Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Mikets / Quand un peu de lumière chasse une grande obscurité…

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Dimanche soir, premier soir de ‘Hanoucca. Le froid et peut être aussi les Gilets Jaunes ont eu raison de mes voisins et il régnait un calme rare dans mon quartier en ce début de soirée… Peut-être aussi par souci écologique ou pour faire des économies d’énergie, des rues entières étaient plongées dans le noir;  aucun lampadaire, aucune des guirlandes qui,  en cette saison, nous illuminent et creusent un peu plus le déficit municipal n’éclairait cette nuit à l’ambiance décidément campagnarde… 

Juste une lueur, à travers une fenêtre, trouait les ténèbres de la rue et attirait le regard des quelques passants… Premier soir de ‘Hanoucca, quand une petite lumière éclaire la grande obscurité…

Cette expérience, inédite dans une vie urbaine où la pollution lumineuse nous prive de voir même les étoiles, a eu le mérite de nous plonger tout de suite dans l’ambiance de ‘Hanoucca…

La semaine dernière était très agitée. Pas que dans notre actualité. Vayechev nous relatait des évènements tragiques, on était dans un ascenseur émotionnel en suivant la vie de Yossef et on l’a laissé en prison, espérant que le Maître Echanson de Pharaon à qui il avait annoncé la libération se souviendrait de parler de son cas à son maître. « Mais », conclut la Paracha, « le Maître Echanson ne se souvint plus de Yossef, il l’oublia » (Bereshit XL, 23)

C’est sur ce triste constat que nous nous sommes quittés, et nous abordons Mikets avec appréhension… Qu’arrive-il ensuite à notre héros? Comment s’en sortira-t-il? 

Il y a un Rashi, dans les chapitres précédents, qui, par une formule sibylline, excite la curiosité du lecteur…  

Quand, à la demande de son père, Yossef va voir ses frères, ceux-ci l’apercevant se disent: « Venez, tuons le, jetons le dans un puits, puis nous dirons qu’une bête féroce l’a dévoré. Nous verrons alors ce qui adviendra de ses rêves! » (Bereshit XXXVII, 20). Et Rashi: « Rabbi Its’hak a enseigné : Ce verset exige une interprétation. C’est l’esprit saint qui s’exprime ici. Les frères disaient : « Nous allons le tuer ! » Et le verset s’achève en donnant la parole à l’esprit saint : « et nous verrons ce que seront ses rêves » – nous verrons quelles paroles se réaliseront, les vôtres ou les miennes. »

Avec l’éclairage de Rabbi Its’hak, notre lecture des événements se trouve modifiée: il y a les tiraillements, les jalousie dans la fratrie, les questions plus ou moins théologiques qui s’affrontent aussi, d’après les Midrashim. Mais derrière la petite histoire se noue la trame de la Grande Histoire, et D.ieu en connait l’issue… En quelque sorte il met au défi les frères ironiquement: « Dites toujours, on verra bien ce qui arrivera »… Et nous aussi, nous retenons notre souffle…

Ce qui intrigue aussi les commentateurs, c’est l’apparente passivité de Yossef. On ne l’entend pas se plaindre ni se révolter à mesure que sa situation se dégrade. On a l’impression qu’il est baladé d’une étape à l’autre.  A chaque fois, il essaie de s’en sortir par sa droiture et son excellence. Et ça semble marcher; Putiphar le promeut au plus haut poste dans sa maison, le directeur de la prison où il est jeté après les accusations mensongères de la femme de Putiphar aussi. Il pense même avoir trouvé un piston qui le recommandera auprès de Pharaon. Et on se dit que cette fois-ci, ce sera la bonne. Mais non. Comme si le salut ne devait pas venir de lui-même. Les ficelles de cette histoire sont tirées ailleurs…

Et voici donc Mikets. Rachi explique que le mot « Kets », c’est la fin. Enfin, nous allons connaître le dénouement. On rapproche souvent ce terme du verset de Job (XXVIII, 3): « Il a posé des limites à l’obscurité; jusqu’aux extrêmes profondeurs il va chercher le minerai caché dans les ténèbres et l’ombre de la mort. »

Les épreuves de Yossef, l’obscurité dans laquelle il est plongé, vont connaître ici leur fin. Dans notre Paracha, on commence à voir la lumière au bout du tunnel. Cela aurait pu arriver plus tôt, mais parce que Yossef a placé ses espoirs en un simple homme, Hachem fait la démonstration que c’est Lui qui est le Maître du temps. Ce qui est au coeur de notre Paracha, c’est la Providence Divine. C’en est même le sujet principal. Les frères n’en ont pas conscience, ils sont dans la petite histoire, mais Yossef, lui, en prend la mesure. Et c’est pourquoi, dans Mikets, il va se faire le complice en quelque sorte de la Providence divine pour amener ses frères à découvrir la lumière de la Vérité. Cette Paracha est donc bien la « fin de l’obscurité », pas uniquement la fin de la brouille entre les fils de Yaakov mais bien, la résolution du conflit fraternel qui mine l’humanité depuis la Création de Bereshit et qui prend ici une dimension paroxystique.  La fameuse « recherche en fraternité » si bien décryptée par Manitou, le Rav Léon Ashkenazi, qui explique les conflits Cain-Hevel, Ichmaël-Its’hak et Essav-Yaacov menace de se solder ici par une catastrophe. A chaque fois, la jalousie entre frères, le partage de l’héritage matériel et spirituel fait éclater la fratrie et crée des dissensions dont nous payons encore les frais aujourd’hui. Nous avons pu voir que juste avant que les frères attaquent Yossef, celui-ci rencontre un personnage qui essaie de lui dire qu’ « ils ont quitté la fraternité » (Rachi sur Bereshit XXXVII, 17), et on se dit qu’encore une fois, c’est mal parti. 

Mais cette fois, la lumière va se faire. La recherche en fraternité va aboutir à des retrouvailles, qui seront décrites la semaine prochaine… Mais pour l’heure, et c’est ce que la Paracha s’emploie à nous montrer, chacun des protagonistes prouve qu’il a pris la mesure de la gravité de la situation et se jette dans la réparation de cette faute atavique… (On lit l’histoire de Yossef et ses frères comme une réparation des autres fraternités avortées):

D’abord, Yossef: maintenant qu’il est devenu vice-roi d’Egypte, Yossef s’emploie à rétablir une vraie fraternité. C’est certainement la raison pour laquelle Yossef, chef tout puissant, n’a pas mis fin au supplice de son père qui le croyait mort: la révélation de ce que ses frères lui avaient fait aurait peut-être fait retrouver un fils à Yaakov, mais il en aurait perdu 10… Yossef se tait donc. Il préfère souffrir que de détruire ce qu’il reste de la famille (ce que de nombreux commentateurs comparent au silence de sa mère Rahel qui a préféré se taire pour préserver l’honneur de sa soeur quand son père l’a mariée à Yaakov à sa place). Yossef se tait encore devant ses frères qui ne l’on pas reconnu. Et il les pousse dans leurs retranchements, en leur les poussant à s’exprimer sur lui-même et en leur faisant passer de multiples tests sur leur sens de la fraternité… 

Ensuite les frères: je ne vais pas ici reprendre toutes les étapes des voyages des frères en Egypte et de leur confrontation avec ce drôle de vice-roi qui ne les lâche pas, mais à la lecture du texte, on voit à quel point ils sont mortifiés de ce qui s’est passé. A quel point ça les mine. Et à quel point ils sont prêts à tout pour se protéger les uns les autres. 

Il y a aussi Yaakov. Victime de cette situation et dans l’obscurité totale depuis 22 ans, il a des fulgurances dont il ignore lui-même la portée, comme Rachi et Nahmanide le relèvent; quand il autorise finalement ses fils à partir pour l’Egypte avec Binyamin, il laisse échapper qu’ils retrouveront aussi Yossef. Dans le plus profond de son inconscient, Yaakov n’a pas renoncé à la fraternité retrouvée de ses fils…

Et enfin, D.ieu; Lui qui, selon le Midrash, ne révèle pas à Yaakov le fin mot de l’histoire mais en connait la finalité. Il donne l’occasion, en présentant à ces 11 frères depuis 3 Parachiot des épreuves répétées et diverses, de faire la preuve qu’ils ne sont plus les mêmes. 

Et finalement, dans Mikets, Yossef et ses frères réussissent là où leurs prédécesseurs dans l’histoire de l’humanité ont immanquablement échoué. Grâce à une seule chose, la Techouva, l’introspection et la prise de responsabilité de chacun, ils ont surmonté le test de la fraternité. Désormais, les frères de la Torah s’aimeront, se soutiendront. Ephraïm et Menaché ne se battront pas pour les honneurs.  Aaron, l’aîné, ne sera pas jaloux de Moché, il se mettra à sa disposition et le secondera toute sa vie; le Peuple d’Israël pourra enfin se construire sur la base de ces 12 frères qui ont surmonté ce défi que tous avaient échoué à remporter depuis Bereshit…

Mikets est presque toujours lue pendant ‘Hanoucca. La victoire des ‘Hachmonaïm contre les ennemis gréco-syriens est née de l’union d’une fratrie, les 5 fils de Matityaou, qui ont réussi à fédérer leurs frères juifs. Et c’est là que le miracle de ‘Hanoucca a pu se faire, que la lumière l’a emporté sur l’obscurité en dépassant les limites de la nature. 

Au Chapitre 12 du Tanya, le Baal Hatanya développe l’idée que « la lumière a une supériorité et une souveraineté sur l’obscurité, de façon qu’une petite lumière repousse une grande obscurité, laquelle se retire inévitablement ». Ceci vient appuyer le verset de Kohelet (II,13) « Et j’ai vu que la sagesse est supérieure à la folie, comme la lumière est supérieure aux ténèbres »…. Et il conclut d’ailleurs ce chapitre en expliquant que lorsque la lumière de l’intellect prend le dessus, les sombres  sentiments, la colère et la jalousie qui peuvent nous animer,  sont chassés « ainsi que le Zohar nous exhorte à prendre exemple sur le comportement de Yossef envers ses frères »… 

En ce Chabbat de ‘Hanoucca, quand la nuit tombe si tôt et que parfois, les éclairages dehors font défaut, nos bougies qui célèbrent l’espoir, la paix et la recherche coûte que coûte de la fraternité illumineront certainement nos maisons, nos rues et nos villes… 

Chabbat Chalom et un ‘Hanoucca plein de joie!

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Sarah Weizman

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