Un petit mot sur la Paracha לעילוי נשמת אבי מורי ראובן בן איסר ע״ה ישראליוויטש

Bamidbar et Chavouot / Plaidoyer pour le ‘Houmach

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Il y a quelques jours, j’attendais ma fille à la sortie d’une école juive parisienne, quand j’ai assisté à un échange entre deux mamans très remontées parce qu’elles avaient dû passer toute la soirée à réviser du ‘Houmach avec leur enfant. « Trop, c’est trop, disait l’une. Trop de devoirs! Trop de mots à traduire, trop de versets! Pourquoi la maitresse n’avait pas privilégié un enseignement plus thématique, en racontant l’histoire aux enfants? Pourquoi tant de temps sur cette « matière »? 

Evidemment, la discussion s’est poursuivie sur le WhatsApp de la classe, outil devenu indispensable pour nous parents et sur lequel comptent les enfants désormais libres d’oublier la moitié de leurs devoirs en classe! Mais cela, c’est un autre débat…

Je voudrais juste partager avec vous une réflexion que m’inspirent les plaintes sur l’étude du ‘Houmach, son enseignement et l’investissement qu’exige son acquisition.  

Malheureusement, le ‘Houmach est trop souvent l’enseignement le moins populaire dans nos écoles et sous la pression des enfants et aussi des parents, les programmes se font de moins en moins exigeants en la matière. Et pourtant;

Ce Chabbat, nous entamons un nouveau ‘Houmach (livre du Pentateuque), Bamidbar. Nous arrivons au quatrième livre de la Torah; dimanche, nous la recevons dans son entièreté puisque nous célébrons Chavouot et la Révélation du Sinaï il y a 3331 ans.  

Depuis 3331 ans, nous, peuple juif, sommes appelés le Peuple du Livre. Et le Livre dont nous sommes le peuple, c’est la Torah. Ce qui veut dire que notre ADN, notre identité, c’est le ‘Houmach. Depuis des millénaires, quand les civilisations qui nous entourent étaient maintenues dans l’ignorance et les populations, dans analphabétisme, les communautés juives possédaient toutes des écoles dans lesquelles on enseignait à tous, dès l’âge de 5 ans… le ‘Houmach! 

On ne peut comprendre la Loi juive, le Talmud, l’Histoire juive si on ne connaît pas le ‘Houmach. Je veux dire pas juste le récit qui y est raconté, mais son essence. Et pour cela, il faut se pencher dessus, déchiffrer, traduire, répéter et recommencer. Dans le monde du prêt-à-penser où on habitue nos enfants à recevoir des connaissances en mode digest, ça détonne. Pourtant, même le Ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer revient sur la nécessité de remettre au coeur de l’éducation des enseignements fondamentaux. On ne peut pas jongler avec les idées et les savoirs si on ne possède pas les bases. On ne peut faire l’économie du « chinoune », de la répétition. Et oui, c’est plus sec et plus ardu que les jolies histoires et la pomme trempée dans le miel et les gâteaux au fromage…   Mais l’apprentissage du ‘Houmach est à l’origine de tout! Parce que si nos enfants ne se cassent pas les dents dessus à 6 ans, comment pourront-ils étudier le commentaire de Rashi, puis la Mishna et le Talmud? Comment se fait-il que des enfants qui passent 15 ans en école juive en ressortent parfois en sachant tout juste déchiffrer les textes? Et pourquoi l’exigence que nous avons que nos enfants excellent en maths pour pouvoir passer un bac S et faire de Grandes Ecoles, nous ne l’avons pas pour le ‘Houmach? Pourquoi n’avons nous pas le souci premier que nos enfants acquièrent une autonomie dans des textes qui font le génie du peuple juif? 

Il est certainement de notre responsabilité de remettre le ‘Houmach au centre de l’enseignement et de la transmission, de montrer à nos enfants que la Torah, c’est notre vie et que nous nous devons de la connaître.

Pourquoi? Parce que , comme l’exprime bien mieux que moi Bernard-Henri Levy dans « L’esprit du judaïsme »:

« …pendant tout le temps qu’il reste jusqu’à la fin des temps, les représentants du peuple-trésor ont une tâche bien sûr. J’insiste bien: une tâche. C’est à dire encore une  fois non pas un droit mais des devoirs. (…) Il y a des catalogues de prescriptions auxquels ils devront scrupuleusement se plier. Et surtout, il y a cette Torah écrite et orale dont l’examen, l’étude et la transmission seront leur responsabilité. Tous les peuples lisent la Torah, naturellement. Ils la lisent plus ou moins, mais ils la lisent (…). Mais les ressortissants du peuple-trésor ont le devoir, eux, de la lire d’une certaine façon: avec ardeur bien sûr; avec passion; en usant tout leur esprit, toutes leurs forces mentales et, parfois, leur vie même dans cet âpre, exténuant, corps à corps avec le texte que l’on appelle l’étude; mais surtout (…) en faisant comme si elle avait 70 visages ». 

Cette nécessité par l’étude de faire émerger les 70 visages, les 70 aspects de la Torah, il faut, dit-il, « l’entendre aussi au sens littéral. Ils sont, ces visages, ceux des sujets qui se l’approprient. (…) En sorte que l’on peut dire que, parce qu’elle a le visage de celui qui l’étudie, la Torah convoque le sujet à la rencontre de soi-même et lui révèle son vrai visage ». 

C’est de l’appropriation par chacun du texte que jaillit la vérité de la Torah. On ne peut pas se dédouaner et compter sur l’étude des autres, des Sages ou de ceux qui le veulent bien; chaque juif doit faire sa part du travail, et il n’appartient qu’à moi -et moi seul!- de mettre en lumière ma part originale dans la Torah. Le Rav Kook l’exprime ainsi: « La Lumière qui naît de l’union à la Torah d’une âme est incomparable à celle qui découle de l’union d’une autre âme avec la Torah. C’est ainsi que chacun fait littéralement grandir la Torah grâce à son étude personnelle…. »

En somme, chacun doit apporter son empreinte. Et comment le faire si on ne se bat pas pour que nous-même et nos enfants ayons une aisance face aux Textes et qu’ils ne soient pas juste « de l’hébreu » pour nous? 

Oui, il faut du temps pour connaître la Torah. Toute une vie n’y suffit pas. Rabbi Tarfon dit dans Pirké Avot (II, 16):

« Ce n’est pas à toi de terminer la tâche (de l’étude de la Torah), mais tu n’as pas non plus le droit de t’en dispenser ».

On pourrait être découragé par l’ampleur de la tâche, par le nombre de versets à étudier avec nos enfants, par la difficulté à déchiffrer le Rashi, surtout quand on n’a pas eu soi-même la chance d’y avoir accès. Mais « pour le sot, les sciences sont des hauteurs infranchissables, c’est pourquoi il préfère à l’école ne pas ouvrir la bouche » (Michlé XXIV, 7)

Nos enfants, nous devons leur apprendre à « ouvrir la bouche » pour étudier et réviser la Torah. Revenir dessus inlassablement pour qu’il la possèdent. Se l’approprient. Et qu’elle fasse écho à leur personnalité propre, qu’ils se réalisent à travers elle. 

Alors certes, il y aurait beaucoup à revoir dans la pédagogie de nos enseignants de Kodech. On entend souvent que c’est de leur faute si le ‘Houmach est le parent pauvre de l’enseignement juif.  Qu’ils ne sont pas qualifiés, pas doués, pas intéressants. Mais ne pensez vous pas que si nous, parents, en demandions plus au lieu d’en demander moins (et ne pensez pas que cette exigence ne devrait concerner que les écoles orthodoxes; le challenge est le même partout, et tous les juifs ont l’apanage de la Torah), si nous montrions à nos enfants que le ‘Houmach a autant d’importance (bien  plus!) que les maths (combien d’entre nous ont déjà pris un prof particulier pour améliorer le niveau de ‘Houmach de nos enfants? Et combien pour les maths?)… Ne pensez vous pas que notre implication et notre volonté amélioreront forcément l’enseignement de cette matière et la façon dont les enfants la reçoivent?

A titre individuel, nous avons une responsabilité immense, nous dont les âmes se sont engagées au pieds du Mont Sinaï à recevoir, étudier et transmettre la Torah; nous avons la responsabilité de faire aimer la Torah et son étude à nos enfants, et pas seulement par des grandes déclarations. C’est au quotidien, quand nous ouvrons leurs cahiers de textes, que nous pouvons montrer que le ‘Houmach importe plus que tout, qu’il mérite que nous y investissions notre temps et notre énergie.

Si à Chavouot, on donne à manger du lait et du miel, c’est pour que la Torah nous soit aussi naturelle et basique que le lait dans l’alimentation; et aussi douce que le miel à notre palais. 

Mais il faut passer du symbole à la pratique. Faire de la nourriture spirituelle de nos enfants et de nous-même quelque chose de naturel et de doux, c’est en définitive notre « devoir » de tous les jours…

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Sarah Weizman

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