Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Vayéleh / Kol Nidré et les Juifs de Kippour

V

Chabbat Vayeleh, Chabbat Chouva, dans quelques jours Yom Kippour, un moment de l’année empreint de gravité… Moché va quitter ce monde, c’est le jour de sa mort, et il poursuit son discours de Nitsavim en transmettant au peuple les deux dernières Mitsvot de la Torah: Hakhel (l’obligation pour tout le peuple de se réunir à Jerusalem au sortir de l’année de Chemita pendant Souccot) et la Mitsva pour chacun d’écrire un Sefer Torah (ou du moins de participer à son écriture). 

Nous avons l’impression d’être dans un temps suspendu. D’un côté Moché, qui, depuis quelques semaines déjà, a réuni le peuple pour le préparer à la suite en son absence. Et nous qui sommes dans ce continuum entre Roch Hachana et Kippour, avec ce Chabbat où la Techouva est le maître mot. 

Il y a un lien assez intéressant entre cette réunion d’Israel devant son maître et nous, les communautés juives qui nous réunissons dans quelques jours pour Kippour. 

Comme Moché qui, la semaine dernière dans Nitsavim, dit: « Vous êtes placés aujourd’hui, vous tous, en présence de l’Éternel, votre Dieu: vos chefs de tribus, vos anciens, vos préposés, chaque citoyen d’Israël; vos enfants, vos femmes et l’étranger qui est dans tes camps, depuis le fendeur de bois jusqu’au puiseur d’eau » (Devarim XXIX, 9-10), et cette semaine dans Vayeleh: « Convoques-y le peuple entier, hommes, femmes et enfants, ainsi que l’étranger qui est dans tes murs, afin qu’ils entendent et s’instruisent, et révèrent l’Éternel, votre Dieu » (Devarim XXXI, 12), Kippour est introduit par cette déclaration, juste avant Kol Nidré:  « Au nom du tribunal céleste et au nom du tribunal ici-bas nous permettons de prier avec les fauteurs ». 

Les moments fondateurs comme les dates fondamentales du calendrier ne peuvent s’envisager sans la participation du peuple juif en entier, avec tous ses membres. C’est ainsi que  Rabbi Chimon  ‘Hassida dit dans le Talmud (Kritout 6b) : « Tout jeûne pour lequel ne sont pas présents des fauteurs d’Israël, n’est pas [considéré comme] un jeûne car (parmi les encens qui étaient préparés dans le Temple de Jérusalem) le galbanum a une mauvaise odeur et la Torah l’a inclus dans les encens ! »

Au moment de Kol Nidré, tout juif, quel qu’il soit, est à sa place dans la synagogue…

C’est l’histoire d’un jeune intellectuel allemand qui, sous l’influence d’un proche récemment converti au protestantisme, décida lui aussi d’emprunter cette voie. Mais auparavant, décidé à quitter son peuple d’origine en pleine possession de sa religion, il alla passer Kippour dans une vieille synagogue polonaise de Berlin. Quelques jours plus tard, il envoya un mot à son cousin, l’informant qu’il avait décidé de rester juif… Ce jeune homme, c’est Franz Rosenzweig dont le mentor philosophique ne fut autre que Hegel… L’auteur de l’Etoile de la Rédemption (1921) revint à un judaïsme authentique grâce à la prière de Kippour et entre autres, Kol Nidré…

Qu’est-ce qui, dans cette prière, émeut autant l’assemblée? Qu’est-ce que cette prière a de si fondamental qu’elle attire à la synagogue des personnes qui n’y mettent jamais les pieds dans l’année, à tel point que certains calendriers communautaires prennent la peine d’en préciser l’horaire particulièrement? Pourquoi est-elle dite avec tant de solennité? 

Et si je vous disais que Kol Nidré est tout simplement une disposition juridique permettant l’annulation des voeux? Une personne qui a pris un engagement est obligée de s’y conformer… Les « je ne mangerai plus jamais ceci », « je ne t’adresserai plus la parole », « si je réussis mon examen je lirai tous les jours les Tehillim » et les promesses de dons dans les synagogues et aux galas nous engagent juridiquement…  Nous ne pouvons compter sur Kippour pour être pardonnés de nos promesses et engagements qui sont restés lettre morte… Pour être honnête, l’annulation des voeux est déjà faite la veille de Roch Hachana à la synagogue, et bien plus discrètement. Pourquoi cette disposition somme toute plutôt technique se dit-elle sur une mélodie aussi poignante qui arrache des larmes même aux juifs les plus froids? 

On raconte que l’air traditionnel de Kol Nidré tel qu’il est chanté dans les communautés Ashkénaze a été composé en Espagne, par un juif Marrane… Kol Nidré prenait un sens dramatique pour ces juifs obligés de pratiquer la religion catholique publiquement mais qui en cachette, essayaient de respecter les lois de leurs ancêtres. Ils disaient là avec force que ce qu’ils proposaient et disaient en public était nul et non-avenu, et s’autorisaient à participer à l’office en dépit de leur statut apparent de « fauteurs »… 

Au-delà de la dimension historique et sentimentale de ce passage, de cette mélodie que les juifs au cours des siècles ont tenu à réciter même dans les périodes les plus sombres et les plus dangereuses, le Zohar nous donne un éclairage puissant sur Kol Nidré, et c’est peut-être ce qui lui donne ce poids dans notre liturgie: en disant Kol Nidré, ce n’est pas nous que nous délions de nos promesses mais D.ieu Lui-Même! Nous Le délions des promesses et des serments de punition envers les fauteurs que nous sommes tous et le prions de nous pardonner et d’annuler les sentences négatives…

Le Baal Hatanya a une lecture très forte de ce passage: nous disons « Kol Nidré veéssaré »: « Nidré » ce sont les voeux, et «éssaré » vient du mot « assour », interdit. On se délie de tous les voeux et interdits que nous nous sommes imposés. Mais le mot « assour » est à rapprocher de la racine hébraïque qui signifie « attaché », emprisonné, entravé… Nous sommes tous liés ou ligotés par le passé, par des décisions, qui nous empêchent d’avancer… Au seuil de Yom Kippour, nous prions pour annuler toutes ces cordes qui nous étranglent et nous emprisonnent et nous empêchent d’être nous-mêmes, de revenir à ce qu’on est vraiment, à cette partie de D.ieu parfois muselée qui ne demande qu’à s’exprimer: « la liberté de l’homme n’est pas entravée uniquement par des causes externes mais bien plus à cause de constructions et de barrières psychologiques que l’homme se met à lui même et auxquels il devient asservi. L’annulation des voeux est une libération de ces cordes et permet de donner la liberté à l’âme de se tenir devant D.ieu délestée de ces charges… » explique le Rav Steinsaltz-Even Israel. 

C’est certainement pourquoi Kol Nidré introduit Yom Kippour: le Grand Pardon commence à ce moment où toute la communauté réunie et interdépendante vibre au son d’une mélodie qui a transporté des générations de juifs; il est suspendu à l’espoir que D.ieu se délie de Ses engagements de sanctions; et il dépend de la capacité de tout un chacun à se reconnecter à son véritable Moi juif, délié des conséquences de ses entraves…

Il nous reste quelques jours pour être à la hauteur de ce moment…

Que nous soyons tous inscrits et scellés dans le Livre de la Vie!

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Sarah Weizman

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