Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayéchev / Mais d’où Yossef tire-t-il sa force?!

V

C’est l’histoire d’une veille dame qui, dans son petit Shtetl de Russie, lit chaque semaine le Tsena Ouréna, le fameux ouvrage en Yiddish sur la Paracha destiné aux femmes… Elle arrive à l’histoire de Yossef, et elle pleure, elle soupire, et elle dit: « Yossef! Yossef! Pourquoi es-tu allé rejoindre tes frères? Tu n’as pas retenu la leçon depuis l’an dernier? Tu n’as pas compris qu’ils voulaient te faire du mal?! »

Disons-le d’emblée, Yossef sort par le haut de son histoire, il est même celui que l’on retiendra comme étant Yossef Hatsadik, le Tsadik par excellence. Et ce qui nous intrigue, c’est comment il fait pour s’en sortir? Quel est le secret de sa force? 

Imaginons le choc qu’il a dû ressentir quand ses frères l’ont kidnappé. Ont voulu le tuer. Ont discuté de son sort. L’ont jeté dans un trou. L’ont vendu. Imaginons ce qu’a pu penser ce jeune homme de 17 ans, quand, jour après jour, mois après mois, il constate qu’il est abandonné, que personne ne le cherche. Que pense-t-il de ses frères? De son père, qui inconsciemment envoyé à l’abattoir en lui demandant d’aller voir ses frères, sachant la haine qui les animait? De D.ieu même? Comment se remet-on de faits d’une telle violence? 

Contrairement à certains personnages de la Torah qui ont connu une vie toute entière plongée dans la Sainteté et la méditation, Yossef est celui qui connaîtra les vicissitudes les plus violentes. La mort de sa mère, la trahison de ses frères, l’esclavage, l’exil, le déracinement, la tentation, les accusations mensongères, la prison puis la gloire. Toutes les bonnes raisons pour ne pas rester fidèle à la Tradition de ses Pères… Yossef aurait pu finir abattu, détruit à vie. Ourdir des plans de vengeance. Se révolter. Oublier tout et tous ceux qui lui ont fait du mal et recommencer une nouvelle vie, sous d’autres cieux. Mais non… Quand on lit la Paracha et qu’on suit Yossef dans ses hauts et ses bas (et sa vie, ce sont des montagnes russes en permanence) on est impressionné de voir avec quel calme et quelle grâce il traverse tout cela. Non pas qu’il soit impassible, ni insensible aux drames qui le touchent. Mais on le sent habité par quelque chose qui transcende toutes ces évènements… Quelque chose qui doit aussi expliquer la résilience juive à travers les siècles et les persécutions… Yossef, modèle du juif en proie aux épreuves et aux tentations de l’exil… Qu’est ce qui fait donc tenir Yossef? Pourquoi ne s’est-il pas perdu dans les méandres de l’Histoire? 

En fait, les réponses à cette question se trouvent en filigrane tout le long de notre Paracha…

En premier lieu, Yossef est porté par un rêve. Même par deux rêves. Là aussi, comme pour le rêve de son père Yaakov, le mot « Hiné », « Voici », donne au rêve une consistance bien réelle: Yossef sent que ce ne sont pas des fantaisies inconscientes qui s’expriment dans son sommeil mais des annonces, des prophéties. Partant de cette croyance, il aura une lecture historique des événements: son histoire personnelle importe peu, elle s’efface devant la réalisation du plan divin. Ce qui lui arrive dépasse sa propre histoire, il se joue quelque chose qui est plus grand que sa vie…  Fort de cette conviction, il peut tout supporter puisqu’il a foi en la finalité de l’Histoire. C’est ce qu’il répondra à ses frères après qu’il les aura retrouvés et qu’ils auront peur qu’il se venge: 

« Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu pour ce pays; car c’est pour le salut que le Seigneur m’y a envoyé avant vous.  Le Seigneur m’a envoyé avant vous pour vous préparer une ressource dans ce pays et pour vous sauver la vie par une conservation merveilleuse. Non, ce n’est pas vous qui m’avez fait venir ici, c’est D.ieu; et il m’a fait devenir le père de Pharaon, le maître de toute sa maison et l’arbitre de tout le pays d’Égypte. »

Bereshit, XLV, 5,7,8

Voici donc pour ce qui le porte… Mais ce n’est pas suffisant. On peut avoir un rêve, on peut être persuadé d’être dans le vrai et que tout ira bien mais face à la difficulté des épreuves, quand la situation va en empirant et que le salut se fait attendre, il est bien difficile de tenir le coup… 

Alors Yossef répète et se répète son mantra: c’est D.ieu qui est avec lui. Si on reprend tous les dialogues dans lesquels Yossef parle, c’est flagrant. 

Dès qu’il arrive en Egypte, Yossef est vendu comme esclave au ministre Putiphar, qui est vite impressionné par ses talents et lui attribue les responsabilités les plus élevées. Cela, parce que « Son maître vit que D.ieu était avec lui; qu’il faisait prospérer toutes les oeuvres de ses mains », c’est à dire, nous dit Rashi, « le nom de Hachem sortait fréquemment de sa bouche (Midrach tan‘houma 8) » (Bereshit XXXIX, 3).

Et on en a la preuve à chaque fois qu’il s’exprime. 

Ainsi, à Madame Putiphar qui lui fait des avances: « et comment puis je commettre un si grand méfait et offenser D.ieu? » (Bereshit XXXIX,8)

Aux ministres de Pharaon emprisonnés avec lui, troublé par leurs rêves:  « Joseph leur dit: « L’interprétation n’est elle pas à D.ieu? Dites les moi, je vous prie. » (Bereshit XL, 8)

A Pharaon, qui lui demande d’interpréter son rêve: « Joseph répondit à Pharaon en disant: « Ce n’est pas moi, c’est D.ieu, qui saura tranquilliser Pharaon. » (Bereshit XLI,16)

Yossef tire donc sa force de sa capacité à voir D.ieu et à l’évoquer dans toutes les situations. Il ne cache pas qui il est, il ne cherche pas à se fondre dans la masse, il a en lui cette force intérieure, ce rêve, mais aussi, il l’exprime à chaque fois qu’il le peut, pour se donner de la force en même temps que cela lui permet d’afficher, dans une société qui lui est étrangère voire même menaçante, son identité, sa conviction. Il se protège ainsi…

Cependant, il y a des moments où la foi, qu’on la ressente ou qu’on l’exprime, ne suffit pas. Des cas où la pression se fait si forte, où la tentation et le désespoir sont si puissants que l’autosuggestion et la Méthode Coué ne fonctionnent plus… Dans son malheur, alors que sa foi est mise à l’épreuve à chaque instant, Yossef connait une certaine réussite. Son génie des affaires et son sérieux qui l’ont propulsé au plus haut niveau dans la maison de Putiphar lui donnent une certaine notoriété. Il commence à se sentir mieux, fait attention à sa mise et à son apparence physique, et il est si beau qu’il est courtisé par toutes les filles du pays. Mais surtout, la femme de son maître a jeté son dévolu sur lui, et elle ne le lâche pas. Elle revient à la charge, jour après jour nous dit le Texte. Yossef résiste, mais ce n’est pas si facile. La Torah, qui n’est pas une hagiographie, n’embellit pas le récit. Elle aurait pu nous présenter notre héros comme un être parfait, au-dessus des pulsions. Mais non; regardez plutôt:

« Il s’y refusa, en disant à la femme de son maître: « Vois, mon maître ne me demande compte de rien dans sa maison et toutes ses affaires il les a remises en mes mains. »

Bereshit XXXIX,8

La dame a de sérieux arguments. Le Midrash raconte comment elle essaie de le persuader qu’ils ne feraient rien de mal, bien au contraire. Et Yossef refuse, de tout son être. Le texte de la Torah l’exprime, tant dans le sens que par la Massore, la tradition graphique: 

« Vayemaène », « il a refusé », est surmonté d’un signe de cantillation extrêmement rare dans la Bible, le Chalchelet, une sorte de pentagramme qui invite le lecteur à exécuter un tremolo  en chantant ce mot. Il est suivi d’un trait vertical, le Passek, un signe disjonctif, et la combinaison des deux, que l’on appelle Chalchelet Guedola ou « grande triplette » appelle une explication. Les signes cantillatoires ou Teamim sont des indications sur la manière de découper et de chanter le texte, mais ils sont aussi source de «Taam », d’explication. De nombreux commentateurs interprètent la Chalchelet Guedola comme le signe d’un combat intérieur, d’une agitation dramatique, un conflit qui met en présence des forces contradictoires auquel le personnage met fin par une décision claire et nette. Le Chem Michmouel voit ici l’expression du désir de Yossef, désir attisé par un argumentaire des plus logiques que Madame Putiphar déploie devant lui. Mais il y met fin brusquement en refusant de rentrer dans cette logique. Face à la tentation de la faute, Yossef coupe court à la discussion et il part en courant, il s’enfuit… 

Qu’est-ce qui, en dernier ressort, lui donne le courage de partir? C’est le Talmud au traité Sotah (36) qui nous raconte: « A ce moment précis lui est venu le visage de son père et il l’a vu dans une fenêtre… ». Et ce visage a parlé à sa conscience… La force, il la puise dans l’image de son père, dans le modèle qu’il ne veut pas décevoir… Au plus fort de la tentation, son enfance, son éducation lui ouvrent une fenêtre par laquelle il pourra échapper… 

Ces derniers temps, le CSA communique à travers des publicités qui essaient de sensibiliser les parents à leur responsabilité face aux images auxquelles leurs enfants ont accès… Et il interpelle en disant: « Ce qu’ils regardent ça nous regarde tous ». Avant de conclure: « Nos conseils pour les protéger… » Quel univers visuel mettons nous à la disposition de nos enfants? Quelles sont les images qui les accompagnent? Sont-elles traumatisantes? Hypothèqueront-elles leur avenir? Ou seront-elles des gardes-fou face aux défis qui les attendent?

Et il ne s’agit pas que des images des écrans… Nous sommes dans leur champ visuel en permanence; sommes-nous des modèles dont le simple souvenir de l’image leur donnera la force de choisir les bonnes options? 

Alors face à la réalité parfois crue du monde, la Torah déclare que le Tsadik n’est pas forcément celui qui vit dans sa bulle. L’archétype du Tsadik, c’est Yossef, celui qui, plus que tous les autres, se trouve confronté à l’adversité et à la solitude de l’épreuve.  Un modèle auquel tous, qui que nous soyons, pouvons nous identifier. Et qui nous montre que pour sortir vainqueur et grandi de ces combats que la vie nous propose, quelques conseils peuvent nous protéger. Bien sûr, avoir un rêve qui nous porte. C’est ce qui tisse la trame de notre histoire. Ensuite se rappeler et rappeler au quotidien que c’est D.ieu qui nous dirige et qui nous aide. Et enfin, dans les cas exceptionnels, il est bien utile d’avoir des images, des modèles, qui prendront le relai pour nous donner la force psychologique de dépasser les obstacles qu’on n’a pas la force de franchir seuls…

Chabbat Chalom!

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Sarah Weizman

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