Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Behar 5779 / L’intérêt du prêt…

B

Nous avons cette semaine une Paracha très économique. Pas du tout économe mais très portée sur la présentation du système économique que le Peuple d’Israel devra mettre en place sitôt installé sur sa Terre. Et tous ces détails très concrets qui y sont évoqués viennent de très haut: de la Montagne (Behar signifie « Sur la montagne »), du Sinaï. Là ne furent pas donnés que des grands principes spirituels, mais bien des lois très concrètes encadrant le quotidien des hommes dans ce qu’il a de plus terrestre. Mais puisque tout cela fut donné au Sinaï, c’est que forcement nous devons y voir plus qu’une simple théorie économique. 

Donc la Paracha s’ouvre sur la Chemita et le Yovel; sujets qui sont longuement développés par les commentateurs à toutes les époques et qui nous donnent une tendance du système économique de la Torah, un projet libéral régulé par des principes qui encadrent et pondèrent les dérives possibles. Nous ne sommes pas dans une économie communiste: « Celui qui dit: ce qui est à moi est à toi et ce qui est à toi est à moi est un ignorant » nous disent les Sages du Talmud (Maximes des Pères, V, 10). La mise en commun des biens, la suppression de la propriété privée sont vues par nos sages comme une utopie complètement ignorante des réalités, mais avec la Chemita et le Yovel, on encadre quelque part le marché. Pour ne pas que les grands avalent les petits irrémédiablement, tous les 5O ans, au Yovel,  on remet les compteurs fonciers et de crédit à zéro, ce qui permet de redistribuer, même un tant soit peu les cartes et de redonner la chance d’un nouveau départ à celui qui était en difficulté. 

Mais ce n’est pas ce que je veux developper ici… Il y a dans notre Paracha plusieurs lois concernant la justice sociale ou plus précisément, la mise en place d’un mécanisme de prévention de l’appauvrissement par une solidarité qui fait office non pas d’amortisseur avant la chute mais plutôt de remblai pour empêcher l’édifice personnel de se détruire… 

Nous avons là une description des étapes de la déchéance: 

« Si ton frère s’appauvrit et que ses ressources faiblissent à tes côtés, tu le renforceras, fût-il étranger et nouveau venu, et qu’Il vive avec toi.  N’accepte de sa part ni usure ni interêt, mais crains ton D.ieu, et que ton frère vive avec toi.

(Vayikra XXV, 35-36)

Si ton frère, près de toi, réduit à la misère, se vend à toi, ne lui impose point le travail d’un esclave. C’est comme un mercenaire, comme un hôte, qu’il sera avec toi; il servira chez toi jusqu’à l’année du Jubilé.

(Vayikra XXV, 39-40)

Si l’étranger, celui qui s’est établi près de toi, acquiert des moyens, et que ton frère, près de lui, devenu pauvre, se soit vendu à l’étranger établi près de toi, ou au rejeton d’une famille étrangère, après qu’il s’est vendu, le droit de rachat existe pour lui; l’un de ses frères donc le rachètera.

(Vayikra XXV, 47-48)

Le Rav Adin Even-Israel (Steinsaltz) retrouve ici, se fondant sur l’interprétation de ce passage par les Sages du Talmud, la description du Schlimazel, un infortuné malchanceux qui, d’étape en étape, voit sa situation se dégrader jusqu’à devoir, en dernière extrémité, se vendre pour rembourser ses dettes. A chaque étape, ceux qui sont autour de lui ont la Mitsva de l’empêcher de tomber. Pas de faire la Tsedaka, mais de faire en sorte qu’il n’ait pas besoin d’en arriver là… 

Parmi ces lois, un des fondamentaux que la Torah exige de nous est de prêter sans interêt. Sachant que toute l’économie de marché repose sur le prêt à intérêt, s’en passer est une aberration totale! Pourquoi, alors que si je loue ma maison, je peux demander un loyer, et si je prête ma ponceuse électrique, je peux en attendre des frais de location, pour de l’argent qui, en plus, pourra rapporter gros à celui qui l’emprunte, je ne peux prendre ne serait-ce même qu’un centime d’interêt? 

Cette question est une problématique qui a suscité de nombreux commentaires, et je ne crois pas en avoir une approche exhaustive; mais je voudrais quand même partager avec vous quelques idées que j’ai rencontrées… 

D’abord, il y a Rashi, qui relève que le terme Neshe’h que la Torah emploie pour désigner l’usure est à rapprocher de la Neshi’hat Na’hach, de la morsure du serpent, une morsure imperceptible au départ mais qui empoisonne et tue la victime progressivement. L’emprunteur, pris à la gorge, n’a pas toujours le temps de lire les conditions générales et particulières du contrat de prêt, ces clauses minuscules qui sont rejetées en bas de page… Et de toutes les façons, il n’a pas le choix… alors il pense s’en sortir ainsi mais s’il n’y prend pas garde, il va se retrouver étouffé par l’intérêt de son emprunt…

Pourtant, nous dit Abrabanel, il n’y a rien de plus logique que de gagner de l’argent sur le prêt, qui est en quelque sorte une location de notre argent! Comme pour tout le reste des objets, pendant que je le prête à l’autre, je ne peux m’en servir… Donc la logique économique la plus honnête veut que le prêt soit rendu avec surplus d’argent… 

Le Rav Abraham Weingort, un des plus grands spécialistes contemporains du Ribith, est l’auteur d’un ouvrage fondamental sur les problématiques sous-tendues par cet interdit. Et sur ce point, il considère qu’on ne peut véritablement pas comparer les deux sortes de prêt. Quand on prête un objet, son utilisation peut entraîner une certaine usure. Et on prend un risque de le retrouvé abîmé…Lorsqu’on investit de l’argent, on peut en gagner plus; mais on peut aussi tout perdre…  Mais quand on prête de l’argent avec interêt, on ne prend aucun risque: on fait porter tout le risque par l’emprunteur! Qu’il gagne ou qu’il perde, il sera obligé de rembourser son emprunt et même plus! Gagner sur cela, c’est contraire à l’éthique juive, et c’est pourquoi la Torah l’interdit. 

Le Kli Yakar, Rabbi Chlomo Ephraim de Luntschitz, commentateur praguois du XVIème siècle, considère le prêt à intérêt sous son angle religieux: « le principe de l’interdiction du Ribith, c’est qu’il sape le Bita’hon, la confiance en Dieu du prêteur. Celui qui fait des affaires a les yeux levés vers D.ieu parce qu’il ne sait pas s’il gagnera de l’argent ou pas. Mais celui qui prête à interêt, son profit est prévu et fixé, et il se repose sur son capital, détournant son coeur de D.ieu ». En quelque sorte, le fait d’être suspendu et dans l’attente de la réussite nous fait prendre conscience que tout dépend de D.ieu. Mais si tout est garanti et la rente, assurée, nous oublions de nous en remettre à D.ieu… C’est le même mécanisme qui est induit par la Chemita, le fait de laisser sa terre en jachère tous les 7 ans rappelant que c’est D.ieu qui est la source de la subsistance…

Il n’en reste pas moins que le système du prêt à interêt est ce qui fait tourner l’économie mondiale et qu’il répond à un besoin fondamental; parce que finalement, si je ne gagne rien sur ce capit, pour quelle raison accepterai-je de l’immobiliser et de m’en priver un certain temps? 

La réponse est dans le texte. Une exhortation qui revient à plusieurs reprises dans notre chapitre: « et ton frère vivra avec toi! ». Alors que la plupart des commandements envers nos semblables parlent de « Rea’ha » ou « amite’ha », ton prochain, ici, l’autre est « ton frère ». Et il vivra « avec toi »: il est à nos côtés, on doit considérer ses difficultés comme si c’étaient les nôtres… 

Tout ce qui est mis en place ici n’est pas à lire comme un embryon de sécurité sociale telle que nous la connaissons dans nos contrées, une solidarité dont c’est le pouvoir public qui se soucie. La Torah met en avant ici le sens de la famille; une solidarité familiale. Dans la famille, on ne réfléchit pas en terme d’interêts. Dans la famille, on oublie les règles commerciales et financières; elles n’ont plus lieu d’être. « Si ton frère s’appauvrit », Rashi nous dit: Tu le renforceras: Ne le laisse pas dépérir jusqu’à ce qu’il tombe et qu’il devienne difficile de le relever, mais soutiens-le dès qu’il commence à vaciller. À quoi cela ressemble-t-il ? À un fardeau posé sur un âne. Aussi longtemps qu’il est sur l’animal, il suffit d’une seule personne pour l’immobiliser et le maintenir en place. Une fois tombé à terre, cinq personnes ne suffiront pas à le relever. » Ne laisse pas sa situation se détériorer au point qu’il ne puisse plus se relever. Les dégâts seront trop importants. Il sera détruit, sa famille aussi. Ce sera beaucoup plus difficile de le remettre en selle… et qui veut voir sa famille sombrer? 

C’est pourquoi, même si il est normal et logique de vouloir faire travailler son argent et en gagner quelque chose, quand c’est un proche, un membre de notre peuple qui vient nous demander, on doit mettre de côté sa logique financière et réfléchir en frère: « si toi tu n’as pas pitié de lui et tu tiens à ce qui te revient, qui aura pitié de lui ? » demande Maimonide…

C’est un des messages forts que nous avons pris au Mont Sinaï, Behar Sinaï, qui nous engage à vivre une vie matérielle et à d’y investir, mais en n’oubliant pas que nous sommes liés à un D.ieu qui nous demande de nous dépasser et de regarder au delà de ce qui nous est dû, comme Lui qui est propriétaire de tout l’Univers agit avec bonté envers nous… 

Cette semaine, un article du Figaro rapportait que les autorités chinoises avaient mis en place une sonnerie spéciale pour les citoyens endettés, affichant ainsi leur statut à leurs interlocuteurs… 

Certains disent qu’on ne prête qu’aux riches; la Torah demande donc d’aller contre le bon sens parce qu’elle attend de nous une sensibilité fraternelle qui va au-delà de la logique. Et qui, nous garantit-elle, sera source de vie et d’épanouissement pour tous: « il vivra avec toi »… Parce que si on maintient l’autre dans sa dignité, c’est toute la société et nous en premier qui en bénéficierons… 

Je voulais m’arrêter là mais c’était sans compter un post de la journaliste israélienne Sivan Rahav Meir que j’ai reçu hier. Elle rapporte une anecdote que lui a envoyée un professeur d’école: 

« J’ai attribué les félicitations à un élève de ma classe, et par erreur, j’ai envoyé à la maman d’un autre élève le message suivant: ‘Bravo! Votre fils a reçu le Diplôme des Félicitations ». Me rendant compte de mon erreur et alors que j’essayais d’effacer mon message, j’ai reçu une réponse: ‘vous n’imaginez pas ce que votre message m’a fait. C’est la meilleure chose qui me soit arrivée cette semaine!’. Je me suis dit que cet enfant allait rentrer à la maison sans Diplôme des Félicitations et sans le mériter d’ailleurs. J’avais même dû le sortir de la classe ce jour-là parce qu’il n’arrêtait pas de déranger le cours…

Je suis donc aller le voir et je lui ai raconté ce qui était arrivé. Et je lui ai dit: ‘Ecoute, tu es le premier élève à qui je vais faire le prêt d’un Diplôme des Félicitations. Tu ne le mérites pas mais j’ai confiance que ta conduite tout le reste de la semaine le justifiera’. Quand je lui ai raconté ce que j’avais écrit à sa mère, ses yeux se sont éclairés et il m’a dit: ‘Juste hier soir, Maman a pleuré et m’a dit à quel point je lui faisais de la peine, après avoir eu une conversation avec le professeur d’anglais. Merci. Je ne vous décevrai pas.’ Au fil de la semaine, cet enfant turbulent qui perturbait tous les cours s’est transformé en ange. La conseillère scolaire m’a demandé si sa mère ne lui avait pas donné de la Ritaline… Et moi j’ai répondu: « Non. Son énergie vient d’ailleurs cette semaine. On appelle cela de la confiance’ « 

En lisant cela, je me suis dit que le prêt sans interêt, c’est aussi cela; ou comment mettre fin à la dégringolade et tirer tout le monde vers le haut… 

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Sarah Weizman

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