Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Emor 5779 : Le ‘Omer: de l’orge au blé…

E

La Paracha Emor compte 63 Mitsvot. Plus de 10% des 613 commandements. Et nous n’avons que l’embarras du choix quant aux sujets à développer… Mais comme il n’y a pas de hasard dans le calendrier juif et comme cette Paracha est lue pendant la période et l’Omer et qu’elle est précisément celle qui nous donne l’ordre du compte, le choix s’impose…et nous ne nous ne plaindrons pas car cela nous donne l’occasion de nous intéresser avec un double intérêt à la curieuse Mitsva du Omer…

Après tout, elle est introduite dans le long passage qui évoque tous les rendez vous solennels du calendrier juif. Le Chabbat et toutes les fêtes sont passés en revue, et le Omer est évoqué juste après Pessa’h, comme un compte et pont pour arriver à chavouot; mais la Torah ne parle pas de Chavouot…

« Et le quinzième jour de ce mois, la Fête des Matsot pour D.ieu; durant une période de sept jours vous mangerez des Matsot »

« Il balancera le ‘Omer devant D.ieu pour susciter l’agrément pour vous; le lendemain du Chabbat le Cohen le balancera »

« Vous compterez pour vous, depuis le lendemain du Chabbat, à partir du jour où vous aurez apporté le ‘Omer du balancement, sept semaines, elles seront complètes. Jusqu’au lendemain du septième Chabbat, vous compterez cinquante jours et vous offrirez une nouvelle offrande de farine pour Hachem » 

« Vous proclamerez en ce jour-même, ce sera une convocation sainte pour vous, vous ne ferez aucun travail »

(Vayikra, XXIII, 6, 11, 15-16, 21)

Pour résumer: nous avons Pessa’h, qui commence le 15 Nissan.  Puis le lendemain du Chabbat, on apporte l’offrande de ‘Omer, une mesure d’orge qui va autoriser à consommer les céréales de l’année. De quel lendemain parle-t-on, de quel Chabbat s’agit-il? Ce n’est pas une question pour les Sages qui, se reposant sur la Torah Orale, savent que c’est le premier jour de fête qui est nommé ainsi, sachant que c’est un jour chômé et que c’est la raison pour laquelle il peut aussi être appelé Chabbat. Par contre, les Sadducéens, adversaires des Sages du Talmud qui, eux, ne tiennent pas compte de la Tradition Orale, prennent ce Chabbat au pied de la lettre et apportant l’offrande et débutent le compte du Omer forcement un dimanche. Et les chrétiens, à leur suite, qui fixent leur joie chômé le dimanche, débutent leur compte le lundi de Pâques, ce qui les mène …au dimanche de Pentecôte! 

Il nous reste quand même à comprendre pourquoi le premier jour de Pessa’h qui donne le coup d’envoi du compte du Omer est appelé « Chabbat », au risque d’être mal interprété….

Mais revenons à nos versets. Nous devons donc compter 49 jours, et le 50eme, c’est un jour saint, un jour de fête, pendant lequel nous apportions à l’époque du Temple un offrande de deux pains préparés  avec le blé de la nouvelle récolte. Nous savons que ce 50eme jour, c’est la fête de Chavouot mais nulle part dans le Texte de la Torah il n’est évoqué qu’elle tombe le 6 Sivan, ni qu’il s’agit du jour où fut donnée la Torah; Même si là encore, nous n’avons aucun doute que c’est bien le Jour du Don de la Torah parce que la tradition orale nous l’enseigne…  Il nous faut néanmoins comprendre pourquoi, alors que nous sommes en pleine énumération des fêtes et que la Torah en précise à chaque fois la date, elle passe par un mode aussi alambiqué pour Chavouot, en l’occurence par un compte? 

Nous voici donc avec quelques questions qui, en fait, nous interrogent sur la nature de cette période et le lien indéfectible qu’elle crée entre Pessa’h et Chavouot. 

Revenons donc à l’essence des choses. A Pessa’h, nous sortons d’Egypte, d’esclavage. C’est la fête de la liberté. Après 210 ans d’une vie de sous-hommes, les hébreux sont libres. Alors on aurait pu imaginer qu’immédiatement après, ils fassent une immense fête dans le désert, une sorte de Festival de la Liberté, sans limites ni retenue aucune. Après l’esclavage, plus aucune règle, plus aucun maître, plus aucun ordre. Tel un cheval fougueux qui est libéré de son écurie… Ou comme les enfants qui, libérés de l’école, se précipitent dehors avec des hurlements de joie, oubliant cahiers, cartables et devoirs… 

Le problème, c’est que ce genre de liberté nous fait cheminer en roue libre… et que le but de la sortie d’Egypte, c’est d’arriver au mont Sinaï et de recevoir la Torah. On a un chemin à parcourir, un but à atteindre. Et c’est le ‘Omer qui va nous permettre d’y arriver. Le ‘Omer est donc un système qui va nous apprendre à apprivoiser la liberté et à lui donner un sens… Ses principes sont aussi une source d’inspiration pour l’éducation à la responsabilité personnelle… 

Le ‘Omer a donc un début et une fin. Il commence avec l’offrande d’orge qui était apportée au lendemain du premier jour de Pessah et prend fin au 50eme jour, le jour de Chavouot, avec l’offrande de deux pains faits avec la farine de blé. Et entre les deux, on compte. 

Pourquoi ces offrandes? 

L’orge est la première céréale qui arrive à mâturité. Au printemps, elle est déjà prête, et elle sert à la consommation des bêtes. Elle n’est d’ailleurs pas une offrande courante; outre pour le ‘Omer, elle était l’offrande apportée par la Sotah, femme que son mari soupçonnait d’adultère. Justement parce que nourriture des animaux, elle évoque la tendance bestiale qui peut diriger l’homme si il ne fait pas attention… 

A Chavouot, ce sont des pains faits à partir de la farine de blé de la nouvelle récolte que l’on apporte, un aliment destiné aux hommes et raffiné… 

Quand on sort d’Egypte, on est peut-être des hommes libres mais pour l’instant, encore soumis à notre nature et à nos instincts, comme les animaux. Par le ‘Omer, nous nous débarassons de nos scories et nous affinons pour être des hommes dignes de recevoir la Torah. 

En fait, quand D.ieu nous fait sortir d’Egypte, il brise toutes les limites (l’Egypte c’est Mitsaïm- Métsarim, les limites), tous les déterminismes. Les lois de la Nature n’opèrent plus; ce sont des miracles, cela va à l’encontre du fonctionnement naturel du monde et de la société. La naissance du peuple d’Israel passe par la matrice du refus de l’asservissement à une quelconque entrave… C’est avec cette énergie que le peuple juif sort d’Egypte. Mais une énergie qui peut aussi être débordante et auto-destructrice. 

Reste donc à la définir, à la cadrer, la maîtriser, diriger. Il va falloir lui donner un sens et la contenir pour qu’elle perdure. La bénédiction, l’abondance, le miracle de Pessah, c’est un mouvement transcendant, une bénédiction de D.ieu vers l’Homme. Un réveil d’en haut, Hit’arouta Dil’éla nous dit la ‘Hassidout. Mais si l’homme n’est pas apte à la recevoir, si il ne fait pas de lui même un récipient pour recevoir toute cette énergie, une Hit’arouta Diltata (un réveil d ‘en bas) elle sera perdue… Pour recevoir la Torah, il nous faut être capable de l’accueillir. 

C’est là qu’intervient le ‘Omer; un compte transformatif.  Toutes les modalités du compte du Omer vont dans ce sens. 

  • D’abord, ce n’est pas un compte à rebours, ce compte décroissant qui nous tend vers un moment donné. Le compte à rebours renvoie à l’impatience, à l’excitation, ou à l’opposé,, l’angoisse et la peur du couperet… La Sfirat Haomer  mais l’inverse. Enfin, je ne sais pas si il y a un mot précis qui signifie le contraire du compte à rebours… En cherchant bien, j’ai trouvé décompte, chronomètre, incrémentation. Une sorte de compte croissant, mais qui ne rend pas vraiment compte du fait qu’en hébreu, la Sfira c’est un ajout, et c’est aussi un travail sur les Sfirot, les 7 modes qui animent hommes… Ce qu’on compte, c’est le temps qui est passé. Le temps qui nous sépare de l’offrande d’orge, du niveau animal duquel nous partons, et qui nous enjoint à nous demander ce que nous avons fait de ce temps. Sommes nous plus prêts de l’orge ou des pains de blé? Mettons nous à profit chaque jour qui passe pour grandir et nous améliorer? 
  • Ensuite, le texte est précis: « Tu compteras pour toi ». Nahmanide s’arrête sur ce « Pour toi ». Il ne s’agit pas d’un compte général, d’un décompte officiel ou calendaire. C’est un compte personnel, que chacun doit faire quotidiennement, pour lui. Ce n’est pas une Mitsva collective, dans laquelle on peut compter sur les autres…. 
  • Les sept semaines doivent être « complètes », « entières ». Pour Nahmanide, cela signifie que ce compte nous demande de rester concentré sur notre but. On ne peut pas se contenter de l’à peu près, ni se permettre de procrastiner: ce qui doit être fait aujourd’hui ne pourra être fait demain… D’ailleurs, si on s’est trompé de jour, on est hors-jeu. Si on en a oublié un, sauté un, on ne peut plus faire la bénédiction. C’est une Mitsva qui peut sembler facile et anodine, une petite bénédiction avec un petit compte, mais elle dure 49 jours: elle éduque à la ponctualité, à la persévérance, à l’attention, à la concentration, à la précision. 
  • Le Omer est une Mitsva qui nous fait prendre conscience du temps qui passe et du temps qui reste. L’esclave ne dispose pas de son temps; pendants 210 ans, les hébreux étaient à la merci des égyptiens. Ce sont les maîtres qui géraient le temps de leurs esclaves. La soudaine liberté peut effrayer… Que faire de tout ce temps? Pour ne pas qu’un autre asservissement s’installe, dès le départ, D.ieu habitue le peuple d’Israel à le compter, à le gérer, à en être maître… 
  • Le Omer nous met en état de veille permanente, on ne peut pas s’endormir… D’ailleurs, comme il peut pas être dit tant que la nuit n’est pas tombée, il nous oblige à veiller, attendre le bon moment. Ou à mettre une alarme sur nos portables pour ne pas l’oublier.  
  • En 49 jours, nous risquons de nous installer dans une routine. Bon, c’est une période de travail sur soi, nous en sommes d’accord, mais il y a quelque chose de monotone à ce compte journalier. Pourtant, il n’y a rien de moins automatique que ce rituel, car chaque jour, le contenu de ce que nous y disons change: nous faisons attention à ne pas nous tromper de jour, ni de semaine, mais aussi, nous rappelons chaque jouir que nous avons à travailler sur un autre des aspects de notre personnalité; la première semaine c’est sur la bonté, la seconde sur la rigueur et ainsi de suite. Mais le premier jouir de la première semaine, c’est la bonté dans la bonté, le second, c’est l’aspect strict de la bonté, et le troisième, c’est l’harmonie de cette bonté. C’est en tout 49 traits de caractères sur lesquels nous devons nous arrêter. Cela change tous les jours! C’est un challenge permanent qui nous donne à en découvrir à chaque fois plus sur nous-même et sur le monde… Grande leçon de développement personnel que le judaïsme nous donne ici: les grands changements ne se font pas en une fois. Et il n’y a pas de grand changement d’ailleurs: par petites touches, jour après jour, par un effort sur des petits détails, l’animal se transforme en homme qui peut, au pied du mont Sinaï, prétendre à recevoir la Torah… Voilà pourquoi Chavouot n’a pas de date dans la Torah: cette fête est le résultat du travail que nous aurons effectué depuis le 16 Nissan, lendemain du premier jour de Pessa’h.

Bien évidemment, ce n’est là qu’une infime partie de ce que nous enseigne le ‘Omer; mais l’avantage de notre Paracha, c’est qu’elle tombe toujours pendant le ‘Omer: nous pouvons donc tout de suite expérimenter le pouvoir transformatif et éducatif de ce Compte!

Et si vous avez oublié notre question du départ, qui était de savoir pourquoi le Texte fait démarrer ce compte le « lendemain du Chabbat » et ne dit pas « le lendemain de Pessa’h », c’est parce que pour réussir à transformer sa nature, il faut un coup de pouce miraculeux. le Chabbat, c’est le 7ème jour de la Création. C’est le domaine de l’immanent, du naturel. Mais pour compter le ‘Omer, il faut être au lendemain du Chabbat, au 8ème jour: on prend notre impulsion dans la dimension miraculeuse du 8, de l’au-delà de la Nature que fut le miracle divin de la Sortie d’Egypte…

Alors si Erasme a dit « on ne naît pas homme, on le devient » et si Kant a précisé que « l’homme ne devient Homme que par l’éducation », nous disons que le ‘Omer est par excellence ce qui nous fait passer de l’orge au blé et qui nous permet d’accéder au divin…

Chabbat Chalom

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Sarah Weizman

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