Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Nasso 5779 / Birkat Cohanim: pourquoi eux?

N

Nous sommes juste après Chavouot et nous venons de recevoir la Torah. Avec la Paracha Nasso, nous commençons fort à l’étudier, la Torah, puisque c’est la plus longue de toute les Parachiot. Elle compte 176 versets et couvre plusieurs sujets qui, si nous devions leur trouver un point commun, se résument  au titre-même de la Paracha: Nasso. Nasso dans toutes les acceptions du terme hébraïque: celui de recensement, puisqu’on y poursuit le compte des familles de Levi, celui d’élévation à travers les cas de la Sota et du Nazir, exigences de pureté et encadrement de la sainteté et de l’ascèse. Et Nasso, comme Nessiim, les princes, chefs de tribus qui apportent leurs offrandes à la fin de notre Paracha pour fêter l’inauguration du Tabernacle. 

Pour ma part, je voudrais m’arrêter sur une petit passage, 6 versets qui peuvent passer inaperçu au milieu des grands blocs de notre Paracha mais qui sont d’une importance capitale. Ces versets nous parlent de la Birkat Cohanim, la bénédiction sacerdotale, cet ordre qui est fait aux prêtres, les Cohanim descendants d’Aharon de bénir le peuple d’Israel en des termes que leur précise le texte. 

La Birkat Cohanim est un des moments forts du rituel dans nos Synagogues; c’est un des rares moments où les conversations s’arrêtent et où tous se lèvent et se couvrent de leur Talit pendant que les Cohanim récitent la bénédiction sur une mélodie traditionnelle. 

Le texte de la Bénédiction des Cohanim est d’ailleurs la plus ancienne trace archéologique d’un texte biblique qui ait été retrouvé. Le Professeur et archéologue Gabriel Barkaï raconte qu’en 1979, il menait des fouilles à Jerusalem dans la Vallée de Hinom, sur le site où se trouve aujourd’hui le Musée Menahem Begin. Un jour il  reçu un groupe d’enfants qui étaient venus découvrir cette activité et comme l’un d’entre eux était turbulent, il lui demanda de rester tranquille dans une des galeries vides. A un moment, le garçon revint et le tira par la manche, avec dans les mains deux objets… datant de l’époque du premier temple! Dans ces grottes funéraires qui étaient vides car pillées au fil des siècles, le professeur avait fait, grâce à cet enfant, la découverte de sa vie… 

Parmi les nombreux objets qui furent découverts à cet endroit, il y avait 2 petits rouleaux en metal, comme des amulettes de la taille d’un mégot de cigarette. Il a fallu 3 ans et des trésors d’inventivité pour réussir à les ouvrir et finalement, y découvrir un texte qui, après déchiffrage, s’avéra être le texte de la Birkat Cohanim. Un clin d’oeil envoyé à nos contemporains par nos ancêtres, depuis le 7eme siècle avant l’ère vulgaire… 

Une des 2 amulettes et son déchiffrage… On retrouve les mots de la Birkat Cohanim…

Qu’est donc cette bénédiction qui traverse les âges et qui continue de susciter la ferveur et l’émotion dans nos rituels? 

Voici donc ce que nous dit le texte au Chapitre VI, versets 22 à 27: 

« L’Éternel parla à Moïse en ces termes : « Parle ainsi à Aaron et à ses fils : Voici comment vous bénirez les enfants d’Israël ; vous leur direz : « Que l’Éternel te bénisse et te protège !  Que l’Éternel fasse rayonner sa face sur toi et te soit bienveillant !  Que l’Éternel lève sa face vers toi et t’accorde la paix ! »Ils imposeront ainsi mon nom sur les enfants d’Israël, et moi je les bénirai. »

Nous avons D.ieu, détenteur de tout et bienfaiteur universel, source de l’abondance, qui demande aux Cohanim de bénir le peuple. D’où plusieurs questions: quel est le but de cette bénédiction? Et pourquoi passer par les Cohanim? Est-ce que, pour reprendre la définition de la Bénédiction comme l’expression d’une demande pour autrui, les Cohanim bénissent vraiment? Pourquoi Dieu ne bénit pas son peuple lui-même? 

Pour commencer, il nous faut nous imaginer à la Synagogue, vers la fin de la prière. l’Officiant annonce à un moment: Cohanim! Et ceux ci, qui se sont déchaussés, se mettent devant l’Arche Sainte, tournés vers l’assemblée dont les membres se couvrent de leur Talit, et, étendant les mains en un geste ancestral, ils commencent en disant la bénédiction suivante: 

« Béni sois-Tu, Eternel notre D.ieu, Roi de l’univers, Qui nous as sanctifiés par la sainteté d’Aaron et nous as ordonné de bénir Son peuple Israël avec amour »

Puis, mot à mot, ils répètent chacun des mots de la bénédiction sacerdotale après l’officiant…

Nous avons donc Mr Cohen et son voisin, Mr Israel, qui prient côte à côte. Mr Cohen n’est pas plus érudit ni plus pieux que Mr Israel. C’est peut être même l’inverse. Pourtant, au moment de la Birkat Cohanim, Mr Cohen a un statut particulier. Pourquoi donc cela? 

Pourquoi le Cohen?

C’est une question que le Midrash Tanhouma fait poser aux enfants d’Israel qui disent à D.ieu:  « pourqoi ce sont eux qui nous bénissent?  Ce que nous voulons, c’est Ta bénédiction! » 

Ce à quoi D.ieu répond: « Certes, je dis aux Cohanim de vous bénir, mais Moi Je me tiens avec eux et Je vous bénis. » 

 C’est pourquoi notre passage se conclut par « Et ils mettront mon nom sur les Enfants d’Israel et Moi je les bénirai ». 

Le Recanati dit d’ailleurs que c’est pour cette raison que les Cohanim lèvent les deux mains pendant la bénédiction: les 10 doigts représentent les 10 Sfirot,  l’abondance divine. Et c’est pour cela qu’on ne les regarde pas à ce moment: la Sh’hina, la présence divine rayonne à ce moment entre leurs doigts. 

La question n’en demeure pas moins forte. Rabbi Its’hak Arama, l’auteur espagnol du Akedat It’hak au XVeme siècle pose la question: : D.ieu a-t-il besoin d’intermédiaires?! Est ce que D.ieu a besoin d’aides?  Qu’est-ce que les Cohanim apportent au mécanisme de la bénédiction? Pourquoi ce système dans lequel des hommes servent de canal entre D.ieu et nous, quand on pense, à l’instar de Nahmanide sur ces versets qu’en vérité, toute bénédiction vient d’en Haut… 

Et pourquoi le Cohen, et n’importe quel Cohen en plus? Il suffit qu’il soit un Cohen descendant de Cohen qui a gardé les critères de la transmission de la Kehouna pour qu’il puisse bénir. Peu importe son érudition, sa piété, son statut. C’est dans les gènes… 

En fait, la clé est dans la bénédiction introductive prononcée par les Cohanim avant de bénir: « Qui nous as sanctifiés par ses commandements et nous a ordonnés de bénir Son peuple Israel avec amour ». Les Cohanim sont ceux qui peuvent bénir avec amour. Pourquoi? 

Parce qu’ils sont les descendants de Aharon. Nous rencontrons Aharon pour la première fois dans l’Exode, au moment de la révélation du Buisson Ardent. Moché ne veut pas endosser la responsabilité que D.ieu lui propose, et son dernier argument, qu’il pense être assez persuasif pour échapper à son destin, c’est de dire à Dieu: envoie plutôt Aharon; mon grand frère. On sait que jusque là, la Torah nous a raconté des histoires de fraternités avortées, des rivalités qui ont créé des tensions éternelles. Moché dit: on sait les dégâts que peut causer le choix du cadet par rapport à l’ainé. Sollicite mon frère. Et la réponse de D.ieu est sans appel: « Ton frère, Aharon, le Lévi, je sais qu’il parlera. D’ailleurs le voici qui sort à ta rencontre et il te verra et il se réjouira dans son coeur » (Chemot IV, 4). 

Voilà donc qui est Aharon: un homme qui est en position pour obtenir la charge suprême, qui, nous dit le Midrash, assume le leadership de ses frères esclaves en Egypte, mais qui  s’efface derrière son cadet, plus précisément se met à son service pour être sa bouche et son second dans la mission de sauveur du peuple d’Israel. Et tout cela, dans la joie. Alors un homme qui a cette capacité de se réjouir du bien d’autrui avec un tel enthousiasme et une telle sincérité puisque D.ieu témoigne qu’il se réjouit « en son coeur », il n’y a là aucune trace de jalousie ou d’amertume, cet homme peut être celui par lequel passeront la bénédiction, l’abondance et le bien pour ses frères.  

C’est là la raison fondamentale du choix des Cohanim comme vecteur de la bénédiction: parce que les Cohanim descendent d’Aharon, celui qui se réjouit pour son prochain, du fond du coeur. Il ne se dit pas pourquoi lui et pas moi. Le Talmud Chabbat (139a) nous dit que c’est à ce moment, pour cette attitude, que Aharon a reçu le pouvoir de bénir. Et le Zohar assure même que cette qualité se retrouve chez ses descendants: le Cohen est emprunt de Hessed (Zohar III, 145b).

C’est ce même Aharon au sujet duquel, la Michna dans les Maximes des Pères nous dit qu’il « aimait la paix, recherchait la paix, aimait les Créatures et les rapprochait de la Torah »; c’était un homme tourné vers autrui, amoureux de la paix et dont l’amour des autres avait pour effet de les rapprocher de la Torah.   Abraham Weingort dans son ouvrage Lev Banim sur Pirké Avot relève que si Aharon est un amoureux de la paix, il ne la voit pas comme une grâce qui descend du ciel sur un homme passif mais cette paix, il la « poursuit ». Il la cherche activement et inlassablement, la traque, fait preuve d’inventivité pour la trouver. 

Le Midrash nous raconte comment Aharon inspirait à ses contemporains l’envie de s’améliorer par sa présence même et son attention envers eux. Ainsi, nous dit on, rencontrait une personne quelle qu’elle soit, il la saluait toujours chaleureusement. Parfois, ce pouvait être un mécréant qui se disait alors: si Aharon savait ce que je suis réellement il ne me saluerait peut être pas… Et cela encourageait les gens à se remettre en question pour être à la hauteur de l’attention qui leur fait portée. La présence d’un grand homme et son attention tirent tout le monde vers le haut. Son existence est en elle-même une bénédiction… 

Aharon est donc celui qui incarne par excellence l’amour du prochain: un amour inlassable, inconditionnel et sincère. Un amour dénué de jalousie, qui fait que sa bénédiction sera sans retenue, sans arrière pensée. Seul un tel personnage empathique, qui a une intelligence émotionnelle développée peut bénir. Parce qu’il sait qu’il n’est qu’un canal qui va permettre à la bénédiction d’arriver à son destinataire…. 

C’est d’ailleurs le seul commandement qui nous est demandé d’accomplir avec amour. On ne nous demande pas de mettre les Tefilin avec amour, ni de sonner le Choffar avec amour. Pour Birkat Cohanim, le Be-ahava n’est pas une option mais c’est une condition sine qua non, à tel point qu’un Cohen qui n’est pas aimé de sa communauté ou qui, lui, ne l’apprécie pas ne doit pas bénir… 

Pourquoi D.ieu passe par des hommes?

Si nous comprenons à présent pourquoi ce sont les Cohanim qui sont en charge de cette Bénédiction, il nous reste quand même une interrogation fondamentale: pourquoi D.ieu passe par des hommes pour cette Bénédiction, ce qui est très inhabituel?! Bien d’autres bénédictions sont évoquées dans la Torah et elles ne sont pas transmises de cette manière… 

Bien évidemment, la réponse à cette question relève pour beaucoup d’analyses kabbalistiques que je ne maitrise absolument pas… 

Mais à travers une des explications à la dernière partie de la Birkat Cohanim, « que D.ieu fasse rayonner sa face vers toi », plus précisément celle de Rashi, on a un éclairage sur cette problématique.  Alors que les demandes que nous formulons dans les 2 premières parties de la Birkat Cohanim nous concernent directement, ici, nous dit Rashi,  les Cohanim demandent à D.ieu de contrôler Sa colère.  C’est à dire qu’en quelque sorte, les Cohanim bénissent D.ieu d’être clément… A l’inverse, quand D.ieu cache Son visage, Il s’éloigne de Son peuple…

Comment comprendre que D.ieu nous demande qu’on Le bénisse? 

Cela nous rappelle un passage complètement improbable du Talmud que certains d’entre vous connaissent peut-être par coeur grâce à la chanson Tania magistralement interprétée par le chanteur ‘hassidique Avraham Fried.

Tania, Avraham Fried en 2017. On reconnait le saxophoniste de jazz Daniel Zamir à 4’30.

Au Traîté Bra’hot (7a), Rabbi Ishmael fils d’Elisha qui fut Cohen Gadol, Grand-Prêtre contemporain de la destruction du Second Temple et connu pour être un des Dix Martyrs, raconte :

« Une fois, je suis rentré dans la partie la plus intérieure (du temple, c’est à dire le Saint des Saints) pour offrir l’encens, et j’ai vu Akatrikel Ka (c’est un des noms qui renvoient à la couronne divine), D.ieu des armées, assis sur son trône élevé et loué. Il m’a dit: Ishmael mon fils, béni moi! J’ai dit: Que ce soit Ta volonté que Ta miséricorde domineTa colère et que Ta miséricorde prévale sur Tes autres attributs, et que Tu Te comportes avec Tes enfants avec l’attribut de miséricorde, et que Tu les juges en deçà de la Loi stricte. Et D.ieu a acquiessé de la tête. » 

On imagine bien que D.ieu ne va pas changer, Il est immuable… D.ieu n’a pas besoin de nos prières! Qu’est ce qui se joue là? 

Rabbi Its’hak Arama l’explique ainsi: le principe même et l’intention de la bénédiction que l’homme prononce, c’est de reconnaitre la grandeur de D.ieu et le fait que tout vient de Lui. La bénédiction n’est pas dirigée vers D.ieu mais elle permet à l’homme, par sa reconnaissance et sa soumission à l’Etre Suprême, d’attirer sur lui la bénédiction et l’abondance des biens. 

Rabbi ‘Hayim de Volozhin dans le Nefesh ha’Hayim explique que D.ieu n’a qu’un désir: donner à l’homme tout ce dont il a besoin, déverser des pluies d’abondance. Mais tout comme l’eau, si elle n’a pas de réceptacle pour l’accueillir, se répand et se perd, l’homme a besoin de se faire réceptacle.

Dans son ouvrage Explorations sur la Paracha, le Rabbin Ari Kahn rapproche cette idée d’un commentaire de Rashi sur le Talmud Bra’hot (35b):

« Rabbi Hanina bar Papa dit: celui qui profite de ce monde sans réciter de bénédiction au préalable, c’est comme s’il volait D.ieu et la communauté! » 

 Disons que si on mange une pomme dans réciter la Bra’ha, c’est comme si l’on volait ce qui appartient à D.ieu. Mais pour Rashi, ce que nous volons, ce n’est pas la pomme: nous volons la bénédiction à D.ieu.  En fait, D.ieu a mis à notre disposition la pomme pour que nous en jouissions. D.ieu a créé ce monde physique pour que l’homme s’en serve afin de se rapprocher de Lui, et quand l’homme établit cette relation, l’abondance divine se déverse. Mais quand l’homme se déconnecte de D.ieu, alors Il n’éclaire plus Sa face envers l’homme, et l’abondance divine est limitée… 

Et cela se retrouve, pour conclure, dans l’etymologie même du verbe bénir, en hébreu. Barekh, c’est comme Berekh, le genou, qui permet de se plier. La bénédiction, c’est ce qui permet à l’abondance que D.ieu nous accorde de s’épancher et de parvenir jusqu’à nous…. 

La bénédiction, l’abondance, la richesse dans tous les sens du terme sont là. Il ne nous reste plus qu’à les attirer sur nous. Mais pour que le canal fonctionne, nous avons besoin du Cohen, de sa capacité atavique à l’empathie, nous avons besoin d’un lien d’amour entre l’assemblée et les Cohanim, et d’une volonté de tout un chacun à activer ce lien unique avec D.ieu… 

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Sarah Weizman

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