Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Michpatim / Le Sinaï… Et après?

M

C’est une grande joie pour moi d’arriver à Michpatim… Il y a un an, avec Michpatim et les affaires médiatiques qui secouaient notre actualité, j’ai voulu partager avec mes amis « Un petit mot sur la Paracha »… Je ne savais pas alors que j’inaugurai ainsi un exercice qui rythmerait mes semaines, à quel point ce Petit Mot deviendrait les lunettes à travers lesquelles je lirai désormais beaucoup des évènements du quotidien… 

Et c’est aussi pour moi une grande joie et un grand honneur que vous preniez le temps de lire ce que j’essaie de partager avec vous, et que parfois même, vous y réagissiez… Merci!

Nous sommes en plein Grand Débat National. Un concept que j’ai un peu de mal à saisir complètement, mais qui est l’illustration même du fait que les grandes idées, les beaux concepts, les bonnes intentions, c’est une chose. Mais le véritable challenge, c’est d’arriver à dépasser les slogans et convertir toute cette énergie dans le réel, dans le concret. Comment, toutes les belles idées qui s’expriment et qui parfois s’affrontent, peuvent véritablement s’inscrire dans le quotidien et changer la vie des gens? En attendant les réponses qu’apporteront tous ces débats, nous avons Michpatim. 

Cette Paracha pourrait être vue comme un embryon de Code Civil et Pénal, avec les 53 commandements qu’elle contient. Il y est question des lois de dommages et interêts, du meurtre sans préméditation, des vols, des viols, du fonctionnement des tribunaux, du statut de l’esclave, des blessures et j’en passe. 

Mais il est question aussi d’éthique et de morale: de la protection des plus faibles, de la veuve, de l’orphelin, de l’immigré, du prêt à interêt, du respect des juges. Et aussi la Chemita, le Chabbat, les Fêtes de Pélerinage. 

Michpatim ce n’est pas que du Droit; l’étude approfondie de cette Paracha nous permet de dégager les principes du Droit juif, un Droit qui se veut d’origine divine mais dont la dimension humaine de l’interprétation se fonde sur des principes éthiques et moraux qui font l’essence même de ces lois. Je vous recommande à ce sujet les ouvrages « Rencontres » du Rav Abraham Weingort qui mettent en lumière le génie du droit hébraïque («Droit Talmudique et Droit des Nations », en collaboration avec Jonathan Weizman, aux Editions Lichma). 

Michpatim nous permet peut-être de répondre à la grande problématique que le Grand Débat National aura certainement du mal à résoudre: comment transformer les grands idéaux en réalité? 

Voilà, en termes plus précis, le défi que se propose de relever la Torah dans notre Paracha: « Cette expérience unique (la Révélation du Sinaï) nécessite d’être traduite. Notre mission, c’est de faire d’un évènement historique une Torah de vie, de transformer le récit en loi, de faire du rêve une inspiration pour porter une attention scrupuleuse aux petits détails, de traduire le rêve en réalité, de transformer les souffrances du passé en bénédictions pour l’avenir. C’est ce qui donne à la Torah une force qui transcende le temps » (Rabbin Jonathan Sacks dans « Sig va-Sia’h » sur Michpatim)

Dès le premier verset, la Paracha annonce:

« Et voici les ordonnances que tu placeras devant eux » (Chemot XXI, 1). 

Sur ce verset qui compte 5 mots, il y a des dizaines de commentaires. Le lecteur moyen que nous sommes n’y verrait qu’une phrase introductive qui annonce l’avalanche de commandements qui vont suivre. Mais chaque mot est pesé et très lourd de sens. 

Pour nombre de commentateurs, la formulation du verset est bien curieuse. Ils sont dérangés par un « vav ». Vous savez, ce trait vertical qui, placé en début de mot,  est le « vav ha’hibour », « vav de l’union » littéralement; le « vav » conjonctif qui désigne un lien logique entre deux mots, deux expressions, deux phrases. 

C’est ce « Vav », la conjonction de coordination « et »,  dont le but est de créer un lien, qui va nous intéresser ici… 

D’abord, au premier niveau de la logique:  « ET voici »: il n’est pas habituel de commencer un sujet par une conjonction de coordination! Nous sommes au début d’un paragraphe, pourquoi commencer par « ET »? 

Question à laquelle Rashi répond: « Partout où il est écrit : élè (« ceux-ci sont »), le texte implique une rupture avec ce qui précède. Et lorsqu’il est écrit : veélè (« et ceux-ci sont »), il implique un ajout à ce qui précède. De même que ce qui précède a été proclamé au Sinaï, de même « celles-ci » ont-elles été proclamées au Sinaï. Et pourquoi les lois civiles font-elles immédiatement suite à celles relatives à l’autel ? Pour te dire que tu devras installer le Sanhèdrin près du sanctuaire (Chemoth raba). »

Pour Rashi, nous devons lire ce texte dans la continuité de la Paracha précédente et il existe un lien logique entre les sujets qui sont juxtaposés… La suite du Sinaï, ce sont toutes les lois qui seront développées, toute les Mitsvot. 

Rashi répond ici d’emblée à ceux qui veulent bien adopter l’esprit de la Torah, ses grands principes auxquels on ne peut qu’adhérer, et la lettre dont les multiples détails peuvent nous sembler sans importance, voire même superflus… Qu’est ce que cela change si je fais rentrer Chabbat à 17H29 ou à 18h? En quoi saler un peu la viande va changer la face du monde? Et pourquoi les hommes doivent mettre des boitiers carrés sur le bras et la tête tous les matins? Et si cela est si important, pourquoi les femmes ne le font pas?

Nous nous sommes quittés la semaine dernière au pied du Mont Sinaï, un peu sonnés par cette révélation extraordinaire et bouleversante. Une sorte d’expérience psychédélique en même temps qu’intellectuelle. Avec les 10 commandements, des valeurs fondamentales sont révélées à l’humanité. Et d’ailleurs elles vont marquer à jamais notre civilisation, qui en grande partie se fonde sur ces valeurs suprêmes…  Mais comment faire le lien entre les principes grandiloquents et la réalité du quotidien? Comment conserver le sentiment grandiose du Sinaï et l’importer dans la vraie vie? Comment on redescend de la montagne?

C’est Michpatim qui nous le dit: le judaïsme ce ne sont pas que des grands principes mais ce sont des actions au quotidien, c’est une attention portée à chaque détail de la vie jusqu’à son niveau le plus matériel. Le lien, c’est l’impérative cohérence entre les beaux discours et la vraie vie. 

Le Rabbi de Loubavitch ( Hitvaadouyot 5749, Vol II, P. 307), relève que la Paracha Yitro, celle du Don de la Torah,  est la 17ème de la Torah; 17 étant la valeur numérique du mot « Tov », bien, parce que « Il n’y a de Bien que la Torah ». Michpatim, qui traîte de l’application concrète des lois de la Torah est la 18ème Paracha, valeur numérique du mot «’Haï », vivant: la Torah n’est pas qu’un Bien spirituel et abstrait, mais elle conditionne même notre vie matérielle. 

Entre les grands principes, les rêves de grandeur et la petitesse de la vie quotidienne, nous avons les Mitsvot. Un mode d’emploi donné par Celui qui a créé le Monde et qui nous a créés pour faire le lien entre la Terre et le Ciel. Comme dans le rêve de Jacob où l’échelle, c’est lui, c’est l’homme qui agit, c’est ce Vav, trait vertical qui fait le trait d’union entre les mondes. 

Donc Michpatim nous donne un aperçu détaillé de la manière dont on maintient ce lien permanent. Cela ne se passe pas dans les grandes déclarations d’intention, ni dans les réunions théologiques ou philosophiques. Ni dans une méditation ascète. Mais dans un comportement quotidien. Dans le souci de la sensibilité de ceux qui sont faibles. Dans les moindres détails du rapport à l’argent, à la propriété. Dans notre façon de parler, de prier, de fêter. 

Rashbam, le petit-fils de Rashi quoi vécut au XIIème siècle à Ramerupt et Rouen, résume bien la suprématie de la Halakha sur l’étude logique et intellectuelle du Texte: « Toute personne dotée d’intelligence devrait savoir que mon but n’est pas d’expliquer les règles halakhiques dans le cadre de mon commentaire, ce que j’ai déjà mentionné dans mon commentaire au début de Parachat Vayeshev. J’ai expliqué que de nombreuses règles de ce type sont suggérées par des variantes d’orthographe dans le texte, des mots manquants ou des mots superflus. Beaucoup d’entre eux ont été abordés dans le commentaire sur la Torah par mon grand-père Rashi de mémoire bénie. Je me suis fixé pour tâche d’expliquer seulement le sens clair du texte tel qu’il est devant nous. Quand j’explique une loi, je le fais dans le contexte de sa contribution au comportement civilisé, Derekh Erets. Malgré mes explications, lorsqu’elles entrent en conflit avec les règles halakhiques, celles-ci sont suprêmes. »

Tout cela, parce que, nous dit le Rabbi de Loubavitch (Likouté Si’hot Vol. XVI, p. 243) se fondant sur le Midrash Rabba: « le but du Don de la Torah était d’abolir la séparation entre les mondes « supérieurs » et « inférieurs » (entre le matériel et le spirituel). Et de faire le lien entre eux. 

Cette union entre les mondes « supérieurs » et les mondes « inférieurs » s’exprime dans les deux sens: « les supérieurs sont descendus dans les inférieurs » et les « inférieurs montent vers les supérieurs » (…) »

Dans le mouvement du haut vers le bas, et c’est ce qui se passe au Don de la Torah, le saint et le spirituel pourront apparaître et se révéler dans le monde ici bas, mais leur influence ne sera pas encore essentielle. Mais à travers le mouvement du bas vers le haut, dans le mouvement ascensionnel de l’homme -et c’est ce que nous retrouvons dans Michpatim- le monde terrestre peut changer, s’élever et se sanctifier. 

L’extraordinaire révélation du Sinaï est le premier mouvement de l’union; elle suscite la crainte et la soumission. Mais en même temps, elle est si impressionnante qu’elle n’a pas le pouvoir de modifier la réalité et de transformer le monde radicalement. 

Le second mouvement de l’union,  Michpatim, avec ses lois qui parlent de la vraie vie et semblent en émaner constituent une expression du fait que la sainteté divine pénètre dans le monde et l’influence, de manière à ce que le matériel s’élève et se sanctifie. 

Et c’est ainsi que ce double mouvement crée une réalité nouvelle, une union parfaite: 

« L’intention du Don de la Torah, c’est qu’il soit fait une union parfaite entre le haut et le bas, c’est à dire que la Torah divine pénètre dans les facultés de l’âme de l’homme, et que ce ne soit pas juste une obéissance soumise du respect des Mitsvot par le corps. Quand un homme se fatigue avec son intellect pour comprendre un sujet de la Torah, la Torah de D.ieu devient sa Torah à lui, elle devient sienne. Et par ce biais, il devient une réalité unie avec la Sagesse divine dans une union parfaite » (Likouté Si’hot Vol. XIX, p.6)

On pourrait s’arrêter là, à la première lettre du verset… Mais la suite continue à expliquer le lien. Et juste pour en donner une petite idée…

La soumission à la Halakha est aussi ce qui fait le lien entre les juifs, dans le temps et dans l’espace. En dépit des coutumes et des variations dans la Halakha, ce qui lie un Sage du Talmud il y a 2000 ans, un juif d’Espagne au Moyen-Age, un commerçant juif en Azerbaïdjan au XIXème siècle et le start-upper juif de la Silicon Valley, c’est que quand ils fêtent Souccot, ils utilisent le même Loulav et le même Etrog.

Le secret de la pérennité de ce lien se trouve ici, dans la suite du verset: « que tu placeras devant eux ». Le rôle des enseignants, des éducateurs, des maîtres, des juges, de ceux qui transmettent la Loi à tous les niveaux est la clé :  « Le Saint béni soit-Il a dit à Mochè : « Ne t’imagine pas qu’il puisse te suffire de leur enseigner un chapitre ou une loi deux ou trois fois jusqu’à ce qu’ils les connaissent dans leur mot à mot, sans devoir t’astreindre à leur en faire comprendre les raisons et la signification ! » Voilà pourquoi il est écrit : « que tu placeras devant eux », c’est-à-dire comme une table dressée, prête pour celui qui s’installe pour y manger. »

Ce sont les mots de Rashi, et ils sont particulièrement édifiants: l’enseignant doit faire le lien; il ne peut se contenter de présenter les choses à ses élèves: il doit s’assurer qu’ils ont bien compris les tenants et les aboutissants. Il doit traduire son message dans le langage de son époque et de son auditoire.  Il doit faire un travail pédagogique et mâcher le travail, le simplifier, le présenter comme une « table dressée », que ce soit bon et appétissant, bien présenté et accessible. Rashi au XIème siècle, utilise cette expression « Shoul’han Aroukh », qui sera reprise au 5 siècles plus tard par Rabbi Yossef Karo pour nommer son Code de la Loi Juive…

Et l’exigence, c’est que les Michpatim ne soient pas l’apanoge d’une élite intellectuelle. C’est ce qu’explique le Or ha’Haïm:

«La vérité est que chaque juif doit connaître tous les aspects de la Torah. Cependant, on peut penser tant que des érudits de la Torah connaissent tous les commandements et peuvent être consultés lorsque le besoin s’en fait sentir, tout est sous contrôle. Quand D.ieu dit « que tu placeras devant eux », cela signifie que tout le monde devrait connaître les lois énumérées ici. Comment une personne effectuant un achat peut-elle savoir si cet achat est légalement valide sans s’être d’abord familiarisé avec les lois en matière d’acquisitions? La personne qui avait été vendue ne connaîtrait pas ses droits à la liberté après un certain nombre d’années à moins d’avoir étudié la partie adéquate de la Torah. La raison pour laquelle la Torah continue au verset deux avec un discours direct, c’est-à-dire « lorsque vous achetez un esclave » au lieu de « quand quelqu’un achète un esclave, etc. » souligne l’importance que la Torah attache à ce que l’acheteur connaisse cette législation. »

Oui, « nul n’est censé ignorer la Loi » mais en même temps, « on ne peut laisser personne ignorer la Loi ». La société juive se construit sur ce principe, dans une responsabilisation de chacun face à la connaissance et dans l’obligation qui est faite à ceux qui savent de partager et de transmettre la Torah, et toute la Torah. Parce qu’elle est une révélation verticale dans laquelle le mouvement se doit d’être à double-sens, le processus d’apprentissage est aussi un mouvement et une obligation double…

Voilà certainement une méthode dans laquelle la coordination verticale, le « Vav de l’Union » permet à chacun de faire que les grandes idées ne restent pas de vains mots, et par une attention aux détails les plus concrets, se transcender et sublimer sa vie et son monde…

Chabbat Chalom

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Sarah Weizman

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