Éternel, ton D.ieu, t’accorde la possession. Tu devras en faciliter l’accès et diviser en trois parts le territoire du pays que l’Éternel, ton D.ieu, te fera échoir; et cela, pour que tout meurtrier s’y puisse réfugier. Or, voici dans quel cas le meurtrier, en s’y réfugiant, aura la vie sauve: s’il a frappé son prochain sans intention, n’ayant pas été son ennemi antérieurement. »
(Devarim XIX, 2-4)
Moise revient là sur un commandement qu’il a déjà évoqué dans le livre de l’Exode:
« S’il n’y a pas eu guet-apens et que Dieu seul ait conduit sa main, il se réfugiera dans un des endroits que je te désignerai » (XXI, 13)
Le commandement d’instituer des villes de refuge pour les meurtriers involontaires dépasse la question juridique. Le Ari Zal y voit un lien direct avec le travail de tout un chacun au mois d’Eloul, notamment par le fait que les lettre hébraïques du mois Eloul apparaissent en acrostiches des mots « que Dieu seul ait conduit sa main, il se réfugiera dans un des endroits ».
Ainsi dans le Shaar Hapsoukim, il explique que ces mots forment Eloul car Eloul est un mois propice à la Techouva, et tout le monde doit se repentir ce mois là, même celui qui n’a pas fauté intentionnellement…
Quel est donc le lien entre ces 2 sujets?
Il semble bien que le mois de Eloul soit un refuge dans le temps. Un refuge dans la course effrénée de la vie, un moment où on s’arrête pour faire le point. Mais la comparaison ne s’arrête pas là…
Juste avant d’embarquer à l’aéroport Ben Gourion pour Paris, j’ai trouvé chez l’incontournable Steimatzky un ouvrage du Rav Eyal Vered qui répertorie 30 versets qui portent des allusions à Eloul, un pour chaque jour de ce mois. Tout un programme! Et pour le 3 Eloul, reprenant notre verset sur les villes de refuge et l’explication du Ari zal, il relève un point qui peut échapper: Eloul est un refuge pour ceux qui commettent un meurtre sans intention. Un programme de réinsertion pour tout ce que nous faisons « sans faire exprès ».
Eloul engage donc à ne plus se servir de cette excuse. A ne pas dire: ce n’est pas grave puisque je ne l’ai pas fait exprès. Ce n’est pas ma faute si je t’ai bousculé puisque je n’en avais pas l’intention. La Torah attire ici notre attention: si on ne l’a pas fait exprès, c’est qu’on n’y a pas pris garde. C’est en soi un problème. Alors celui qui a fait du mal parce qu’il était là sans être là, parce qu’il n’a pas accordé d’attention à l’autre, va devoir justement prendre le temps de se rééduquer, d’apprendre à être attentif. A l’époque où les villes de refuge existaient, les meurtriers involontaires se retrouvaient à vivre dans une ville de Leviim et de Cohanim. Ils se mettaient au rythme de la vie du Grand-Prêtre puisqu’ils devaient y rester jusqu’à la mort de celui-ci; le Grand-Prêtre qui est le symbole du rituel quotidien, effectué dans le calme du sanctuaire et l’attention scrupuleuse aux détails.
En fait, la ville de refuge n’est pas seulement un endroit vers lequel fuient les meurtriers pour se réfugier des vengeurs. C’est surtout un endroit vers lequel les personnes qui vivent sans faire exprès apprennent à retrouver l’autre, et surtout à se retrouver eux-mêmes.
Je dis « les personnes » mais il serait plus juste de dire « nous ». Je suis tombée sur un chiffre effarant ces derniers jours: en moyenne, un adulte consulte son portable 221 fois par jour. Soit plus de 1500 fois par semaine! Où est donc notre attention? Comment pouvons-nous faire attention à nous-mêmes et aux autres dans ces conditions? Comment ne pas faire des fautes d’inattention, parfois même fatales?
Rashi dans notre Parasha nous précise qu’aux carrefours étaient placardés des panneaux qui indiquaient « Refuge! Refuge! »
La ville de refuge est un lieu qui doit être mis en place mais aussi annoncé et indiqué pour en faciliter l’accès en cas de nécessité… Certainement aussi, des dispositifs qui mériteraient d’être mis en place par chacun d’entre nous dans nos vies, dans nos familles, dans nos maisons…
Eloul nous invite certainement à créer un refuge dans le temps et dans l’espace, un lieu de reconnexion avec soi-même et avec ceux envers qui nous devons être dans l’attention et dans l’intention. Pour qu’il n’y ait plus de risque de passer à côté de sa vie ou de celle des autres…
Chabbat Chalom!