Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Bo / Le message caché de la face visible de la Lune

B

Comment vous dire…? Sans vouloir paraître grandiloquente, comment exprimer la fébrilité que l’on ressent devant la Paracha de cette semaine? L’anniversaire de la naissance de notre peuple. La réalisation d’une promesse vieille de 400 ans. L’histoire de l’humanité à jamais bouleversée… 

Et par quel bout aborder ce sujet? Tant de principes fondamentaux se bousculent ici qu’on voudrait pouvoir tous les embrasser en même temps… Mais il faut bien faire un choix, et encore une fois, l’actualité nous aide à trancher.

Il y a une semaine, un nouvel exploit était réalisé dans la conquête spatiale: la Chine réussissait le premier alunissage d’un module d’exploration sur la face cachée de la la Lune, l’hémisphère de la Lune qui est toujours tourné dos à la Terre. Cette face de la Lune, nous ne pouvons jamais la voir, et si nous avons quelques clichés pris par des missions spatiales antérieures, elle nous reste encore grandement mystérieuse…. 

Chang’e 4 (c’est le nom du module chinois) nous éclairera peut-être sur cette face cachée, mais en attendant, dans notre Paracha, c’est la face visible qui nous interpelle… 

Plusieurs questions se bousculent à la lecture de Bo. Rappelons-le: nous sommes en Egypte. Pharaon, depuis des mois en négociation avec Moché et Aharon s’endurcit, et malgré les 9 plaies qui déjà se sont abattues à un rythme soutenu sur son pays, il ne cède pas. Mais le temps presse. L’échéance de la libération arrive, les 400 ans prévus dans l’Alliance avec Avraham arrivent à leur terme, et D.ieu va réaliser sa promesse. 

Au milieu de tous les bouleversements que connait l’Egypte, d’un système qui s’effondre, Il parle à Moché et lui demande de préparer les hébreux à devenir un peuple. Nous sommes vraiment en plein travail d’accouchement, dans les dernières contractions avant la Délivrance. Et comment se prépare-t-on à devenir libre? Comment nait-on à la vie et à soi-même? 

« Ce mois-ci est pour vous le commencement des mois; il sera pour vous le premier des mois de l’année » (Chemot XII, 2)

En préambule à la libération, il y a le commandement divin de fixer et de bénir les mois. Pourquoi donc cet acte particulièrement? Pourquoi la première Mitsva de D.ieu au peuple juif naissant est-elle celle de la fixation du calendrier selon le cycle lunaire? 

Ce choix n’est certainement pas anodin… La Torah, qui est avant tout, comme son nom l’indique (Torah vient de Horaah) un livre d’enseignement, aurait même pu commencer par ce verset, nous avait dit Rashi dès le premier verset de Berechit! Puisque c’est la première Mitsva que D.ieu ordonne à Israel, la Torah aurait dû s’ouvrir sur elle! 

Qu’est ce que la Lune et notre rapport à elle ont de si fondamental pour que ce soit le premier acte fondateur de notre peuple? Pourquoi le passage de l’esclavage à la liberté est-il corrélé à cet astre? 

On pourrait répondre qu’il fallait bien connaître le début du mois pour savoir quand se préparer à la dernière plaie et prendre l’agneau qu’on offrirait en sacrifice le 14 Nissan. Mais il aurait suffi d’une indication plus prosaïque, « dans 10 jours prenez un agneau » pour atteindre ce but… Qu’y a t il de si particulier dans cette Mitsva pour qu’elle soit la première des Mitsvot, et pourquoi est-elle dite précisément à ce moment, et avec tant de précision que le Midrash nous raconte que D.ieu, pour bien signifier à Moché à quel moment le mois commence, lui en fit la démonstration concrète en lui présentant la nouvelle lune dans le ciel ?! 

Rabbi Obadia Sforno, le célèbre exégète italien du XVIème siècle, relève dans notre verset la précision du mot « pour vous »: « Dorénavant, les mois vous appartiendront pour en faire ce que vous voudrez. En tant qu’esclaves, vos jours ne vous appartenaient pas et étaient voués au service et au bon vouloir des autres. C’est pourquoi, c’est pour vous le premier des mois, car c’est alors qu’a commencé votre existence d’hommes libres de leurs choix ». 

Voilà donc une explication puissante: l’homme libre c’est celui qui peut disposer de son temps! Mais pour aller plus loin, on peut se dire que la libération d’Egypte aurait automatiquement acquis au peuple cette liberté. Pourquoi fallait-il en faire un commandement divin? 

Il me semble que répondre à cette question nous permet d’appréhender un peu ce que signifie la liberté dans le judaïsme… L’histoire du monde est jalonnée de guerres, de révoltes et de révolutions au nom de la liberté. L’éradication du pouvoir en place se célèbre par des cris de joie, des fêtes nationales. On renverse les statuts des dictateurs, on rebaptise les villes et les rues, on tire des jeux d’artifices. Mais l’Histoire est aussi remplie d’expériences où ceux-là même qui se rebellaient pour se secouer du joug de leurs oppresseurs créaient à sa place un nouveau système pervers. Se battre pour la liberté, oui! Mais pour en faire quoi, de cette liberté? 

La libération du peuple juif d’Egypte est la matrice de toutes les libertés. Le Printemps de tous les Printemps. Avant elle, on naissait et on mourrait dans un déterminisme social et de classe absolu. En Egypte, on était esclave de père en fils. La Sortie d’Egypte, c’est ce qui a démontré au monde qu’il était possible de casser les chaînes de l’esclavage et du déterminisme. 

Mais comment s’assurer que ceux qui sont libérés seront et resteront libres? Qu’ils ne s’enfermeront pas dans un nouvel asservissement? 

Toute la Paracha est traversée par ce souci: avant même d’être libérés, ou plutôt intrinsèquement au processus de libération, D.ieu prépare, éduque et crée des ancrages pour que la liberté une fois acquise soit pleine de sens

Le Rav Ari D. Kahn, dont les commentaires sur la Paracha sont toujours d’une grande finesse (je vous recommande son ouvrage traduit en français, « Explorations ») cite le Rav Yossef Dov Soloveitchik, (un peu dans le sillage de Sforno), qui répondait ainsi à notre question: « comme esclaves, les juifs en Egypte avaient perdu la notion du temps. Ils devaient acquérir cette notion pour être vraiment libérés et ainsi être transformés d’objets en hommes libres. Le concept du temps, mieux encore la possibilité de légiférer le temps était une étape indispensable pour passer de l’esclavage à la liberté ». 

Parce qu’il est plus facile de faire sortir un juif d’exil que de faire sortir l’exil d’un juif, selon le dicton, la première rencontre du peuple d’Israel avec D.ieu est une rencontre avec le temps. Et ce temps, pour le maîtriser, il faut en référer à la Lune.

Pour les Égyptiens, le Dieu suprême c’était Ra’a le Dieu Soleil; symbole de la nature immuable et du déterminisme dont on ne sort jamais. Mais pour sortir d’Egypte, il faut se placer sous un autre symbole: celui de la Lune, du mois, du ‘Hodech. En hébreu, ce mot est à rapprocher de ‘hadach, du renouveau. La Lune est changeante, insaisissable. Elle renvoie à la notion de cycle, de renouveau. Elle disparaît pour toujours réapparaitre. Et dans la longue nuit de l’esclavage égyptien, D.ieu initie le peuple à la liberté en lui demandant de lever les yeux et de regarder la lune: il y a toujours une lumière qui peut apparaître et cet espoir permet de tenir. Même les pieds dans la boue, lever la tête vers la lune permet de s’élever au dessus de la condition présente et de vivre avec l’espoir de temps meilleurs… 

Le Rabbi de Loubavitch (Likouté Si’hot Vol. XVII, p. 149) voit dans cette Mitsva un changement de paradigme. Au début était la création du monde, marquée en Tichri par le Nouvel an. Un monde mû par les lois de la nature. Mais quand Yaakov et ses enfants, le peuple d’Israel, émergent dans l’Histoire, le Nouvel an est Nissan. Et cela suit une certaine logique: le mois de Nissan est le premier des mois qui sont fixés selon le cycle de la Lune, alors que le mois de Tichri est le Nouvel an pour le compte des années qui sont fixées sur le cycle solaire… Le côté immuable du soleil, c’est Tichri, un monde régi par des lois naturelles. Mais avec la libération d’Egypte apparaît dans le monde la possibilité de briser la prédestination; c’est le temps de la Lune, du miracle, du renouvellement perpétuel…

Cette vision accompagnera et conditionnera le destin du peuple d’Israel dès sa naissance: « Ce ‘Hodech (mois)-ci est pour vous: vous posséderez la capacité de vous renouveler, vous pourrez innover aussi bien dans la Torah que dans vos actions, c’est cette force que D.ieu donne à Israël » (Commentaire du Mei haShiloa’h, l’Admour Morde’hai Yossef Leiner de Izbitze qui vécut au XIXème siècle et qui inspira grandement Shlomo Carlebach…)

Cette capacité à innover, le peuple juif en fera la preuve tout au long de son histoire. La production intellectuelle juive, qu’elle concerne les enseignements de la Torah ou la recherche de solutions innovantes sur les plans techniques et scientifiques; le nombre record de prix Nobel juifs, trouve peut être ici son secret…

Alors comment se pratique cette Mitsva? 

En fait, le calendrier hébraïque est fixé depuis fort longtemps en fonction de calculs astronomiques dont l’exactitude suscite encore la fascination des scientifiques. Mais tous les mois, nous lisons la Bénédiction de la Lune, le plus souvent à la sortie de Chabbat en début de mois… Le rituel du Kiddouch Levana est institué depuis l’époque talmudique et je ne rentrerai pas ici dans les détails …tout simplement parce qu’en tant que femme, j’en suis dispensée! Non pas que je me désintéresse de ce qui ne m’est pas obligatoire, loin de là! Mais plutôt parce que justement, ce qui m’intrigue, c’est pourquoi les femmes n’y sont pas astreintes… 

Parce que si il y en a qui sont concernées par la Lune, ce sont bien les femmes. Elles vivent au rythme de cycles, les menstruations (qui vient du mot latin mensis « mois » (proche du grec mene, la lune) qui évoque une parenté avec les cycles lunaires mensuels (Merci Wikipédia!).

La cyclicité et le renouvellement du temps sont donc des notions qui sont inscrites dans le corps de la femme. C’est peut être la raison pour laquelle elle n’a pas besoin de ce rappel par la Mitsva, c’est une conscience avec laquelle elle vit au quotidien…  

Mais au-delà de tout cela, la Lune, c’est aussi une histoire qui dure depuis la création du Monde. Alors, le Soleil et la Lune éclairaient pareillement; mais la Lune dit à D.ieu qu’il n’était pas juste que deux monarques règnent en même temps, et D.ieu réduisit sa taille et la rendit dépendante de la lumière du soleil. Devant sa peine suite à sa diminution, D.ieu lui fit plusieurs promesses, nous raconte le Midrash. Notamment, qu’à l’époque messianique, « la nuit éclairera comme le jour » (Tehillim CXXXIX,12). La nuit, avec ce qu’elle porte en elle de danger et d’angoisse, ne sera plus obscure.  

Le règne du Soleil, c’est celui des valeurs masculines sur la civilisation. Les valeurs « lunaires » (pas lunatiques, surtout! ) de la féminité sont plus discrètes. Pourtant, ce sont elles qui éclairent dans la nuit. Ce sont elles qui sont porteuses de l’espoir. Et ce sont elles qui éclateront dans la période messianique. 

Le prophète Jérémie, annonçant les temps futurs, s’adresse justement à la dimension féminine: « Jusques à quand te déroberas-tu de côté et d’autre, fille désordonnée? Assurément l’Eternel crée une nouveauté (´hadacha) sur terre: la femme entourant l’homme! (Jérémie XXXI, 21)

Voilà donc la société vers laquelle tend le projet du judaïsme: la femme n’est pas la créature faible qui a besoin d’être protégée, mais ce qu’elle incarne entoure l’homme, le protège. Dans le Etz ‘Haim du Rav ‘Haim Vital (XVIeme siècle) est exposé la destinée de la Création selon le Ari zal. Pour lui, l’histoire se meut comme la Lune, avec ses phases croissantes et décroissantes. Pour le Ari, l’épopée de l’humanité est l’histoire de l’attribut de Mal’hout, la Sfira féminine par excellence qui au fur et à mesure quittera son statut secondaire pour exprimer une identité indépendante égale à celle du masculin. Il n’y a pas de doute que nous sommes dans cette évolution… Comment exprimons-nous cette identité féminine dans l’esprit du judaïsme? C’est tout l’enjeu de notre époque… 

Juste avant de sortir d’Egypte, quand l’obscurité qui précède l’aube est la plus profonde, quand la liberté n’est encore qu’une promesse, D.ieu demande à son peuple de s’identifier au message de la Lune. Parce qu’un peuple qui est capable, du fin fond de son asservissement, de se projeter dans le futur et dans la liberté pourra surmonter tous les exils et tous les défis. 

Voilà donc comment, par la première Mitsva de la Torah, D.ieu amène le peuple juif à s’imprégner de ce qui fera sa force à tous les temps: être capable de percevoir ou même de vivre la Délivrance dans l’obscurité de la nuit, c’est être déjà dans le futur, libre….

C’est pour nous le message caché de la face visible de la Lune…en attendant qu’elle nous donne toute sa lumière!

Chabbat chalom!

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Sarah Weizman

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