Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Chemini / La Cacherout: le corps et l’âme…

C

Quand nous arrivons à Chemini, nous avons déjà parcouru plus de la moitié de la Torah. Et pourtant, si l’on s’en remet au décompte du Sefer Ha’hinou’h, nous n’avons reçu que 149 Commandements sur les 613 que compte la Torah. Jusque là, des lois ont été évoquées au gré de l’histoire, mis à part Michpatim qui inaugurait le corpus législatif juif. Pourtant, nous savons qu’au coeur de la Torah, se nichent toutes les instructions au Peuple d’Israel pour un mode de vie conforme à la volonté divine. 

Vayikra, le Lévitique, dont est extraite la Paracha de cette semaine, est le 3e livre du Pentateuque; le livre du milieu, certains diraient le coeur même de la Torah.  Très orientés vers les prêtres et les Leviim, les premiers chapitres du Lévitique exigent des lecteurs que nous sommes un effort d’identification, tant ce qui y est décrit peut sembler loin de notre réalité contemporaine… Et pourtant; c’est peut être le plus concret et le plus actuel des livres de la Torah. Parce que si les deux précédents et les deux suivants parlent beaucoup de l’histoire de nos ancêtres et nous racontent qui nous sommes, Vayikra nous dicte comment nous devons agir. Les Sages l’appellent Torat Cohanim, la Loi des Prêtres; et nous pensons immédiatement au grand prêtre en service le jour de Kippour ou au service quotidien du temple avec les rituels des sacrifices entre autres. Pourtant, dès le moment crucial de l’alliance du Sinai, D.ieu annonce que la prêtrise n’est pas réservée à une élite du peuple d’Israel, mais c’est bien tout le peuple qui joue ce rôle au regard des Nations: « Et vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte ». C’est un des termes du contrat qui nous lie à D.ieu. 

Etre juif, c’est être prêtre.  Et qui dit prêtrise dit sainteté, et qui dit sainteté dit pureté. Et c’est ce que s’emploie à développer tout le livre de Vayikra, en commençant par les prêtres du Temple et à partir de Chemini, en déclinant cette notion à tous les aspects de la vie matérielle du peuple d’Israel. 

C’est à cette lumière que nous allons essayer d’appréhender l’éternelle question de la Cacherout. Je dis éternelle car d’abord, et c’est un fait curieux, il y a des questions qui sitôt résolues semblent à nouveau susciter l’interrogation. Nous avons certainement abordé cette question l’an dernier en étudiant cette Paracha, et cette année, nous avons l’impression de poser un regard vierge sur la même question; les réponses de l’an dernier ne nous satisfont plus. C’est cela qui fait l’inépuisable attrait de l’étude de la Torah… 

Mais aussi, nous nous reposons les questions parce que chaque fois, elles doivent se confronter à la contemporanéité des problématiques. Et quand il s’agit de nourriture, les questions ne manquent pas ; c’est un sujet d’une actualité brulante puisque nous mangeons 3 fois par jour. Donc pas si anodine que ça. D’ailleurs, nos grands sujets de sociétés sont traversés par la question de l’alimentation, et ces derniers temps, la question du véganisme, de l’antispécisme interrogent et nous confrontent à la question de notre rapport à ce que nous mangeons – problématiques que j’ai abordé dans mon article sur Noah et sur Chemini 5778… 

En fait, dès qu’on parle de nourriture, on parle d’homme, de projet de société. Et c’est cela qui est passionnant,  parce qu’on doit toujours se positionner… Il n’y a que l’homme qui se pose la question de ce qu’il peut et doit manger. Les animaux sont conditionnés et ne s’embarrassent pas de questions culinaires, gustatives, éthiques… 

Chemini s’ouvre sur l’inauguration du Tabernacle, une cérémonie marquée par la tragédie de la mort des deux fils d’Aharon. S’ensuivent des lois qui régissent strictement l’attitude des prêtres dans le temple et le respect induit par ce lieu… Puis soudainement la Torah revient vers tout le peuple. En fait, à partir de là et pour quelques chapitres encore, le Texte expose les lois qui encadrent le mode de vie juif au quotidien et dans ce qu’il a de plus trivial. Tous les aspects de la vie sont évoqués, et pour commencer, nous abordons les deux systèmes qui répondent au besoin primaire de l’homme: l’alimentation dans notre Paracha et la sexualité la semaine prochaine. 

Donc le chap XI ouvre le sujet avec le verset: 

« D.ieu parla à Moché et Aharon en leur disant » (Vayikra XI, 1)

Lorsque D.ieu parle aux deux frères, c’est que c’est une annonce solennelle. 

Quelle sera cette annonce solennelle? 

« Parlez aux enfants d’Israel en disant: ceci est la bête que vous mangerez, parmi tout l’animal qui est sur la terre »

Suivent tous les critères d’identification des animaux permis et ceux qui sont interdits. Et la finalité du respect de toutes ces lois, c’est « parce que je suis l’Eternel votre D.ieu, vous vous sanctifierez, vous serez saints car Je suis saint et vous ne rendrez pas impures vos âmes par toute la vermine qui rampe sur la terre. 

Car je suis D.ieu qui vous fais monter du pays d’Egypte pour vous être comme Dieu, vous serez saints car Je suis saint. Ceci est la loi de l’animal et du volatile et de toute âme vivante qui rampe dans l’eau, et pour toute âme qui rampe sur la Terre, Pour séparer entre l’impur et le pur, et entre la bête qui est mangée et entre la bête qui ne sera pas mangée. (Vayikra XI, 44-47)

Pour cette fois, ce n’est pas sur les critères de la Cacherout des aliments que je voudrais m’arrêter mais bien sur un mot, qui nous éclaire sur toute l’approche alimentaire de la Torah et qui apparait dans un des versets qui concluent l’ensemble des instructions: 

« Ne vous rendez point vous-mêmes abominables par toutes ces créatures rampantes; ne vous souillez point par elles, vous en contracteriez la souillure. » (Vayikra XI, 43)

Le lecteur français ne s’en rend pas compte mais les termes « ne vous souillez pas par elles » et « vous contracteriez la souillure » viennent de la racine « Tamé » qui signifie « Impur ». Ce que les commentateurs relèvent, c’est que la deuxième occurence fait disparaitre le Alef de cette racine, ce qui fait que ce mot non vocalisé peut se lire de différentes manières. Et surtout, être lu « Venitamtem », dans le sens de « vous deviendriez bouchés, bloqués » par ces aliments interdits… 

D’où l’interprétation, par exemple, d’Ibn Ezra, pour qui le Alef manquant donne à ce mot l’acception d’un blocage intellectuel, d’une impossible compréhension juste des choses. 

Mais ce blocage n’est pas qu’intellectuel. Il est aussi spirituel. C’est ce que Rabbénou Behayé s’emploie à démontrer, expliquant que si le premier avertissement se réfère au corps en cela que manger de ces aliments interdits rend l’homme impur, le second, lui, se réfère à l’effet que manger de telles choses abominables aurait sur notre âme. Le mot « Venitmétem » est écrit sans la lettre Alef. Selon Yoma 39, l’avertissement caché dans cette lettre manquante est que quiconque mangeant ces créatures deviendrait « Toumtoum » «d’esprit ennuyeux», une sorte d’apathie et de fermeture… Le cœur de l’homme devient «incrusté» par l’ingestion de telles créatures interdites, de sorte qu’il ne peut plus laisser de place à D.ieu. 

Il est possible que cette interprétation trouve son origine dans le fait que la lettre Alef symbolise le Créateur Unique. L’absence de cette lettre à l’endroit où elle aurait dû paraître suggère que le Seul et Unique était incapable d’entrer dans le cœur de la personne qui s’était contaminée en mangeant ces créatures abominables que la Torah a défendues. La présence de D.ieu s’éloigne toujours de l’impureté rituelle

L’impureté dans le judaïsme trouve toujours sa source dans une forme de mort ou du moins d’absence de vie. Source d’immobilisme, de tristesse, de blocage, elle empêche l’homme d’avancer. C’est pourquoi elle est encadrée, limitée et combattue avec vigueur par la Torah…

J’ai découvert une analyse très pertinente de la nécessaire harmonie entre l’impératif d’une nourriture saine, souci très actuel s’il en est, et le bien-être psychologique… 

Dr Yehiel Harari, Docteur en communication puis conseiller parlementaire, spécialiste de la philosophie et de la mystique juive et auteurs du best seller « Sodo chez Ha-Rabbi » sur le Rabbi de Lubavitch, s’intéresse depuis plusieurs années à l’approche psychologique du Baal Hatanya. Dans une de ses communications (pour les hébraïsants, je vous conseille son site (hitbonenut.net) , il pointe l’opposition structurelle entre les besoins du corps et ceux de l’âme. Pour le corps explique-t-il, plus c’est naturel et plus c’est sain. Quand on veut manger sain, on choisit les aliments les moins transformés et le plus naturels possible. Mais l’âme, la santé émotionnelle, elle, si elle va vers le naturel, elle est tirée vers le bas. Se laisser porter par sa nature, c’est prendre le risque d’être dépassé par ses peurs, ses angoisses, ses défauts. L’Admour Hazaken considère que les inclinations naturelles sont la source des blocages psychologiques et émotionnels qui nous entravent… Car elles nous placent au centre de notre système, elles nous rendent égocentriques. La tristesse, la paresse, le stress sont des mouvements naturels de l’âme. Pour aller au dessus de cela, pour surmonter ces impulsions, nous devons travailler sur notre conscience, nous poser la question de notre grille d lecture, de nos préjugés, de nos croyances. Etre capable de penser en amont et d’agir en conscience. 

On pourrait penser que manger sainement et pratiquer une activité physique régulière sont les clés du bien-être… C’est vrai…mais en partie seulement! La santé du corps ne va pas sans celle de l’âme. Pour le judaïsme, l’âme est un cavalier et le corps, le cheval… Le corps ne peut pas être en bonne santé et aller dans la bonne direction si l’âme est mal en point. Les émotions ont un impact certain sur notre état de santé… Et si la santé du corps est préservée par une vie plus naturelle, la santé de l’âme nécessite d’aller justement contre nature!

Alors précisément au moment où la Torah nous explique ce qu’est être un peuple saint, elle nous rappelle avec les lois de la Cacherout que pour une harmonie entre le corps et l’âme, nous devons d’un côté choisir les aliments qui conviennent le mieux au corps ( et c’est une lecture que fait Maimonide dans le Guide des égarés sur ce sujet), et de l’autre, prendre conscience que pour l’âme, il nous faut précisément ce qui n’est pas naturel, ce qui est supra-naturel. La Cacherout, qui régit justement notre alimentation, en cela qu’elle est un ‘Hok, une loi supra-naturelle, répond certainement à ces deux exigences et constitue une base pour une vie harmonieuse…

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Sarah Weizman

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