Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayé’hi / La Bénédiction des berceaux

V

A Telz Stone, une village se situant à quelques encablures de Jerusalem ,se trouve une maison de convalescence pour les femmes qui viennent d’accoucher. Elles y séjournent avec leur bébé en sortant de l’hôpital pour se reposer avant de regagner leur foyer… Yankele Kroizer, un voisin de l’établissement, y organise les offices de Chabbat et des fêtes pour les habitants du quartier. Depuis quelques années, son Minyan connait une popularité exceptionnelle grâce à cela:

Le jour de Simhat Torah, dans toutes les synagogues, on conclut le cycle annuel de lecture de la Torah. Pour marquer cela, tous les hommes de la synagogue sont appelés à monter à la Torah. Mais il y a toujours un moment particulièrement magique, c’est celui où tous les enfants montent ensemble à la Torah. Dans de nombreuses synagogues, on étend alors au dessus d’eux un Talit, comme un dais au dessus de leurs têtes, et on récite le passage de la bénédiction de Yaakov à ses petits-fils, le Hamala’h Hagoel; d’où le nom de Aliyat Hanearim, «  la montée des enfants ». 

Le cliché que vos voyez ici a été pris un jour de Simhat Torah par un non juif. Un événement qui tire des larmes d’émotion à tous les participants… Ce sont des dizaines de bébés dans leurs berceaux, placés sous un Talit géant tendu au plafond, au moment de la « Aliyat Hanearim »… Yankele Kroizer prend alors la parole, et chaque année, il rappelle à quel point ce moment, c’est la revanche sur Hitler… 

Il est une autre coutume, très belle aussi, que les parents bénissent leurs enfants tous les vendredis soirs, en rentrant de la synagogue. La veille de Kippour, juste avant l’entrée du jeune, les pères bénissent leurs enfants, et c’est aussi la coutume que les parents bénissent leur enfant et leur futur gendre et belle fille le jour de leur mariage, juste avant qu’ils ne rentrent sous la Houppa….

La Bénédiction des enfants, toujours empreinte de beaucoup d’amour et d’émotion, trouve sa source dans notre Paracha. 

Vayé’hi est la fin d’un cycle. La Genèse du monde est enfin établie, et celle du peuple d’Israel en gestation s’est précisée. Yaakov va quitter ce monde et avec son départ se clôt la période des patriarches; désormais, ce sont les générations suivantes qui écriront l’histoire que eux ont initiée… 

Juste avant de rejoindre ses ancêtres, Yaakov bénit ses enfants. A tous, il va donner une bénédiction personnalisée. Mais avant cela, il fait appeler Yossef qui accourt avec ses fils, Ménaché et Ephraïm. Yaakov donne une bénédiction particulière à ses petits-fils, et c’est la première fois dans l’histoire de la Torah que nous voyons l’expression d’un lien direct entre un grand-père et ses petits-enfants.  Jusque là, il était surtout question de filiation directe, et de la question de la fraternité. 

Qu’est ce que Yaakov nous dit donc de la relation et de la transmission aux petits enfants? Pourquoi le lien grand-parent-petit enfant n’emerge que maintenant? Pourquoi s’exprime-t-il précisément avec Menache et Ephraim? Et pourquoi sous cette forme de bénédiction? 

Pourquoi donc les fils de Yossef sont ceux qui seront pris en modèles dans la bénédiction qui passera à la postérité des familles d’Israel?

Nous savons des chapitres précédents que Yaakov a été un véritable patriarche, entouré de ses enfants et de leur famille. Déjà, lorsque les frères ont dû prendre Binyamin pour retourner en Egypte, Reouven  voulut convaincre son père récalcitrant  en disant: « Fais mourir mes deux fils, si je ne te le ramène! Confie le à mes mains et je le ramènerai près de toi ». Ce à quoi, nous dit Rashi, son père, rétorqua:   « Mon fils aîné est stupide ! Il parle de faire mourir “ses” enfants ! Mais ses enfants ne sont-ils pas aussi les miens ? » (Bereshit raba 91, 9). 

Nous avons aussi pu apprendre du Midrash que c’est sa petite-fille Séra’h, la fille de Asher, qui lui annoncé en chantant que Yossef était encore vivant. 

Yaakov est donc un grand-père aimant envers ses petits-enfants, il les considère comme ses propres enfants. Et eux sont proches de lui… 

Les fils de Yossef, eux, n’ont pas grandi avec Yaacov. Ils sont nés loin de lui, loin de la Terre de Canaan et de la famille. Ils ont toujours vécu en terre d’exil, dans un environnement propice à l’assimilation: ils sont des privilégiés, fils du vice-roi, ils font partie de la jeunesse dorée et pourraient être complètement déconnectés de leur héritage paternel… 


Et pourtant, Yaakov rassure tout de suite Yossef: 

« Eh bien! Tes deux fils, qui te sont nés au pays d’Égypte avant que je vinsse auprès de toi en Égypte, deviennent les miens; non moins que Reouven et Chimon,  Éphraïm et Menaché seront à moi. »

Bereshit XLVIII, 5

Par cette déclaration, Yaakov confirme qu’il a eu l’occasion, depuis 17 ans qu’il est en Egypte, de mesurer à quel point Yossef a réussi l’éducation de ses fils, même dans un lieu hostile (Ephraïm demeurait même avec son grand-père pour étudier avec lui…). Pour le Rav Moché Tsvi Nériah, fondateur des Yeshivot Bné Akiva, Ephraim et Menaché, c’est la preuve que l’on peut réussir à transmettre ses valeurs quelles que soient les conditions et l’environnement. C’est le message que Yaakov veut faire passer ici à la postérité: par le modèle de Ephraïm et Menaché, les générations futures sont bénies de mériter que leurs petits-enfants et arrières-petits-enfants soient fidèles à la tradition de leur peuple, quelles que soient les conditions dans lesquelles ils se trouvent »…

Dans la bénédiction de Yaakov à ses petits-fils, ce qui importe c’est autant les mots qu’il prononce que la façon dont il les bénit. La Torah décrit longuement comment Yossef a placé ses fils, Menaché l’ainé à la droite de son père et Ephraim, le cadet, à sa gauche. Comment Yaakov a croisé les mains pour poser justement la droite sur celle du plus jeune. Comment Yossef a essayé de remettre les choses en ordre. Et comment Yaakov a maintenu sa position et l’a expliquée à son fils… 

Pour Yossef, ce geste de son père fait écho à la préférence qu’il lui avait montrée dans sa jeunesse. Il a vécu dans sa chair les conséquences de la jalousie de ses frères, c’est un sujet auquel il est extrêmement sensible et il est particulièrement vigilant à ce que cela ne se reproduise pas… Pas encore des histoires d’ainé et de cadet, pas encore des histoires entre frères! Mais Yaakov, lui, ne tient pas compte de cela: soit parce qu’il n’a absolument pas eu vent de ce qui s’est passé (c’est ce qu’évoque le Rabbi de Loubavich (Hitvaadouyot 5745 Vol III, p. 1642), soit parce que Yaakov, qui est avant tout un homme de vérité, veut rester fidèle à ses convictions quoi qu’il en soit. La fratrie du judaïsme ne met pas tellement en avant la préséance et aucun droit n’est automatique. 

Et dans les faits, son choix s’avère être le bon: pour la première fois depuis Bereshit, les frères ne sont pas jaloux. Menaché, l’aîné, ne proteste ni ne jalouse son frère. Cette fois, les frères sont unis. Ce problème est dépassé, Yossef et ses frères l’ont finalement réglé et les fils de Yossef sont la preuve que cette épreuve est désormais surmontée. La fratrie consolidée, l’ancêtre peut donc se projeter vers la génération d’après… 

C’est donc cette fratrie, qui a intégré les valeurs ancestrales malgré un environnement qui ne s’y prêtait pas, modèle d’union sincère, qui sert de fondement à la bénédiction que les pères donneront à leurs enfants. Que les enfants soient unis. Que la famille reste entière. Sur plusieurs générations. N’est-ce pas là le souhait le plus profond de chaque parent et la preuve de réussite de l’éducation et de la construction d’une famille? 

 « Israël te nommera dans ses bénédictions, en disant: Dieu te fasse devenir comme Éphraïm et Menaché! » II plaça ainsi Éphraïm avant Menaché.

Bereshit XLVIII, 20

Quand on voudra bénir ses enfants, on les bénira en récitant la bénédiction qui leur a été octroyée, et l’on dira à son fils : « Que D.ieu te fasse devenir comme Ephraïm et Menaché ! » (Rashi)

Il est interessant de relever que lorsqu’on bénit nos filles, on introduit la bénédiction par « Que D.ieu te fasse devenir comme Sarah, Rivka, Rachel et Léa ». Parce que les mères, elles, ont fait la preuve éclatante de leur sentiment fraternel, comme on a pu voir l’abnégation de Rachel devant sa soeur Léa par exemple…

Si la forme de la bénédiction est donc une bénédiction en elle-même, son contenu est, lui mythique.: 

« Il bénit Yossef, puis dit: « Que la Divinité dont mes pères, Avraham et Its’hak, ont suivi les voies; que la Divinité qui a veillé sur moi depuis ma naissance jusqu’à ce jour; Que l’ange qui m’a délivré de tout mal, bénisse ces jeunes gens! Puisse-t-il perpétuer mon nom et le nom de mes pères Avraham et Its’hak! Puissent-t-il se multiplier  comme des poissons à l’infini au milieu de la contrée. »

(versets 15 et 16)

C’est le fameux Hamala’h Hagoel, qui a inspiré tant de compositeurs de musique et que nous faisons réciter à nos enfants tous les soirs, au coucher. C’est aussi ce que beaucoup récitent au moment où les enfants montent à la Torah, la Aliyat Hanearim de Simhat Torah. Nearim car le verset dit: qu’il bénisse ces « Nearim », ces jeunes gens. Qu’est ce que Yaakov souhaite donc ici? 

D’abord, il nous faut souligner que le texte introduit cela par « il bénit Yossef ». Est-ce donc la bénédiction de Yossef ou de ses fils? Le Rashbam voit ici un message très fort: la bénédiction des fils, c’est la bénédiction du père. La réussite d’un homme passe par celle de ses enfants…. On ne peut se contenter d’une réussite personnelle et égoïste, c’est par la génération suivante que la bénédiction est confirmée… 

Le Sfat Emet rapproche le terme « Nearim » du verbe « Lenaer », secouer. Yaakov souhaite ici à sa descendance de poser toujours un regard jeune et neuf sur la vie, de ne pas s’enfoncer dans une routine blasée mais bien de se secouer et de mesurer à quel point D.ieu renouvelle perpétuellement les énergies qu’Il met à notre disposition pour évoluer sur notre chemin… 

Il  existe une expression qui est difficile à rendre en français et qui revient dans de nombreux discours des sages,; c’est le concept d’« Israel Sabba », souvent évoqué avec nostalgie et avec ferveur, et dont le français « grand-père Israel » ou « Jacob l’Ancien » (puisque Yaakov s’appelle aussi Israel) ne veut strictement rien dire…

 Il y a bien des explications kabbalistiques sur cette expression, mais qui sont d’un niveau qui me dépasse. Cependant, en étudiant la bénédiction de Yaakov à ses petits-fils, on peut saisir les contours de cette expression intraduisible mais si chargée émotionnellement… 

« Israel Sabba », c’est quelque part l’idée du peuple d’Israel antique qui traverse l’histoire et la géographie avec les tribulations qu’on lui connait en gardant l’esprit et la quintessence de son lien avec D.ieu et en restant fidèle à ses ancêtres. « Israel Sabba », c’est le lien inter-générationnel qui transcende le temps… Israel, l’autre nom de Yaakov, c’est le grand père par excellence, celui qui veille et qui  prie pour que les générations futures soient toujours unies dans l’esprit des débuts.  C’est celui qui est capable de transmettre sa bénédiction avec tant d’amour que c’est toute l’histoire de son peuple qui se fondra en lui et qui deviendra « Israel Sabba »…

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Sarah Weizman

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