Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Behaalote’ha 5779 / Bac Philo

B

Reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté ?

Il y a un moment un peu particulier, chaque année, qui me plonge dans une sorte de nostalgie curieuse… D’ailleurs je ne dois pas être la seule puisqu’il fait immanquablement les gros titres de l’actualité: c’est la révélation des sujets du bac de philo… Je les attends toujours avec impatience et évidemment, quand ils tombent, j’essaie de faire dans ma tête, au milieu des monstrueux embouteillages de juin, le plan de la dissertation idéale… Et bien sûr, pour la philosophe du dimanche que je suis, se pressent en moi des foules d’arguments pour la thèse, et pour l’antithèse… La synthèse étant parfois plus compliquée à faire! 

Alors quand lundi j’ai entendu que les séries S avaient dû plancher sur la question de savoir si « reconnaître ses devoirs, est-ce renoncer à sa liberté », j’ai tout de suite pensé à ce grand principe de Viktor Frankl, le théoricien de la logothérapie, pour qui la liberté n’a de sens que si elle s’accompagne de responsabilité. C’est à dire que pour Frankl qui imagina sa théorie dans l’enfer concentrationnaire, puisque l’impératif pour surmonter toutes les situations de la vie, même Auschwitz, c’est de donner du sens à sa vie, ce sens prend forme grâce à la responsabilité, grâce aux devoirs que nous acceptons et que nous nous imposons. 

Et comme je ne suis pas tenue par un plan de dissertation ni par des auteurs imposés et qu’aucun professeur de philosophie ne me corrigera, je peux rappeler que les Sages du Talmud, dans la Braïta accolée à Pirké Avot, nous disent dans un jeu de mot:

« Il est dit que les Tables de la Loi étaient l’oeuvre de D.ieu et l’écriture était l’écriture de D.ieu, gravée sur les tables »; ne lisez pas ‘Harouth (gravée) mais « ‘Hérouth » (liberté)! Car n’est vraiment libre que celui qui étudie la Torah. »

Pirké Avot, VI, 2

Etre libre, c’est s’inscrire dans des règles. Et quand elles sont édictées par le Tout-Puissant, elles nous transportent forcement au-delà de nos limites. 

En fait, l’apprentissage de la liberté, c’est exactement ce que vivent nos ancêtres au lendemain de la sortie d’Egypte. C’est ce que nous voyons depuis la Paracha Bo, où D.ieu les fait sortir de l’esclavage en les prenant dans ses bras et que, peu à peu, Il les accompagne pour les autonomiser. Car il ne s’agit pas juste de quitter l’Egypte pour être libre. La liberté n’est pas anarchie, elle est d’abord construction avec les 49 jours du Omer, et elle est prise de responsabilité avec le Don de la Torah au Mont Sinaï. 613 lois et un cadre. Qui prend aussi une expression concrète, jusque dans l’organisation du camps et des déplacements dans le désert. Depuis que nous y sommes, Bamidbar, dans le désert, depuis 2 Parachiot, D.ieu met le peuple en ordre de marche pour pouvoir prendre possession de la Terre de Canaan promise depuis Abraham. Et dans notre Paracha, nous nous mettons en route et nous sommes tout prêt d’y arriver. C’est avant la faute fatidique des explorateurs. D.ieu fait même des raccourcis pour que son peuple y arrive rapidement… 

Mais c’est sans compter avec cet apprentissage difficile de la liberté. Dans notre Paracha, si riche de nombreux sujets, il y a l’amorce de ce qui va faire dérailler la génération sortie d’Egypte. Ce qui fait qu’un peuple peut connaître un temps d’arrêt dans la marche de son histoire. Une frange de la population qui instille un esprit de protestation. Au départ marginale, cette ambiance délétère, négative, protestataire va toucher toutes les couches de la population. Pour finir par une sortie de route et une attente de 40 ans dans le désert… 

Il n’est donc pas si simple de la maîtriser, cette liberté. Et ce n’est pas qu’un sujet du bac de philo. Parce que juste après le bac, nous avons les vacances. Pour être honnête, beaucoup d’ados n’ont déjà presque plus cours depuis des semaines. Et dans les classes de primaire, les programmes sont bouclés car les conseils de classe approchent. Alors on peut se retrouver, dans une même famille, avec une drôle d’ambiance où certains se croient déjà sous les cocotiers et d’autres s’enferment dans leurs chambres pour préparer leurs épreuves d’examens…

‘Hovav Ye’hieli et Ouriel Herzog, deux professeurs israéliens, posent le dilemme de ces semaines de fin d’année scolaire ces termes: Est ce que nous décidons que cette période est un « money time » ou un « garbage time »? 

Pour les commentateurs sportifs, le « money time », c’est le moment dans un match où les joueurs, le plus souvent les stars, prennent le jeu à leur compte (pour justifier leurs gros salaires). Ils jettent leurs dernières forces dans la partie et vont puiser au fond de leur talent pour remporter la victoire. L’esprit « money time », c’est avoir conscience que chaque seconde compte et qu’elle sera décisive. Comme tous les élèves et étudiants qui ont conscience de l’importance que chaque jour qui les sépare de l’épreuve doit être exploité à son maximum pour se donner toutes les chances de réussir. 

 A l’inverse, il y a le « garbage time ».  Cette période d’un match, pendant laquelle les titulaires ont besoin de se reposer ou alors lorsque une équipe possède une telle avance qu’elle lance ses seconds couteaux pour assurer le minimum. Terrible pour les spectateurs qui sentent qu’on veut juste faire passer le temps et où il n’y a pas d’action, où rien ne se passe et où tout peut dérailler si on n’est pas vigilant… Terrible pour les enfants qui se trouvent en roue libre… 

C’est un peu la situation dans laquelle de trouve le peuple d’Israel dans notre Paracha: entre le moment fondateur et le but à atteindre, le chemin peut être vu comme une période d’attente, un entre-deux… Se vit-il comme un money time ou comme un garbage time? Nous avons vécu la Sortie d’Egypte, la Traversée de la Mer Rouge, puis le Don de la Torah, la Faute du Veau d’Or et la Construction du Temple. Et à présent que le camps est organisé et tous les rôles distribués, le texte nous dit qu’enfin, le 20 Iyar 2449, presqu’un an après leur arrivée au Mont Sinaï,  « ils firent, à partir du mont de l’Éternel, trois journées de chemin; l’arche d’alliance de l’Éternel marcha à leur tête l’espace de trois journées, pour leur choisir une halte » (Bamidbar X, 33)

Ils quittent donc leur école, le Mont Sinaï, ce lieu où ils reçurent la Torah, l’instruction du peuple d’Israel. Et D.ieu a un plan pour eux: ils doivent rentrer très vite en Terre d’Israel. Pour Rashi, citant le Sifri,  «  Ils ont parcouru en un seul jour un trajet qui aurait dû en durer trois, car le Saint béni soit-Il voulait les faire entrer immédiatement dans le pays ». Il n’y avait pas de temps à perdre… Mais, et c’est Nahmanide qui nous met la puce à l’oreille, le peuple d’Israel quitte le Mont Sinaï avec d’autres intentions: « comme un petit enfant qui part en courant de l’école »! Et on sait que la suite fut tiraillements et révoltes incessants jusqu’au point de non retour pour cette génération qui va mourir dans le désert… 

En fait, pour revenir à la question de la Liberté,  dans un certain sens, le plan initial de D.ieu demandait aux enfants d’Israel de Lui faire une entière confiance en les libérant de tous les soucis matériels. Ce que démontre Behaalote’ha. D’abord, Il veut les faire vite entrer en Terre d’Israel pour les protéger de toutes les vicissitudes qu’un trajet naturel devait imposer. Il raccourcit donc miraculeusement le trajet. Et Il leur donne la Manne qui est une nourriture matérielle et spirituelle, Il les libère du souci de la Parnassa, de devoir gagner leur vie… Mais que font-il de cette liberté? 

Le Sfat Emet, Rabbi Yehuda Aryé Leib Alter de Gour, a un éclairage interessant sur un épisode sombre de notre Paracha. A un moment, le peuple se plaint de ne manger que de la Manne et réclame de la viande. Avec une mauvaise foi extraordinaire, les enfants d’Israel rappellent avec nostalgie tous les bons aliments qu’ils consommaient en Egypte, réécrivant au passage l’histoire et oubliant bien vite, nous dit le Midrash, que si déjà les Egyptiens refusaient de leur donner de la paille pour fabriquer les briques de leurs ouvrages, de quels concombres et melons osaient ils parler?! Et double mauvaise foi, quand on sait qu’ils sont sortis d’Egypte avec de nombreux troupeaux dont ils auraient pu consommer la viande si ils avaient tant envie!

Alors quel est le motif de leur plainte? 

Le Sfat Emet s’arrête sur 2 mots:

Or, le ramas d’étrangers qui était parmi eux « hithavou tahava » convoitèrent une convoitise; et, à leur tour, les enfants d’Israël se remirent à pleurer et dirent: « Qui nous donnera de la viande à manger?

Bamidbar XI, 4)

L’expression « Hithavou Tahava » insiste sur le fait qu’ils ont désiré avoir une convoitise. En quelque sorte, ce n’est pas un désir qui est né de manière fortuite ou spontanée, mais ils ont cherché la petite bête. Pour le Sfat Emet, les enfants d’Israel étaient protégés de l’attrait du Yetser Hara, du mauvais, penchant grâce à la Manne qui les nourrissait matériellement et les immunisait spirituellement. Et ils souhaitent expérimenter la liberté du libre arbitre. Devoir se battre contre la tentation du Yetser Hara. D.ieu les avait mis dans un cocon, les avait protégés de la tentation. Un peu l’idéal. Mais eux, comme de jeunes fougueux, ont désiré désirer, se confronter à la tentation pour en sortir grandis. Se mettre en danger pour vibrer. Mais il est délicat de s’exposer à l’échec. Parce qu’en matière de service de D.ieu, le plus important, c’est de respecter Sa volonté. Il vaut mieux renoncer à vibrer si cela risque de nous faire transgresser ce qu’Il attend de nous… Face à ce dilemme, ce qui doit l’emporter c’est le devoir, dans une sorte d’ « annulation », de « Bitoul » de notre ego et de notre volonté, qui se caractérise par une certaine simplicité explique le Sfat Emet.

La liberté est souvent vécue comme le lieu de tous les possibles, l’absence de cadres et de limites. Et pour la ressentir, il semble que beaucoup ont besoin d’expérimenter les limites et vibrer en bravant tous les interdits… 

Notre Paracha, nous montre les limites de cette appréhension de la liberté. Elle nous montre que la question n’est pas de savoir comment on rentre à l’école, lieu coercitif s’il en est, mais comment on en sort.  En la fuyant ou en apportant avec nous ce qu’elle nous a transmis pour faire de notre route un money time? La Torah se propose d’être notre devoir de vacances. Ou notre devoir de liberté. Parce que finalement, c’est notre liberté que de devoir!

Chabbat Chalom! 

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Sarah Weizman

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