Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Terouma / Du coeur à l’ouvrage…

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Le syndrome de la page blanche. C’est un peu l’état dans lequel je me trouve en commençant ces lignes… Non pas que Terouma ne m’inspire pas… Comme toute les Parachiot, elle recèle des trésors d’interprétations et de commentaires. Mais disons qu’après les histoires de Berechit, après les miracles de la Sortie d’Egypte, après l’extraordinaire révélation du Sinaï, on rentre dans le dur. On construit la maison. Les célébrations finies et les termes juridiques posés, il faut bien que la vraie vie commence. Terouma pose le cadre de cette relation, et de manière très dense. En lisant cette Paracha, je me dis qu’on a du mal à reprendre son souffle. C’est une accumulation de détails, de mesures précises, de mots techniques, un champ lexical dont on n’est pas familier. Et surtout, aucune interruption. Alors que nous avons l’habitude de voir se répéter en chaque début de paragraphe le verset « D.ieu dit à Moché » ou « D.ieu parla à Moché », ici, cette annonce n’est écrite qu’une fois, au tout début de la Paracha. Comme si tout ce sujet ne faisait qu’un bloc. D’ailleurs, il n’y a aucun autre sujet évoqué dans notre Paracha. Aucune digression, on doit rester concentré sur notre ouvrage… 

Mais comment l’appréhender? Et surtout, puisque c’est toujours notre souci quand on étudie la Paracha, en quoi nous parle-t-elle, nous qui vivons au XXIème siècle et qui, même si nous envisagions de construire un Temple, ce serait le 3ème Temple de Jerusalem et il n’aurait certainement pas les dimensions du Tabernacle portatif du désert?!

Posons d’abord les choses clairement. Quand D.ieu demande de lui construire une demeure, ce n’est évidemment pas parce qu’Il a besoin d’une résidence sur Terre. C’est Lui qui l’a créée, la Terre! Ce que Hachem veut, c’est qu’on lui fasse une place en nous. Le Rabbin Jonathan Sacks le formule ainsi: « D.ieu ne demeure pas au sein de bâtiments mais à l’intérieur des bâtisseurs ». D’où le verset qui embrasse toute cette oeuvre: 

« Ils me feront un Sanctuaire et je résiderai en EUX » (Chemot XXV, 9)

Il faut dire que si la Torah, qui est avant tout un manuel de vie, s’étend aussi longtemps sur la construction du Michkan – elle couvre 5 parachiot, quelques 450 versets quand la création du Monde est expédiée en 34, Chabbat compris! – c’est que la vie, c’est précisément une construction de Michkan. Notre oeuvre est de faire de notre vie un sanctuaire, de notre famille, de notre foyer, de notre personne, un lieu où D.ieu réside. Il ne s’agit pas de sanctuariser un lieu, mais bien de rendre sainte toute notre vie: « Il a ordonné que chacun se construise un sanctuaire au plus profond de son coeur » (Malbim)

Alors comment fait-on un sanctuaire? Comment fait-on que D.ieu réside en nous, je veux dire à l’intérieur de nous? 

La première condition, c’est la Terouma. 

« Parle aux enfants d’Israël et qu’ils Me prennent une Terouma; de la part de quiconque y sera porté par son cœur, vous recevrez Ma Terouma.

Rashi: « Une Terouma. Qu’ils la prélèvent pour moi sur leurs biens à titre d’hommage spontané (…)  Le mot Nedava évoque l’idée de bonne volonté, en français : « présent ». »

Le terme même de Terouma interpelle. Il existe bien d’autres mots pour désigner le don. On connait bien la « Tseadka », qui renvoie à l’idée de justice, comme un prélèvement juste et obligatoire; mais là, les conditions sont autres. Hachem fait une appel aux dons, et Abravanel (Portugal, 1437- Italie, 1508) prend le temps, à partir des termes précis du verset, de définir ce qu’est le don, et de le circonscrire: 

  • C’est ouvert à tous. Ce n’est pas réservé aux riches ou aux chefs, mais tous peuvent y prendre part. Aucun don n’est ridicule, tout le monde a sa place.  
  • Cette levée de fond se fait sur la base du volontariat. Nul n’y est contraint.
  • C’est un appel général. On ne doit demander à personne expressément ni précisément ce qui doit être apporté. Chacun apporte ce qu’il souhaite.
  • On ne doit pas accepter le don total d’une fortune. Ce n’est plus un don mais une dilapidation, et ce nest pas ce que D.ieu souhaite.
  • On ne reçoit que ce qui est demandé par D.ieu, en quelque sorte ce qui correspond au cahier des charges.

Je ne sais pas si les inventeurs de KickStarter et des autres systèmes de financement participatif se sont inspirés du principe de la Terouma; mais outre la levée de fonds qui motive le lancement de ce genre de campagne, ce que l’on vise, c’est l’implication personnelle de ceux qui auront mis ne serait-ce qu’1 euro dans le projet. Un de mes proches, qui est toujours en avance de deux décennies en matière d’innovation, a par exemple découvert il y a quelques années un projet de concept d’apprentissage couplé aux tablettes qui appelait à un financement participatif… Il y a mis quelques euros et bien sûr, désormais concerné par l’évolution de ce projet, en a suivi les étapes jusqu’à sa réalisation. Et c’est vrai que c’était un très bon jeu qui se retrouva vite propulsé en tête des ventes dans son domaine. Pour son encouragement du départ, il eut droit à un exemplaire du jeu avec une réduction de 1,5%. Mais surtout, il en acheta 5 qu’il offrit à tous ses neveux et nièces pour le ‘Hanoucca suivant! Parce qu’il s’était identifié à ce projet, l’avait adopté et s’en faisait le relai… (Bon, il y aussi le projet de la guitare connectée au smartphone qui était censée vous apprendre à jouer à la vitesse record… Mais celui-ci n’a jamais abouti…!)

Quoi qu’il en soit, il n’y a rien de plus fort que le don, et le don volontaire pour se sentir impliqué dans une cause… Et quelle plus grande cause que la construction de son sanctuaire intérieur, de son couple, de sa famille, de son peuple? 

L’Académie de la Langue Hébraïque, l’équivalent de notre Académie Française, publie des articles en lien avec la Paracha. Dans une réflexion sur le terme Terouma, elle met en avant la racine de ce mot. En hébreu, Roum renvoie à l’idée d’élévation. Car lorsqu’on fait un don, on « pré-lève », on lève d’abord, on extrait une partie de nos fonds… Mais en même temps, on s’élève. Car celui qui donne est celui qui est capable de sortir de lui même, de son égo, de son désir de posséder; il se défait un peu son attraction pour le terrestre, le matériel et devient plus spirituel… 

Le don peut être de plusieurs ordres. Puisqu’il se fait sur la base du volontariat, il n’est pas quantifiable, mais par essence, il répond au besoin de l’autre. 

Dans la construction de notre édifice personnel, il peut prendre la forme d’un don matériel. Mais aussi, ce peut être du temps, de l’énergie. Du savoir. La Rabbanit Danielle Sitruck disait dans un cours auquel j’ai assisté cette semaine qu’envers les parents, le don ne se résume pas au fait de les aider matériellement si nécessaire. Mais aussi et surtout, dans le fait de donner du temps et de l’attention, de rendre visite et de s’intéresser à ce qu’ils ont à dire. Nous donnons aussi beaucoup à nos enfants; mais prenons-nous le temps de sourire, d’écouter leurs histoires de cours de récréation? Et comment construisons-nous notre relation de couple? 

 Je dois dire que ces derniers jours, j’ai découvert une personnalité passionnante dont je ne connaissais alors que le nom. Malheureusement, c’est à l’occasion du décès du Rav Ye’hiel Eckstein que la presse israélienne a beaucoup parlé de lui. Ce Rabbin, dont l’action ne laissait pas indifférent, a créé le Keren Layedidout, une association qui aide les juifs du monde entier à faire leur Aliya et qui soutient de nombreuses associations de bienfaisance en Israel. L’originalité de ce personnage, c’est qu’il arrivait à mobiliser ses donateurs au sein de la communauté chrétienne américaine, et qu’il a réussi à lever des centaines de millions de dollars pour sa cause; ce qui ne mettait pas d’accord tout le monde… 

A l’enterrement du Rav Eckstein, Rav Berel Lazare, le Grand-Rabbin de Russie a rappelé  que le défunt « donnait sa vie pour les juifs dans le monde entier. Alors que la guerre faisait rage en Ukraine, il s’est mis en danger pour sauver des gens, pour apporter de l’aide à des personnes âgées et des enfants. Il a fait ce que personne n’avait réussi à faire: amener plusieurs peuples à aider Israel et les juifs ».

Au-delà des polémiques, le Rav Eckstein incarnait à sa manière l’idée de la Terouma: le don d’argent, le don du temps et de la personne, et la capacité à donner envie aux autres de donner. A éveiller le côté positif qui est présent en chaque être humain…

Le deuxième homme de la semaine, toujours dans l’actualité israélienne, c’est Yuli Edelstein qui a remporté les primaires du Likoud. 

Ce personnage est lui aussi très interessant. Né en Union soviétique en 1951, il a découvert son judaïsme dans sa jeunesse et est devenu pratiquant, notamment au contact des ‘Hassidim ‘Habad qui continuaient leur action au péril de leur vie… Devenu enseignant d’hébreu et refuznik, il a été envoyé pendant 3 ans au Goulag… Il en est ressorti handicapé et a pu émigrer en Israel en 1979. Yuli Edelstein a officié comme Président de la Knesset pendant plusieurs années. Pour son discours inaugural en 2013, il s’adressa ainsi aux députés: « De grâce, considérez cet endroit comme sacro-saint. Voyez le bâtiment de la Knesset comme un « Mikdach Méat », un petit Temple; (…) Soyez attentif au public… Etre député est un sacerdoce qui ne souffre pas l’ivresse du pouvoir ou du statut. Ce n’est pas un pouvoir mais une servitude. C’est ainsi qu’il vous faut voir votre rôle – une mission au service du public ».  

En utilisant ce vocabulaire, en parlant de Temple et de sacerdoce, Yuli Edelstein rappelle, à ceux qui l’oublient souvent, que travailler au bien-être du foyer national, comme privé, c’est comme construire le Michkan.  

Et pour la Paracha, la manière d’y parvenir tient en un mot: « faire ». Nehama Leibovitz le compte 200 fois au sujet du Michkan! Et c’est sans parler de tous les autres verbes d’action…. Agir. Mais pas n’importe comment. Et c’est la raison pour laquelle la Torah passe autant de temps sur les détails millimétrés de cette construction. 

« La précison est importante. L’ordre est important. L’inversion de seulement quelques lettres dans les 3,1 milliards que compte le génome humain peut avoir des conséquences irréversibles sur l’hérédité. Le fameux effet papillon en vertu duquel le battement d’ailes d’un papillon quelque part sur la planète est susceptible de provoquer un tsunami à l’autre bout de la planète nous apprend que les petits actes ont des conséquences énormes. C’est le message du Michkan… » (Rabbin Sacks) 

Finalement, la page n’est plus si blanche. Elle nous donne un plan de construction de notre vie; nous en sommes les architectes, les maçons, les décorateurs intérieurs, les artisans. Il nous faut du coeur et de la générosité, le sens du don et du sacrifice pour lui donner du sens. Mais aussi, de la rigueur, le respect de certains principes jusqu’au pointillisme le plus précis pour que cet édifice soit éternel…

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Sarah Weizman

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