Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Chela’h Le’ha 5779 / Hafrachat ‘Halla

C

Notre Paracha est d’une très lourde intensité dramatique. Elle nous raconte la Faute des Explorateurs, pêché originel s’il en est et qui entâche l’histoire de notre peuple jusqu’aujourd’hui. 

C’est un sujet si important que chaque année, nous nous focalisons sur lui et pouvons passer à côté de quelques versets dont le message fait un contrepoids interessant à la tragédie… 

D’abord, ce qui se joue entre les Explorateurs et Moché est plus subtil que ce qu’on pourrait envisager. Ce sont deux visions du monde qui s’affrontent. 

« Nos ancêtres dans le désert vivaient en quelque sorte une vie de Collelmen: des juifs qui reçoivent matin et soir la Manne du ciel, et voient leurs besoins matériels satisfaits. Et ils peuvent se consacrer à ce que leur âme désire. Il en est de même pour Moché et Aharon, pour le Sanhédrin, les dirigeants, les responsables  et les  chefs: ils ont tout ce dont ils ont besoin et ils restent assis à étudier la Torah… »

Le Rav Steinsaltz Even-Israel décrit ainsi l’état d’esprit de nos ancêtres dans le désert quand survient la fatidique Faute des Explorateurs… « Au fond, rentrer en Israel pose le problème de la prise de responsabilité matérielle, économique et concrète de la vie. Par responsabilité, on entend le fait que l’on ne puisse plus être dans cet univers serein dans lequel on peut étudier la Torah sans autre préoccupation (…) C’est un tout autre univers: à la place de toute la spiritualité à laquelle on était exposé dans un monde ou tout était beau et agréable et qu’au dessus de nos têtes planaient les nuées de Gloire, il n’y a désormais plus de nuées de Gloire mais des nuées de pluie ou de canicule. C’est désormais avec cela que l’on doit vivre et que l’on doit se débattre… »

Le risque de se perdre dans ce combat face à la vraie vie, c’est ce qui oppose les Explorateurs à Yehochoua et Calev. Et à Moché, qui, nous le verrons dans Vaet’hanane, tout spirituel et tout proche de D.ieu soit-il, désire tant rentrer en Terre d’Israel…  Moché n’est pas d’accord avec les Explorateurs, non pas parce qu’il veut faire des enfants d’Israel un peuple d’agriculteurs et de propriétaires terriens mais parce qu’il voit toute la vie matérielle comme un défi, comme un but auquel il faut aspirer en dépit des pièges qu’elle comporte: même si la Manne est parfaite, il prie pour s’occuper du blé qui pousse grâce au fumier! Parce que c’est le blé d’Eretz Israel, et parce qu’en s’occupant de la matérialité, on réalise notre vocation d’homme sur Terre, celle de faire le lien entre le bas et le haut, ou plutôt de faire du monde ici bas une demeure pour D.ieu .

La génération qui est sortie d’Egypte refuse ce challenge. Ou peut-être n’y est-elle pas prête… Elle va donc devoir rester 40 ans dans le désert, et c’est la deuxième génération qui devra relever le défi. Mais en avant-goût, et pour que le peuple qui vient de recevoir la lourde sentence de D.ieu ne se décourage pas et reste accroché au rêve et à la promesse de rentrer en Israel, notre Paracha annonce quelques commandements très concrets qui matérialisent la jonction entre la matière et l’esprit: les libations sur l’Autel dans le temple, la ‘Halla et les Tsitsit. 

Je veux m’arrêter ici sur la ‘Halla, une Mitsva que vous avez peut-être accomplie pour préparer ce Chabbat… En fait, le choix de cette Mitsva pour faire le pendant à l’argumentation destructrice des Explorateurs se niche dans les termes mêmes du verset qui l’annonce: 

Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: A votre arrivée dans le pays où je vous conduirai,  lorsque vous mangerez du pain de la contrée, vous en prélèverez une portion à D.ieu.  Comme prémices de votre pâte, vous prélèverez un pain à votre de portion; à l’instar du tribut de la grange, ainsi vous le prélèverez.  Des prémices de votre pâte vous ferez hommage à l’Éternel dans vos générations futures.

(Bamidbar XV, 17-21)

Rabbi Chalom Noa’h Berzovski, l’Admour de Slonim, aussi appelé le Netivot Chalom du nom de son oeuvre, voit dans ce verset une réponse au souci des Explorateurs: « Lorsque vous viendrez dans la Terre, c’est à dire lorsque vous en viendrez à vous préoccuper de sujets terrestres, sachez que c’est Moi qui vous y conduis ». En d’autres termes, ce qui suscite en l’homme un désir matériel vient non pas de sa part matérialiste mais plutôt de l’aspect spirituel de son âme: D.ieu suscite un attrait pour la chose matérielle afin qu’il en élève les étincelles de sainteté qui y sont dissimulées. Et cela, en en prélevant une part dès le commencement, dès les prémices pour le divin. Et le début influence tout le reste… 

L’auteur du Sefer Ha’hinouh place aussi cette Mitsva sous l’égide du lien indissociable entre la vie matérielle et la vie spirituelle. Comme l’homme tire sa vitalité de la nourriture et que pour la plupart des hommes, le pain est l’aliment de base, D.ieu a voulu nous donner le mérite d’une Mitsva facile,  qui réside dans ce qui est nous est quotidien; une Mitsva perpétuelle à travers le pain, aliment de base indispensable à la vie  pour la plupart des hommes… Ce qui fait que la pâte sur laquelle on prélève la ‘Halla est une nourriture pour le corps et pour l’âme à la fois… 

On a tendance à penser que la Mitsva de la ‘Halla ne concerne que les femmes; mais ce n’est pas totalement vrai, puisqu’elle incombe à quiconque pétrit une certaine quantité de pâte… 

 Il y a quand même une particularité féminine. Rashi explique que les Sages ont fixé une mesure : un vingt-quatrième pour le particulier, un quarante-huitième pour le boulanger (Sifri). Le volume prélevé par le particulier est supérieur à celui que prélève le professionnel. Le Rabbi de Loubavitch relève cette précision de Rashi et l’explique ainsi. Le but de la Mitsva du prélèvement de la ‘Halla est de renforcer en nous le fait que le pain, symbole de tous les besoins de l’homme n’est pas le fruit de notre travail naturel, mais est un cadeau que nous recevons de D.ieu. Que tout le processus qui mène des semis de blé à la sortie du pain de notre four n’est pas si automatique mais bien une bénédiction de D.ieu. Le boulanger, parce que c’est sa profession, doit faire face à la loi du marché et a l’occasion d’éprouver le miracle qu’il y a à gagner sa vie. Mais le particulier, le maître de maison ou plus particulièrement, la femme au foyer qui peut être moins aux prises avec la dure réalité du business a besoin de faire un plus gros effort pour expérimenter la providence divine dans la providence. C’est la raison pour laquelle, le prélèvement du particulier est plus important que celui du professionnel. Et il est vrai que le « particulier » en question qui pétrit le pain est souvent une particulière… 

Ce n’est pas la seule raison qui en fait une mitsva féminine. Aux début de l’histoire, il y a une autre faute originelle, celle d’Adam et ‘Hava. A la suite de quoi, l’humanité doit parcourir un long chemin pour retrouver son niveau de proximité avec D.ieu. Et pour ce faire, les hommes comme les femmes ont un travail à faire; et la femme, plus particulièrement à travers certains commandements dont le fait de prélever la ‘Halla. Le Midrash explique que comme, en entraînant l’homme à consommer de l’arbre interdit, la femme a altéré la ‘Halla du monde (l’homme, prélevé de la poussière de la terre) elle répare cela en chérissant la Mitsva de ‘Halla. 

Dans notre Paracha, la ‘Halla prend une dimension supplémentaire. Si jusque là, on voyait la dimension du Tikkoun féminin  la ‘Halla, elle vient opposer un démenti cinglant aux explorateurs.  Et à tous les hommes de cette génération. Parce que les femmes ne sont pas tombées dans le panneau des explorateurs, nous dit le Midrash…  

Alors ce n’est pas seulement pour rappeler sa culpabilité qu’on attribue plutôt la ‘Halla à la femme. Mais peut être parce que plus que les hommes, les femmes ont compris qu’il n’est pas impossible de rentrer en Terre d’Israel, de faire le lien entre le ciel et la terre; entre la farine et l’eau. Parce que plus on pétrit, plus on malaxe, et plus la pâte est homogène et nourrit l’humanité. Tant dans son corps que dans son âme… 

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Sarah Weizman

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