Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vaéra / Le souffle court et le temps long…

V

Vaéra. Une des Parachiot préférées des institutrices de maternelle. Les 10 plaies, Pharaon, Moché, les grenouilles et les bêtes sauvages. En même temps, grande confusion dans l’esprit des petits, si bien que ma fille m’a dit hier « mais pourquoi tu racontes ça maintenant, on n’est pas encore Pessah?! »

Mais ce ne sont pas que les épisodes des 7 premières plaies qui sont évoqués dans notre Paracha… Ce qui s’y joue, c’est la sortie d’Egypte. C’est le dénouement de tout ce qui s’est mis en place depuis la promesse de D.ieu à Abraham que sa descendance serait étrangère et asservie dans une terre étrangère, qu’elle en sortirait 400 ans plus tard avec de grandes richesses et prendrait enfin pleinement possession de la Terre de Canaan… On y est enfin… 

Comment donc le processus de libération a-t-il pu se mettre en place? 

Parce qu’au fond, il fallait qu’il y ait deux mouvements simultanés qui mènent à la délivrance: d’un côté, que Pharaon laisse partir ce peuple. Et de l’autre, que le peuple désire et soit à même de partir. Sortir d’Egypte ne peut être juste un acte passif, le passage d’une condition à une autre. La liberté nécessite une volonté proactive… 

Vaéra s’ouvre donc sur un dialogue. Pour être plus précise, c’est la continuité d’une discussion initiée à la fin de Chemot. A la suite des premiers échanges entre Moché et Pharaon, la situation s’était considérablement dégradée. Pharaon avait opposé une fin de non-recevoir aux demandes divines, les enfants d’Israel étaient plus asservis que jamais; s’ils avaient eu ne cessait-ce même qu’une lueur d’espoir, elle était bien éteinte désormais! Et Moché, qui n’était déjà pas convaincu d’être l’émissaire le plus approprié, se sentait encore moins légitime après cet échec et avait dit: « Mon Dieu, pourquoi as-tu fait du mal à ce peuple? Dans quel but m’avais-tu donc envoyé? Depuis que je me suis présenté à Pharaon pour parler en ton nom, le sort de ce peuple a empiré, bien loin que tu aies sauvé ton peuple! » (Chemot V, 22-23)

Alors D.ieu répond. Et Sa réponse est en quelque sorte une » demande à Moché de se ressaisir. Il lui dit: « C’est à présent que tu seras témoin de ce que je veux faire à Pharaon. Forcé par une main puissante, il les laissera partir; d’une main puissante, lui-même les renverra de son pays ». (Chemot VI, 1)

C’est sur cette annonce que nous nous étions quittés la semaine dernière. Cette semaine, nous passons à la vitesse supérieure. Hachem ne veut plus de tergiversations, de la part d’aucun des protagonistes. C’est pourquoi le ton change, comme le note Rashi dès le début de la Paracha: jusque là, les adresses de D.ieu à Moché étaient introduites par « Vayomer », « il dit », un langage doux. Là, c’est « Vayedaber »: « Il a instruit son procès (voir II Melakhim 25, 6) pour s’être exprimé en termes durs lorsqu’il lui avait demandé : « Pourquoi as-tu fait du mal à ce peuple ? » (supra 5, 22). »

Et D.ieu rappelle à Moché qu’Il est un D.ieu fidèle, qui tient ses promesses. Dans un passage que nous devrions connaître par coeur tant il est mythique, celui où sont formulés et annoncés les « quatre langages de la délivrance », les quatre niveaux de la délivrance d’Egypte et de toutes celles à venir, Hachem renforce Moché. Il lui demande de rappeler aux enfants d’Israel qu’ils s’inscrivent dans une histoire qui est plus grande qu’eux, et qu’en s’y attachant, ils s’extrairont de l’Egypte extérieure et de leur Egypte intérieure….

Mais, et c’est là que je veux en venir, ce message ne passe pas:

« Moché redit ces paroles aux enfants d’Israël mais ils ne l’écoutèrent point, à cause du « Kotser roua’h » et du travail difficile »

Chemot IX, 6

Kotser Roua’h, souffle court…

D.ieu fait donc des annonces extraordinaires mais le peuple ne peut les entendre à cause de la difficulté de la servitude et du « Kotser roua’h ». Ce terme, que j’ai du mal à traduire en français, est interprété littéralement par Rashi: « le souffle court: « Celui qui se trouve en état de détresse, son souffle est court, sa respiration haletante, et il n’arrive pas à prendre de longues inspirations. »

Les grands rêves et les beaux discours ne sont pas opérants sur une personne qui se trouve dans une détresse physique et morale. Evidemment, on comprend cela pour nos ancêtres en Egypte: en quoi le discours de Moché est-il audible quand on est au fin fond de la misère et de la détresse? Les commentateurs sont nombreux à essayer de comprendre les sources du barrage psychologique qu’opposent les enfants d’Israel à l’espoir. Est-ce un manque de confiance et de foi en D.ieu? Non, répond Nahmanide, c’est juste qu’ils ne pouvaient même pas tendre l’oreille pour écouter ces paroles, tant ils étaient stressés et avaient le souffle coupé par la charge de travail

Ou encore Ibn Ezra, qui, lui, parle de « kotser roua’h » dans le sens d’ « impatience », l’exil étant si long qu’ils en deviennent fermés à tout espoir… 

Le Rabbin Jonathan Sacks analyse ce blocage faisant un parallèle avec la Pyramide de Maslow. Quand ses besoins fondamentaux ne sont pas assurés, l’homme ne peut s’attacher aux degrés supérieurs de la pyramide. Dans un univers insécure, l’homme ne peut même penser à la liberté ou adhérer à de grandes idées… 

Le Malbim va plus loin dans l’analyse psychologique. Le texte parle ici de la difficulté de la servitude, physique, et du « Kotser roua’h », qui renvoie à un asservissement mental. Parfois, explique le Malbim, avoir un « souffle long » permet de dominer la souffrance physique et de dépasser les conditions matérielles difficiles. Mais là, le message d’espoir ne pouvait passer parce que moralement, ils n’y arrivaient plus. 

Cet état de « souffle court » nous l’expérimentons aussi au quotidien. C’est même une des explications principales du stress dans lequel nous sommes tous plongés… La plupart d’entre nous sommes « fatigués », « épuisés », « vidés », n’avons pas de « temps de respirer »… Et pourtant, en étant honnêtes, les conditions de travail et la difficulté physique des tâches du quotidien sont bien loin de ce quelles étaient aux générations précédentes; alors on parle de « charge mentale ». Tal Ben Shahar, le fameux professeur de Bonheur à Harvard, décrit ainsi dans « Choisir sa vie »: « Le souffle court est une réaction au stress incessant de la vie moderne: or il engendre à son tour de la tension, ce qui rend la respiration encore plus superficielle ».

Et il cite le psychologue américain Andrew Weil: « Si je devais adresser un seul et unique conseil à ceux qui veulent mieux vivre, je dirais simplement: apprenez à respirer comme il faut » . 

La respiration profonde est une technique de méditation très efficace qui permet de s’ancrer dans sa vie et d’entendre réellement ce qui se passe en nous et autour de nous. 

Ce qui nous empêche d’y accéder, c’est que comme nous sommes en apnée, accablés sous nos charges, nous essayons de parer au plus pressé… Mais s’il est vrai que pour trouver des solutions rapides à des problèmes techniques du quotidien, nous pouvons aller vite, il est bien plus difficile de changer profondément… 

C’est toujours Tal Ben Shahar qui rapproche les termes hébreux « sevel » (souffrance) de « sibolet » (constance) et de « savlanout » (patience).  Pour moi, cela fait un écho direct au premier des quatre langages de la libération qui nous dit: « Je vous ferai sortir des « sivlot » (fardeaux) de l’Égypte ». (Chemot VI,6)

« Pour évoluer positivement, de manière enrichissante, il faut acquérir ces deux dernières qualités, et parfois cela implique de souffrir. S’attendre à changer vite et sans effort, c’est le plus sûr moyen d’être déçu et contrarié ». 

Tal ben Sahara, Choisir sa vie

Les leçons de psychologie positive sont toujours pleines d’espoir mais à vrai dire, on se dit souvent qu’elles ne fonctionnent que lorsqu’on est déjà plein d’entrain… 

Le Or ha’Haim semble aller un peu dans ce sens, en expliquant que le « Kotser Roua’h » qui empêchait les enfants d’Israël d’être réceptifs aux messages positifs, c’est « peut-être car ils n’étaient pas des hommes de Torah, car la Torah élargit le coeur de l’homme »: en quelque sorte, la Torah ouvre l’esprit et permet d’aborder les événements même les plus douloureux avec un souffle plus long… Mais à ce stade de l’histoire, les Enfants d’Israel n’ont pas encore reçu la Torah. Plus tard, ils en seront armés et pourront faire face à des situations de détresse avec plus de hauteur; pour l’heure, D.ieu va les prendre avec douceur et les amener, peu à peu, vers le désir de liberté… 

Face à l’autisme des enfants d’Israel et au découragement de Moché, D.ieu a donc un discours offensif et des solutions concrètes… 

Les solutions

C’est Gersonide (Rabbi Levi ben Guershon, qui vécut au XIVème dans le Midi de la  France) qui apporte un éclairage intéressant à notre problématique… Pour lui, ce n’est pas le discours qui est inaudible mais c’est l’intermédiaire, Moché: c’est à cause du « Kotser Roua’h «  de Moché, de son incapacité à faire passer son message de manière ordonnée et claire. Moché a quelque part échoué à leur « vendre » le rêve, l’espoir et la promesse divine car il était « trop isolé dans la méditation de son appréhension des concepts divins »… Il était dans les sphères supérieures et n’a pas su leur parler un langage qu’ils comprenaient. C’est pourquoi, immédiatement, Hachem résoud cela: « Alors l’Éternel parla à Moché et à Aharon; il leur donna des ordres pour les enfants d’Israël et pour Pharaon, roi d’Égypte, afin de faire sortir les enfants d’Israël du pays d’Égypte ». Et Rashi: « Etant donné que Moché venait de dire : « et moi je suis incirconcis des lèvres », le Saint béni soit-Il lui adjoint Aharon pour qu’il lui serve de bouche et d’interprète. »

Aharon sera le porte-parole de Moché. Les grands messages des grands hommes ne passent peut-être pas facilement; il est plus facile de vendre des idées faciles, des produits finis. Moché aurait pu édulcorer les choses, faire des promesses vagues et intenables… Mais les belles idées demandent plus de temps… On ne peut en faire l’économie.

Cette question du discours du chef me rappelle un très beau film, « Le discours d’un roi » qui, fondé sur la réalité, raconte comment le Roi Georges VI d’Angleterre, le père de la Reine Elisabeth, qui souffrait de bégaiement a réussi à force de travail et grâce à un thérapeute du langage exceptionnel, à surmonter son défaut et surtout, à pouvoir parler à son peuple pour lui insuffler la force de se battre contre l’Allemagne nazie. Ce personnage avait saisi que la clé de son règne tenait dans sa capacité à communiquer avec son peuple… 

Ce challenge, tous les dirigeants y sont confrontés. Nous voyons bien comment, au milieu de l’agitation sociale qui anime ces derniers mois, le Président Macron a du mal à faire entendre son discours. A chaque fois qu’il prend la parole, les instituts de sondages se précipitent auprès de leurs échantillons pour mesurer si le discours a convaincu… 

Je me garderai bien de donner des conseils ou des analyses sur ce sujet… Mais nous avons, dans notre Paracha, au coeur de la mise en route du processus de libération, dans ses premiers balbutiements, la recherche d’une communication qui crée une relation de confiance pour enfin, donner confiance, espoir et volonté en des jours meilleurs. C’est pourquoi, D.ieu ici coupe court à l’argumentaire de Moché et à ses états-d’âme: « il leur ordonna pour les enfants d’Israel et pour Pharaon »: face au dialogue bloqué, ils ont l’ordre de faire passer le message de D.ieu aux enfants d’Israel et envers Pharaon. Envers Pharaon, ils devront faire preuve de respect. Et envers les enfants d’Israel, nous dit Rashi, « Il leur a ordonné de les conduire avec douceur et « lisbol » (encore ce mot!) de leur témoigner de la patience. » (Chemot, VI, 13) 

Face au « Kotser Roua’h » de leurs interlocuteurs, Moché et Aharon devront redoubler de patience…et rester droit dans leur discours de vérité. 

Mais au-delà du discours, Hachem va apporter des solutions concrètes: le peuple tout à sa souffrance ne pourra s’en sortir seul. Il donne donc une réponse à court terme. Il envoie les 10 plaies. A mesure que les plaies s’abattent sur l’Egypte, les Enfants d’Israel entrevoient de nouvelles possibilités. L’asservissement s’allège, ils réintègrent peu à peu leur dignité d’hommes et ils peuvent se projeter vers autre chose. Progressivement, le discours des « Quatre langages de la liberté » va pénétrer en eux et ils vont s’en saisir et le revendiquer. C’est ce peuple là qui pourra sortir d’Egypte…  

Pour que, en dépit de la charge mentale, des sollicitations stressantes, de la tentation des raccourcis, des simplifications et des caricatures, pour que même si le temps semble long on ne s’empêche pas de penser sur un temps long, pour que le peuple, tout le peuple, pas que son élite, soit capable de voir plus loin, plus profond, plus fort, il faut tenir compte de son impatience et de sa difficulté, mais aussi, il faut être ambitieux pour tous et chacun. La Torah aide; elle ouvre les perpectives. Et le discours que l’on donne aux autres et à soi-même doit être à la hauteur, adapté, audible, respectueux, cohérent et concret. 

Et cela est aussi vrai à notre niveau: pour reprendre le Baal Hatanya (début du chap 47) « Dans chaque génération et chaque jour tout homme doit se considérer comme si ce jour il sortait d’Egypte »; la sortie d’Egypte, de l’Egypte personnelle faite des limites et des entraves que chacun ressent dans sa vie est un impératif quotidien, un travail continu… 

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Sarah Weizman

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