Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Chemot / Onomastique

C

Chemot. Des noms. C’est ce qu’étaient nos ancêtres en arrivant en Egypte. Ils en sortiront un grand peuple, promis à une mission qui traversera le temps et l’espace. 

Mais au début étaient des noms. Un nom bien curieux pour une Paracha, même pour le livre entier de Chemot. Le lecteur français a d’ailleurs bien du mal à faire le lien avec le nom français de ce deuxième livre du Pentateuque, l’Exode. Dénomination qui, à premier abord, nous semble bien plus convenir au thème principal de ce livre, la sortie d’Egypte et les premiers pas du peuple d’Israel dans le désert. 

Alors pourquoi « Chemot », des noms? 

La première réponse, la plus évidente, c’est que c’est l’ouverture du texte: « Et voici les noms des enfants d’Israël qui sont venus en Egypte… » (Chemot I,1) 

Le livre de Chemot reprend l’énumération des fils de Yaakov venus en Egypte, recensement qui avait déjà été fait auparavant, mais ici, on revient sur les noms, selon Rashi, comme une marque d’affection de D.ieu envers eux. C’est aussi pour recadrer le contexte de notre livre: on part des 12 fils de Yaakov, et Chemot va nous raconter la naissance du peuple juif.

Et cette Paracha est riche en noms. Pas juste des listes de noms, mais des noms pleins de sens. A y bien réfléchir, le livre de Bereshit s’ouvrait aussi sur des noms et des nominations. D.ieu crée et nomme, Adam est appelé à exercer son intelligence en nommant les animaux et la première chose qu’il fait en découvrant sa partenaire pour la vie, c’est de la nommer. 

Le nom est ce qui fait exister la chose. Il lui donne une consistance; il est aussi censé refléter son essence la plus profonde, dans la Langue Sainte. Et c’est encore plus vrai pour les noms propres. 

Le Midrash Tan’houma à la Paracha Vayakel stipule: « Chaque homme porte trois noms: celui que lui donnent son père et sa mère, celui que lui donnent les autres hommes, et celui qu’il se fait lui-même. Le plus important de tous, c’est celui qu’il se fait lui-même! »

La poétesse israélienne Zelda Schneersohn (1914-1984) s’est certainement fondée sur ce Midrash pour produire un des poèmes les plus connus de la poésie israélienne, intitulé: « Chacun a un nom »:

Chacun a un nom 

Que lui a donné D.ieu

Et que lui ont donné son père et sa mère

Chacun a un nom

Que lui ont donné sa taille et sa manière de sourire

Que lui a donné son vêtement

Chacun a un nom

Que lui ont donné les montagnes 

Et que lui ont donné ses murs

Chacun a un nom 

Que lui ont donné les signes du zodiaque

Et que lui ont donné ses voisins

Chacun a un nom

Que lui ont donné ses péchés 

Et que lui ont donné ses désirs

Chacun a un nom

Que lui ont donné ses ennemis

Et que lui a donné son amour

Chacun a un nom

Que lui ont donné ses fêtes 

Et que lui a donné sa profession

Chacun a un nom

Que lui ont donné les saisons

Et que lui a donné sa cécité

Que lui a donné la mer

Et que lui a donné la mort. 

Le nom est donc ce qu’on reçoit à la naissance, il est ce qu’on est, ce qu’on devient, ce que les autres voient de nous et ce que nous faisons de nous-mêmes. 

L’onomastique est une branche de la lexicologie qui étudie les noms propres. Elle s’intéresse aussi aux anthroponymes, c’est à dire les noms de personnes, et aux aptonymes, (terme composé du mot apte « approprié », et du suffixe -onyme « nom »), des noms dont le sens est lié à la personne qui le porte. 

Dans notre Paracha, nous rencontrons deux personnages qui vous nous accompagner encore longtemps et dont il est interessant de découvrir le sens des noms. 

Le premier, c’est Pharaon, Paroh en hébreu. Le Ari zal dit que Paroh, c’est « pé ra », une mauvaise bouche. Pharaon tient un discours négatif; à chaque fois qu’il s’exprime, c’est pour utiliser son sens de la parole de manière destructrice: en diffamant, en manipulant l’opinion publique, en mentant, en promulguant des décrets meurtriers. C’est un personnage charismatique, plein d’éloquence et qui, en définitive, aura mené son empire à sa perte par la puissance de son discours démagogique. La réponse au discours dévastateur de ce despote et de tous ceux qui le suivront dans l’histoire, c’est Pessa’h: « pé sa’h »: la bouche qui parle. Un discours d’amour, de construction, de vérité. Une transmission entre les générations….

Celui qui va permettre de faire advenir cette transition, c’est Moché. Dont le choix du nom fait l’objet de nombreuses discussions entre les commentateurs. 

Nous savons que la naissance de Moché s’est déroulée dans des conditions aussi dramatiques que miraculeuses, et que dans un premier temps, il fut élevé par sa vraie mère, Yoheved. Mais « l’enfant devenu grand, elle le remit à la fille de Pharaon et il devint son fils; elle lui donna le nom de Moché, disant: « Parce que je l’ai retiré des eaux.«  (Chemot II,10).

Moché est donc nommé sur l’acte qui le sauva. Par qui? En première lecture, il nous semble que ce soit la fille de Pharaon qui le nomma ainsi. Et que son nom est donc d’origine égyptienne. Ainsi pour Ibn Ezra, son nom égyptien était Monius…  Mais Abravanel rejette cette idée avec force. Pour lui, c’est sa mère Yoheved qui l’a nommé, et c’est elle qui a fait le jeu de mot avec le verbe « Macha », disant qu’elle le nomme Moché parce qu’elle l’a « retiré » – sauvé, extrait– (« Mechitihou ») de l’eau. Ce verbe renvoie donc au miracle de la survie de Moché. Mais pas que… Moché est la forme active du verbe au présent: il retire. C’est ce qui fait dire à un autre commentateur, Sforno, qu’en le nommant ainsi, elle annonce qu’il sauvera les autres… Il les tirera de leur esclavage et les sauvera de la destruction. 

Mais pour l’heure, Moché grandit dans le palais de Pharaon. Il est éduqué comme un prince, est aimé de tous. Le Netsiv de Volozhin cite même un commentateur pour qui Moché en égyptien signifie « enfant », comme si Moché était ainsi nommé parce qu’il était « L’Enfant » royal par excellence, un titre par lequel le peuple tout entier le désignait. 

Mais Moché ne reste pas dans cet univers protégé. Il sort de sa zone de confort. Il s’extrait du palais royal et va voir ce qui se passe dehors. Très vite, Moché se montre digne de son prénom: 

« Or, en ce temps-là, Moché, ayant grandi, alla parmi ses frères et vit leurs fardeaux. »

Et Rashi: « Il vit leurs fardeaux: Il s’appliqua de tous ses yeux et de tout son cœur à souffrir avec eux [le vers rao (« voir ») s’employant avec une connotation de sympathie] (Beréchith raba). 

Pourquoi Moché est choisi par D.ieu pour être celui qui sauvera le peuple? Parce que, sauvé miraculeusement de la noyade décrétée par Pharaon, il aurait pu se lover dans les ors et la tranquillité de la vie d’un prince destiné aux plus hautes fonctions; mais il décide de se sortir de là, et de s’identifier « de tous ses yeux et de tout son coeur » au destin de ses frères. Non seulement il n’y reste pas indifférent, mais il se met en danger, il décide d’agir, il intervient pour mettre fin à l’injustice qui se déroule devant ses yeux. 

Même si sa première intervention semble se solder par un échec puisqu’il devra fuir l’Egypte à cause de cela, c’est cet acte fondateur qui, après une gestation de quelques années en exil, le prépare à endosser la mission de libérateur que D.ieu va lui enjoindre d’accepter dans notre Paracha. 

Pour Moché, le nom qu’il reçoit à la naissance est donc bien un aptonyme: celui que lui donne sa mère, que lui donnent ceux qui l’aiment, ceux qui le connaissent. C’est celui qui le meut quand il s’extrait de son univers protégé. C’est aussi le nom que D.ieu lui demande d’assumer pleinement quand il devient celui par qui se met en mouvement le processus de libération d’Israel. 

Et c’est finalement celui que l’histoire retiendra pour être un modèle de dirigeant dont l’interêt pour son peuple, son souci de le tirer de ses mauvaises passes resteront au centre de l’action. 

La suite de l’histoire en sera l’éclatante démonstration… 

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Sarah Weizman

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