Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

A’haré Mot 5779 / « Après la mort »: les mariages de Bergen-Belsen

A

Après l’interruption de Pessa’h, nous retrouvons le cours de la Paracha… Et quelle Paracha! A’haré Mot, s’intitule-t-elle. « Après la mort »… Un nom fort réjouissant, mais qui n’annonce pas un contenu morbide, rassurons-nous… 

Disons d’ailleurs que si la semaine dernière nous étions Pessa’h, cette semaine nous sommes à Kippour puisque tout le contenu de A’haré Mot constitue la lecture de la Torah du jour de Kippour: la première moitié qui nous raconte le service de Kippour du Grand-Prêtre par le détail est lue à Cha’harit, et la seconde, qui porte sur les types de relations intimes interdits, est lue à Min’ha. Ce qui semble plutôt incongru… Comment comprendre ce passage des plus hautes sphères de rapprochement avec le divin à l’énumération de toutes les relations incestueuses ou prohibées? 

Si nous reprenons le fil de l’histoire, nous en étions à l’inauguration du Michkan et aux évènements tragiques qui se sont déroulés ce jour de joie: la mort des fils d’Aharon. Nous avions vu qu’Aharon n’avait pu s’apitoyer sur sort ni même s’arrêter pour marquer le deuil de ses fils. Tout à son sacerdoce, il avait dû coûte que coûte poursuivre son service et habiter la noblesse de sa charge en se transcendant au plus haut point. La Torah a ensuite rappelé le comportement qui était exigé à l’intérieur du Michkan, mais aussi, les conditions de sainteté du peuple d’Israel par le respect d’un mode de vie saint et sain, avec les lois alimentaires et celles de la maîtrise du langage… 

Pour autant, la tragédie qui a marqué tout le peuple avec la mort foudroyante de ces deux personnages promis à un brillant avenir n’est pas occultée par la Torah. Le choc étant passé, on peut y revenir pour en tirer les conséquences. Parce que la mort de Nadav et Avihou reste un mystère pour les commentateurs, ils abondent en motifs et explications qui justifient cette sentence divine inouïe. Ce qui se dessine quand même, c’est que ces deux êtres étaient d’un niveau spirituel qui dépassait de loin celui du commun des mortels et que leur désir de proximité avec D.ieu était tel que leur âme ne pouvait rester dans leur enveloppe corporelle; c’étaient en quelque sorte des êtres d’un « autre monde », de l’ « Autre Monde », et leur place n’était pas ici, dans notre univers matériel. 

Pourtant, et c’est ce qui est intéressant, ce n’est pas ce que D.ieu attend de nous. Et notre Paracha s’emploie justement à démontrer ce que la sainteté n’est pas… La semaine prochaine, dans Kedochim, D.ieu nous enjoindra d’être saints par Je suis saint »; et Il nous expliquera comment atteindre cet état de sainteté. Mais pour l’heure, dans A’haré Mot, il est question du jour le plus saint de l’année, de Yom Kippour, le jour où le grand-prêtre était au sommet de son art et portait le destin du peuple dans son ensemble entre ses mains. Ce jour-là on atteint le summum de la sainteté et le Grand-Prêtre rentre dans le Saint des Saints. C’est le seul jour de l’année où il peut y pénétrer et cela demande une préparation et un respect de règles très strictes. Au-delà de cela, ce n’est plus de la sainteté… Et après avoir exposé cela, la Torah s’emploie à nous spécifier les mariages et relations intimes prohibées… 

On ne voit certainement pas à premier abord le lien entre ces sujets, et on pourrait penser que c’est une juxtaposition fortuite, mais non, justement ces sujets sont si liés qu’ils sont tous les deux lus à Kippour… 

Ce qui nous permet peut être de comprendre le lien logique entre les deux, c’est un verset qui est justement à la jonction des sujets: 

« Vous observerez donc mes lois et mes statuts, parce que l’homme qui les pratique vit par eux: je suis l’Éternel. » (Vayikra XVIII, 5)

Les lois de la Torah, leur pratique et leur étude, sont une source de vie pour l’homme. Sur le plan spirituel évidemment. Rashi sur ce verset explique ainsi que celui qui respecte les commandements divins « vivra par eux dans le monde à venir. Car si tu disais qu’il s’agit de ce monde-ci, l’homme n’est-il pas mortel ? »

Mais pas que… Et c’est Rav Naftali Tsvi Yehuda Berlin, le Netziv de Volozhin (1816, Russie-1893, Pologne), auteur du commentaire sur la Torah Haémek Davar, qui l’explique ainsi. Le terme « ‘Hai », il vivra, peut se comprendre dans deux directions.‘Hai, c’est être en vie, ne pas être mort. C’est le niveau premier de la vie. On peut être vivant et pourtant ne pas vivre pleinement. Alors ‘Haï, c’est aussi être vivant mais dans le sens plein du terme: habiter complètement et entièrement sa vie. On dirait aujourd’hui une vie en « pleine conscience », mais surtout une vie dans laquelle on expérimente pleinement le rôle que D.ieu nous a assigné sur terre. Le niveau premier, végétatif, animal, est une vie en soi qui convient pour le végétal ou l’animal. La « Vie » de l’homme est une vie du corps et de l’âme. Et c’est à cela que la Torah nous invite avant d’aborder la question de l’encadrement de la sexualité.

Ou encore, plus prosaïquement, Rabbi Yossef ben Its’hak Bekhor Shor d’Orléans, un Tossafiste du XIIème siècle, qui voit dans les lois de la Torah qui encadrent la vie familiale et personnelle des conditions d’une vie plus longue et plus saine parce qu’elles sont censées préserver de la jalousie, de la violence, de tous ces systèmes pervers qui rendent la vie invivable car tourmentée et destructrice aux sens propre comme figuré… 

La sainteté c’est donc l’univers feutré et protégé du Temple qui concerne le grand-prêtre le jour de Kippour lorsqu’il s’approche du divin. Nous le rappelons le matin de Kippour. Et la sainteté, c’est aussi l’intimité de la vie conjugale. D’où l’idée qui est développée dans le Talmud selon laquelle, le Cantique des Cantiques, l’ouvrage qui met en avant la relation d’amour entre D.ieu et son peuple par l’allégorie de l’amour dans le couple est considéré comme le Saint des Saints de la Bible; ou la chambre conjugale qui est le Saint des Saints du petit temple que représente chaque foyer juif… 

Cette semaine nous avons marqué le Yom Hashoah, le souvenir de nos ancêtres (pour ma part, mes arrière-grands-parents) assassinés il n’y a pas si longtemps… Un jour de recueillement où les derniers rescapés sont appelés à témoigner dans un monde qui veut effacer et oublier. D’où l’éternelle question sur le travail de mémoire et les questions sur son efficacité… 

Au détour de lectures sur ce sujet, je suis tombée sur une vente aux enchères qui s’est déroulée il y a quelques semaines à Jerusalem et qui met en lumière un aspect plutôt méconnu de la période qui a suivi la Shoah. «Après la mort », comme le titre notre Paracha, survient un désir irrépressible de vie. Comme l’Europe qui a connu un baby-boom immédiatement après la Seconde Guerre Mondiale, les juifs sortis des camps, ayant souvent perdu toute leur famille, sur les ruines de leur vie d’antan veulent faire triompher la vie. 

Alors, à côté de ce qui fut le camps de Bergen-Belsen prit place le camps de personnes déplacées de Bergen-Belsen. Dans les quelques années qui ont suivi la fin de la guerre, des milliers de personnes vivaient là, dans l’attente de s’installer ailleurs. Et on connut une frénésie de mariages. Il y eut donc l’établissement d’un Beth Din, d’un tribunal rabbinique, qui célébrait en moyenne 50 mariages par semaine. Et, c’est là, à mon sens, la puissance du peuple d’Israël: cela ne se fit pas dans le désordre. Reconstruire, oui. Mais sur des bases saintes. Winner’s, la maison de vente aux enchères en question, présente donc un lot de 4 registres manuscrits tenus par les rabbins de ce Beth Din, où sont consignés 2000 mariages avec les noms de ces couples, leur date et lieu de naissance, et celui de leur père. Et à côté de cela, les noms de témoins qui prouvent le célibat de la personne. Parce que même au lendemain de la pire des catastrophes c’est sur le caractère sacré du mariage que l’on rebâtit.

Registre des mariages, camps de réfugiés de Bergen-Belsen

On mesure la force morale de ces personnes à qui on a tout pris quand, dans un lot qui a été adjugé le 8 avril 2019, on trouve ce manuscrit contenant 61 «Heterei Agunot», des certificats permettant à des femmes dont les maris ont disparu pendant la guerre de ne plus être considérées comme Agounot et de pouvoir se remarier.  La notice de Winner’s donne des frissons:

« Numérotés de manière séquentielle (560-621),-on imagine donc qu’il y en a bien plus ndlr-  écrits et signés aux dates suivantes: du 4 Shevat – au 8 Elul 1948, par le Beth Din spécial établi à Bergen-Belsen dans le but de recueillir des témoignages et décider si les agounot sont autorisées à se remarier. Chacun des permis contient un témoignage sur les circonstances du meurtre du mari. Les décisions sont signées par les personnes suivantes: le Rabbin Yisrael Aryeh Zalmanovitz, le Rabbin Yitzchak Glickman et de nombreux autres rabbins.

« Le Rabbin Yisrael Aryeh Zalmanovitz était l’un des rabbins du camp et un personnage central parmi les survivants de Bergen-Belsen. Plus tard, il fut Rabbin de Yavneh, Acco et Kiryat Sanz à Netanya. Il était considéré comme le disciple le plus âgé et le plus éminent de l’Admour de Klausenburg et de Sanz.

Le rabbin Yitzchak Glickman – rabbin du camp de réfugiés de Bergen-Belsen fut plus tard Rabbin de Holon. 

« Les Heterei Agounot contiennent des histoires horribles. Par exemple, Heter n° 616: la femme Sarah Waldlifrand de la ville de Kielce indique qu’au mois d’Elul 1942, son mari Shmuel Shlomovitz et les membres de leur famille ont été emmenés de la ville de Lodz et envoyés à Treblinka. Il était de notoriété publique qu’ils avaient été gazés. Depuis lors, personne n’a entendu parler de lui. ‘J’étais enceinte et j’ai donné naissance à un fils. À l’âge de six mois, il a également été emmené’…

Heter N° 615: La femme Necha Rosenblum décrit comment elle a été emmenée avec son mari à Auschwitz, où ils ont été séparés. Son mari était malade et enflé et les prisonniers lui ont dit qu’il avait été tué. Ensuite, le permis contient le témoignage d’un prisonnier supplémentaire qui a vu comment son mari a été battu à mort.

Héter Agouna n° 569, camps de réfugiés de Bergen-Belsen

« Un document historique terrifiant… »

Après la mort, donc, on reconstruit des familles «à travers lesquelles ils vivront »… 

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Sarah Weizman

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