Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayigach / Fraternité…

V

Il y a 15 jours, en étudiant la Paracha Vayechev, je suis tombée sur un petit trésor de Rashi que j’ai dû lire maintes fois mais qui ne m’avait pas marquée plus que ça… Mais cette fois, j’ai été saisie par l’actualité et la perspicacité de l’analyse du maître champenois. J’ai donc décidé de garder cette idée pour le moment opportun mais aujourd’hui,  je ne peux résister à l’envie de la partager avec vous… 

Replaçons nous dans le contexte. Yossef a été vendu par ses frères. Il est revendu par des marchands d’esclaves au ministre de Pharaon, Putiphar. Yossef impressionne celui-ci qui le nomme au plus haut poste de sa maison. Mais l’épouse du maître jette son dévolu sur Yossef, qu’elle finit par accuser de viol et il se retrouve en prison. Le temps passe. Le directeur de la prison reconnait les talents de Yossef, lui aussi, et il lui confie de nombreuses responsabilités. 

C’est dans ces circonstances que deux des ministres de Pharaon tombent en disgrâce et sont à leur tour jetés en prison. Et voici ce que nous dit Rashi sur cette nouvelle: « Etant donné que cette femme perfide avait fait de ce juste un sujet de conversation et un objet de calomnie pour chacun, le Saint béni soit-Il a fait commettre une faute à ces deux dignitaires, afin de détourner sur eux l’attention qui s’était portée sur Yossef (Beréshit raba 88, 1) » (Bereshit XL,1)

Ce n’était peut-être pas Versailles, mais la cour des Pharaons était aussi un haut-lieu de ragots et de calomnies. Et avec la femme de Putiphar, tous les ingrédients sont réunis pour faire frémir d’excitation les observateurs, les commentateurs et les colporteurs. Quel scoop! Ce sujet devait bien alimenter toutes les conversations, depuis les couloirs des palais jusqu’aux chaumières des plus démunis! 

Mais voilà qu’un autre ragot se profile. Une mouche est tombée dans le vin du Pharaon.  Un caillou dans le pain royal. Une broutille, dirions-nous. Un crime de lèse-majesté disent-ils! Et voilà que c’est reparti de plus belle, en analyses et en commentaires et en on-dit…  Yossef n’est plus du tout le sujet des conversations… Et c’est ce que D.ieu voulait! 

Voilà donc un décryptage de l’actualité de la part de Rashi. Pas besoin de faire de grandes écoles de journalisme et de communication, le secret est là: la presse a besoin de ragots, le monde s’en nourrit. Avant, c’était les bruits de couloir. Puis il y a eu les crieurs. Puis les journaux, la radio, la télé. Maintenant c’est les réseaux sociaux. Et toujours, le monde retient son souffle, et se laisse balader oubliant que derrière la petite histoire se trame la grande Histoire. Sujet que j’ai déjà abordé les semaines précédentes…  Mais se souvient-on de l’état émotionnel dans lequel nous étions la semaine dernière? A la même heure? Quand nos comptes sur les réseaux sociaux étaient envahis d’images angoissantes, de messages alarmistes, d’intox, de fake news et de rumeurs en tous genres? On a l’impression que c’était il y a un siècle, et aujourd’hui, c’est la menace terroriste qui reprend le dessus, une peur en chassant une autre…

Dans notre Paracha aussi, il se passe des événements. Depuis deux semaines déjà, les confrontations entre Yossef et ses frères doivent intriguer les observateurs de la vie du palais du Vice-Roi et le texte nous montre à quel point Yossef contrôle son image et tient à préserver celle de ses frères. Il résiste à plusieurs reprises  à ses accès émotionnels parce qu’il veut gérer le moment de sa révélation à ses frères. Pour reprendre l’expression d’Emmanuel Macron, il est sur un « temps long ». Nous avons déjà abordé sa vision, sa foi en les prophéties qu’il a reçues. Et nous savons aussi que tout ce drame a pour but que l’histoire du peuple d’Israël se mette enfin en marche, comme conclut Rachi sur l’explication précitée, « afin que la délivrance de ce juste s’opère par leur entremise »… 

Il y a toujours un plan caché derrière toutes les infos qui s’enchaînent, même si on ne le voit pas. Quand nous arrivons à Vayigach, l’avant-dernière Paracha de Bereshit, nous atteignons aussi la fin d’un cycle, celui de la mise en place de l’histoire biblique. A la question que l’on se pose de savoir pourquoi la Torah commence par Bereshit, par le récit des origines, et pas par les Mitsvot spécifiques au peuple d’Israel, une des réponse est de dire qu’avant de créer une nation, il faut créer une famille. Le livre de Chemot qui nous relatera la naissance du peuple d’Israel n’est possible qu’après la consolidation de la famille nucléaire. Et depuis le début, la Torah nous relate les tentatives de fraternité qui ont échoué. Avec Cain et Hevel, la coexistence n’est pas envisageable. Donc meurtre. Pour Ichmael et Its’hak, la solution passe par une séparation pure et simple. Yaakov et Essav, les jumeaux en concurrence, se retrouvent dans une timide réconciliation mais les retrouvailles sincères sont reportées aux temps messianiques.

Et enfin, les 12 fils de Yaakov. On a eu très peur, mais dans notre Paracha, nous connaissons le dénouement: non seulement de leur histoire mais de la recherche en fraternité qui n’a pu se faire depuis la Création du monde… 

Cette fin heureuse n’a été possible que grâce à deux facteurs, qui sont incarnés par Yehuda et Yossef. 

Yehuda, qui était quelque part le leader des 10 frères, fait un long processus de Techouva. Ca lui a pris des années, mais il a traversé toutes les étapes de la Techouva décrites par Maïmonide, jusqu’à la dernière, celle qui veut que, confronté à la même faute, le pêcheur fasse la preuve qu’il ne la réitérera pas. Et ce même Yehuda qui avait suggéré à ses frères de vendre Yossef à des marchands d’esclaves sacrifie sa personne pour protéger son frère Binyamin et, à la fin de sa longue tirade devant Yossef, conclut: « Donc, de grâce, que ton serviteur, à la place du jeune homme, reste esclave de mon seigneur et que le jeune homme reparte avec ses frères.  Car comment retournerais-je près de mon père sans ramener son enfant? Pourrais-je voir la douleur qui accablerait mon père? » (XLIV, 33-34) La boucle est bouclée…

Et c’est à ce moment que Yossef craque. Yossef, qui était l’outsider dans la fratrie, et qui avait une vision juste du futur, s’est rendu compte qu’alors, dans sa jeunesse, ses frères ne pouvaient pas l’entendre. Parce que peut-être, dans la fougue de sa conviction, il n’a pas pris en compte leur sensibilité et leur niveau de compréhension. Il était certainement trop visionnaire, trop rêveur pour eux. Et on peut dire qu’avec le temps, quand il les retrouve, ils a appris à réfréner son impatience. Il se maîtrise parce qu’il veut que leur rencontre soit une réparation de ce qui fit leur séparation; il veut que ses frères aient fait une Techouva complète avant de se réunir, que le défaut de fraternité et de communion soit désormais remplacé par un véritable amour fraternel, par une preuve de responsabilité mutuelle et d’engagement fraternel. C’est sur ces bases que tout va pouvoir se construire. Sur le fondement de cette famille unie que le peuple d’Israel va émerger dans l’histoire. Le texte insiste tant sur cette valeur fondamentale, que sur les 153 occurrences du mot « son frère » ou « ses frères » que compte toute la Bible, 38 concernent notre fratrie, celle des fils de Yaakov. Tout se joue là… 

Alors Yossef se révèle à ses frères. Et à ceux-ci sous le choc et effrayés de devoir subir sa vengeance, il tient un discours qui relève à la fois de la thérapie et de la déclaration de foi. Il nous révèle ici comment il a traversé toute cette période, et cette force de conviction, c’est ce qui fera vibrer et survivre le peuple juif dans tous les moments complexes de son histoire: « Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu pour ce pays; car c’est pour le salut que le Seigneur m’y a envoyé avant vous. En effet, voici deux années que la famine règne au sein de la contrée et durant cinq années encore, il n’y aura ni culture ni moisson. Le Seigneur m’a envoyé avant vous pour vous préparer une ressource dans ce pays et pour vous sauver la vie par une conservation merveilleuse. Non, ce n’est pas vous qui m’avez fait venir ici, c’est Dieu; et il m’a fait devenir le père de Pharaon, le maître de toute sa maison et l’arbitre de tout le pays d’Égypte »; (LXV, 5-8)

Yossef ne dit rien d’autre que le Rashi cité plus haut: n’en déplaise aux tabloïds , ce n’est pas eux qui font l’actualité mais il y a Quelqu’un là-haut qui tire les ficelles… Yossef a gardé son sang froid tout ce temps là, grâce à cette conviction profonde. Et c’est pour nous aussi une leçon de distance et de recul face au tourbillon des news, vraies ou fausses…

Puisque j’ai commencé avec l’actualité, nous ne pouvons pas ne pas penser à d’autres Yossef. Ce jeudi ont été tués dans une région qui appartenait à la tribu de Binyamin – le frère de Yossef qui fut l’enjeu et la clé de la réconciliation historique – Yossef Cohen et Yovel Mor-Yossef.  Ces deux soldats, qui ont donné leur vie pour protéger leurs frères, appartiennent à une unité combattante composée de soldats orthodoxes, Netsa’h Yehuda – si loin des clichés souvent clivants que la presse veut bien nous montrer de la société israélienne. Yovel fut nommé ainsi parce qu’il est né l’année du Yovel, du cinquantenaire, de l’Etat d’Israël. Il n’était pas sensé monter la garde hier, mais il s’est porté volontaire pour soulager ses camarades… Dans la famille de Yossef Cohen, on a l’habitude, chaque Chabbat, d’exprimer sa reconnaissance à D.ieu pour ce qu’on a eu dans la semaine. Et Chabbat qui est passé, raconte son beau-père, il a dit: « Je remercie D.ieu de m’avoir donné le mérite de protéger le peuple d’Israel de mon corps »… Des Yossef qui font  écho à Yehuda qui voulait sacrifier sa vie pour son frère, et à Yossef qui a sauvé la fraternité de sa famille….

Ces valeurs qui transcendent le temps, elles sont encore portées par la promesse que l’ère messianique sera annoncée par le Machia’h ben Yossef, un illustre descendant de Yossef, avant que ne se révèle le descendant de Yehuda, Machia’h ben David… 

Chabbat Chalom!

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Sarah Weizman

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