Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Metsora / Par’o- Pé Ra- Pé Sa’h

M

Si ces derniers jours, nous avons eu la tête dans la Lune dans l’expectative de l’allunissage de Beresheet, nos mains sont  plongées dans Chemot, à préparer la libération de l’esclavage par un asservissement à notre ménage, n’en déplaise à tous ces posts qui nous expliquent qu’ont pourrait cachériser notre maison en quelques heures et que nos maris se font une joie de nous transférer alors qu’on a quand même retrouvé du ‘Hamets dans le endroits les plus improbables de la maison… 

Mais nous sommes à Vayikra, et depuis deux semaines déjà, la Torah expose les conséquences de la parole négative. La Tsaraat sous toutes ses formes, symptôme physique d’une punition spirituelle, impose à celui qui ne maîtrise pas son langage une prise de conscience qui passe par une période d’isolement et une sorte de rééducation au contact du Cohen, celui qui statue sur son cas et l’accompagne dans sa réhabilitation sociale…

Lachon Hara vs Lachon Hatov

Il semble que ce serait une solution trop simple. Le Lachon Hara est à banir. Mais en face, il y a le Lachon Hatov, le bon langage. La Torah érige la parole comme une valeur créatrice, en préambule de tout. D.ieu crée le monde avec la parole, et, dès le départ, Il pourvoit l’homme, qui est voué à lui ressembler, du sens de la parole ; il est le Medaber, le parlant. C’est ce qui le distingue de l’animal: Onqelos, traduisant au Chapitre II de Berechit le terme Nefech ‘Haya (dans le verset 7 « L’Éternel-Dieu façonna l’homme, – poussière détachée du sol, – fit pénétrer dans ses narines un souffle de vie, et l’homme devint une Nefech ‘Haya »), parle d’« Esprit qui parle », alors que cette même expression évoque pour les animaux « une âme vivante », une âme animale.  D’ailleurs, quand les hommes ne sont plus capables de parler entre eux, ils deviennent des animaux…  

La vocation de l’homme va donc passer non pas par une éradication de la parole mais par une maîtrise de celle-ci. Et puisque nous sommes, après la sortie d’Egypte, à un nouveau départ, la parole est encore au centre de toutes les attentions. Nous avons vu dans Chemini à quel point nous devons être vigilants sur ce que nous faisons entrer dans notre bouche. A présent, c’est de ce qui en sort qu’il est question; et il n’est pas anodin que nous lisions cette Paracha précisément ce Chabbat, Chabbat Hagadol, le Chabbat précédant Pessa’h. 

Tout dans Pessa’h évoque les arts de la bouche… La nourriture et la parole. D’abord, son nom: Pessa’h qu’on peut aussi comprendre Pé Sa’h, une bouche qui parle. Ensuite, la vigilance extrême qui nous est imposée face à tout ce que nous consommerons pendant cette fête. Enfin, les 2 commandements principaux du Seder: manger la Matsa (et les herbes amères) et parler. Exactement les 2 sujets qui ont été mis en valeur par nos dernières Parachiot. 

Revenons donc à Pessa’h. Avec mes amies, nous avons étudié avec le Rav Elie Ebidia la centralité de la parole dans la célébration du Seder. La bouche qui parle pour inaugurer un choix civilisationnel opposé à celui qui nous fit souffrir en Egypte. Par’o, Pharaon, c’était aussi Pé Ra’: une mauvaise bouche. Le début de l’Exode nous montre son pouvoir maléfique, la manipulation de l’opinion publique égyptienne qu’il a su retourner contre la famille du bienfaiteur Joseph, par une argumentation jouant sur la peur et la démagogie. ‫ Plus que cela, et cela est démontré très longuement par Nahmanide, l’asservissement est appelé « Avodat Pare’h », qu’on peut aussi lire « Péra’h », un travail de la bouche douce : la mise en place du système esclavagiste est passé par une phase de séduction sournoise et subtile. Les hommes se sont engagés dans ces travaux pharaoniques -si je puis dire- au départ par volonté patriotique, puis ils ont été convaincus de la nécessité d’un rendement extraordinaire avant d’être privés de tout droit et déshumanisés puis ostracisés… Mécanisme décrit par le menu par Rav Chimchon Refaël Hirsch dans son commentaire sur Chemot…

En Egypte, l’exil est donc celui de Par’o, de Pé Ra ; c’est aussi l’exil de la parole nous faisait remarquer le Rav Ebidia. D’ailleurs, le Lachon Hara, la mauvaise parole, c’est aussi l’exil de la parole, une parole dévoyée à telle enseigne que le sacrifice que devait apporter la personne touchée de Tsaraat contient de l’hysope, comme pour le sacrifice de l’agneau pascal. 

Le Metsora va vivre l’isolement et la dégradation physique pour mesurer l’importance et la puissance de la parole… et près l’Égypte la reconstruction passe par la parole : le corps maltraité par l’asservissement va se régénérer par la parole. 

Pessa’h et la transmission

On passe donc de la parole qui asservit et qui dégrade à Pé Sa’h, la parole qui parle, qui converse, qui raconte. 

Et cette parole prend la forme de la Haggada. Pour répondre au commandement de transmission qui est fait au père « Tu raconteras à ton fils ce jour-là » (Chemot XIII,8). 

Rav Its’hak Hutner (1906-1980, auteur du Pa’had Its’hak dont le cœur de l’enseignement s’appuie sur le Maharal), explique ainsi que la Haggada est la parole intermédiaire entre la Amira, la parole créatrice, un don gratuit caractéristique de l’ère qui précède la Torah, et le Dibbour, le monde des commandements, un discours perlocutoire, donnant-donnant. La Haggada prend place dans le Seder, un ordonnancement, un cadre, mais dans la liberté d’expression. 

La Haggada, ce n’est pas le père qui parle et l’enfant qui écoute ; ce n’est pas une transmission verticale et écrasante. Elle se joue dans un cadre posé par le père, avec des éléments gustatifs, visuels et comportementaux qui doivent éveiller la curiosité de l’enfant mais surtout, l’inciter à poser des questions – c’est le Ma Nichtana qui ouvre la discussion- et surtout, ses propres questions, celles qui émanent de sa personnalité, de son cheminement, de son positionnement – ce sont les quatre fils de la Haggada. Il y a un cadre, et c’est le rôle du père de le poser ; mais aucune question n’est taboue… 

Ainsi, pour le Maharal, le père est un pont entre la Kedoucha, le divin, et son enfant. Il n’impose pas un message mais se fait l’instrument de la transmission. Il n’éduque pas, n’impose pas, mais transmet… 

La mise en scène du Seder, avec la Matsa que l’on présente à l’enfant pour l’inciter à être curieux crée donc une situation à la fois ouverte et cadrée. En même temps, explique le Rav Ebidia, on imagine une progression. Il y a 15 étapes dans le Seder, chacune constituant une élévation : l’éducation exige la patience d’attendre que les étapes soient franchies. 

Le Seder, cadre de la liberté

Dans un ouvrage choral intitulé « Transmettre » (publié chez l’Iconoclaste), les auteurs évoquent les conditions d’une transmission positive, reprenant les conseils d’une pianiste à l’origine de diverses chorales d’enfants. Trois composantes sont nécessaires : l’ouverture, qui exige de se mettre à l’écoute de l’autre ; l’attention, qui nécessite d’être attentif à l’autre ; et la persévérance, qui permet de ne pas lâcher tout de suite. 

Ces composantes m’apparaissent indispensables pour tous les protagonistes de cette transmission…: l’ouverture avec Ha La’hma Anya, l’attention avec Ma Nichtana, et la persévérance des 15 étapes. Tant pour le transmetteur que pour le récepteur…

J’ai pour habitude, tous les ans, de m’offrir une nouvelle Haggada. La Haggada est certainement l’ouvrage qui a connu le plus d’éditions et de commentaires, et il est passionnant de voir, dans les musées d’Art Juif, les salles dédiées aux Haggadot qui nous transportent dans le temps et dans l’espace autour d’un texte immuable. Cette année, on m’a fait la surprise de m’offrir la Haggada du Rav Jonathan Sacks, et ce sont ses commentaires qui vont m’accompagner…  Comme je l’ai reçue juste hier, je l’ai ouverte à Maguid et son interprétation renforce notre propos…

Nous comprenons toujours Haggada du verbe Léhaguid, qui signifie « raconter ». Mais, et c’est une nouveauté pour moi, Haggada est aussi à rapprocher de la racine talmudique « Nagad » dont le sens est « lier, associer, unir ». « Le récit de la Sortie d’Egypte n’est pas juste un récit d’évènement très lointains. Il relie le présent au passé et au futur. Il relie chaque génération avec la suivante. Il fait le lien entre nous et nos enfants ; la perpétuation du judaïsme, c’est que chaque génération s’engage à poursuivre le récit ; notre passé vit à travers nous »… 

Voilà donc comment, grâce au lien inter-générationnel favorisé par le contexte du Seder, en opposition au Lachon Hara, à la médisance, à la parole qui sépare, et face à Par’o, Pé Ra, la mauvaise parole, celle qui asservit, qui manipule, qui détruit, nous encourageons un Lachon Hatov à travers Pessa’h-Pé Sa’h, une bouche qui parle dans un échange cadré et libre qui, d’étape en étape, nous fait progresser vers la véritable liberté. 

Chabbat Chalom !

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Sarah Weizman

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